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Ils voient du racisme partout : des antiracistes s'en prennent à une fresque de l'Assemblée nationale !
L'oeuvre d'Hervé Di Rosa, exposée à l'Assemblée nationale depuis 1991, est mise en cause par les antiracistes.
Hervé di Rosa

Ils voient du racisme partout : des antiracistes s'en prennent à une fresque de l'Assemblée nationale !

Ubuesque

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Voilà des militants antiracistes réclamant désormais le retrait d'une fresque qui commémore l'abolition de l'esclavage et exposée à l'Assemblée nationale depuis 28 ans. Les personnages noirs y sont représentés avec de grosses lèvres... ce qui est le propre de cet artiste, que son sujet soit noir ou pas.

L'antiracisme tourne une nouvelle fois à la paranoïa. Le 4 avril, la réalisatrice Mame-Fatou Niang et le romancier Julien Suaudeau ont lancé une pétition en ligne pour faire retirer une fresque commémorant l'abolition de l'esclavage, exposée dans les couloirs de l'Assemblée nationale depuis 1991. Les deux auteurs de la pétition reprochent à l'artiste, Hervé Di Rosa, d'avoir représenté deux personnages noirs avec des lèvres surdimensionnées, reproduisant selon eux un stéréotype raciste. Il se trouve que tous les personnages d'Hervé Di Rosa présentent cette caractéristique, quelle que soit la couleur de leurs peaux. La photo de l'œuvre mise en cause a pourtant déjà été retirée du site de l'Assemblée nationale et l'artiste ignore si sa fresque restera exposée.

La fresque mise en cause, commémorant l'abolition de l'esclavage. Hervé di Rosa.

A l'origine de cette indignation, une visite de Mame-Fatou Niang à l'Assemblée nationale le 8 mars 2018, à l'occasion de la projection de son film Mariannes noires. En passant devant une série de fresques célébrant les grands moments de l'histoire de la vie législative française – vote des femmes, suffrage universel, droit syndical, congés payés -, la militante tombe en arrêt face à la fresque qui commémore la première abolition de l'esclavage du 16 pluviose an II (1794). Cette dernière représente deux personnages noirs aux larges lèvres rompant des chaînes, de larges sourires affichés sur leurs visages.

"ENTRE BANANIA ET TINTIN AU cONGO"

"Je suis sonnée devant cette fresque que je découvre", se désole Mame-Fatou Niang dans le texte accompagnant sa pétition en ligne, lancée un an plus tard. Dans une tribune parue dans L'Obs jeudi dernier, cosignée avec Julien Suaudeau, la militante expose ses griefs : "Pour commémorer cet événement et l’inscrire dans la glorieuse chanson de geste républicaine, les autorités culturelles de l’époque n’ont pas trouvé mieux qu’une imagerie hésitant entre Banania et 'Tintin au Congo'".

La tribune exige le retrait de la fresque, qualifiée de "lapsus honteux" et d'"angle mort de la mémoire coloniale". "Sa présence au cœur d’un des hauts-lieux de la République, dans l’indifférence générale, ajoute l’insulte à la blessure. Elle est historiquement inacceptable et politiquement incompréhensible", martèlent Mame-Fatou Niang et Julien Suaudeau, qui vivent et enseignent l'un et l'autre aux Etats-Unis. La pétition lancée sur Change.org pour demander le retrait de la création d'Hervé Di Rosa a recueilli un peu plus de 1.200 signatures à cette heure.

A-t-il échappé à ses détracteurs que tous les personnages des fresques d'Hervé Di Rosa étaient particulièrement lippus ? Qu'il s'agissait d'une caractéristique de son style ? Pas du tout : "Ces lèvres surdimensionnées sont certes la signature de la 'dyromythologie', l’univers fantastique que di Rosa a forgé au croisement des mondes de l’enfance, de la BD et de la science-fiction. Néanmoins, il faut être singulièrement ignorant – ou mal intentionné – pour ne pas voir l’offense qu’elles constituent dans ce contexte", accusent les auteurs de la tribune. L'interprétation ne s'arrête pas là : "Que dire de ces yeux exorbités, de ces sourires béats et carnassiers ?", questionne le texte. Peut-être qu'on les retrouve dans toutes les oeuvres d'Hervé di Rosa...

Hervé Di Rosa consterné

Contacté par Marianne, Hervé Di Rosa, qui a notamment illustré certaines éditions des poèmes d'Aimée Césaire, est consterné. "Ça me désole, ils ont déjà réussi à empêcher une pièce de théâtre (une représentation des "Suppliantes" d'Eschyle a été bloquée par des associations antiracistes le 25 mars, ndlr.), c'est de la censure." Le peintre revendique "une liberté totale dans la forme", et rappelle que "tous [s]es personnages ont de grosses lèvres".

Engagé de longue date contre le racisme, Hervé Di Rosa, qui expose en ce moment 71 artistes originaires de Kinshasa dans son Musée international des arts modestes, s'estime victime d'un mauvais procès. "A l'époque, Philippe Séguin avait voulu faire enlever la fresque, mais pour des raisons esthétiques. Il la trouvait grotesque, se souvient le Sétois. On a le droit de ne pas aimer, ou d'être choqué, mais pas de censurer. Que les gens de droite m'attaquent, je veux bien, parce qu'à la limite mes œuvres sont faites pour ça, mais là... Amer, Hervé Di Rosa conclut : "Il faut qu'ils continuent à se battre, mais pas qu'ils se trompent de lutte. Ce genre d'indignation, c'est très anglo-saxon. C'est le ressenti qui passe avant la réflexion, qui devient la loi."

"C'est le ressenti qui passe avant la réflexion, qui devient la loi"

Hervé Di Rosa est inquiet quant à l'avenir de son œuvre. Contactée à ce sujet, l'Assemblée nationale indique à Marianne qu'aucune démarche de retrait n'a été envisagée pour l'heure. La photo de la fresque a cependant été retirée du site du palais Bourbon dans la foulée de la parution de la tribune deL'Obs

. Sur ce point, l'Assemblée nationale n'a pas été en mesure de nous fournir d'explication.

Article mis à jour

Mise à jour de l'article

Pour justifier le retrait de la photo de l'œuvre d'Hervé Di Rosa du site internet de l'Assemblée nationale, le service de presse du palais Bourbon est finalement revenu vers nous en plaidant la coïncidence : "Dans le cadre de la refonte du site de l'Assemblée nationale, des opérations d'actualisation des contenus et d'harmonisation des visuels de plusieurs de ses pages ont été entreprises", nous explique-t-on. "Ces opérations et le retrait du visuel, planifiés de longue date, ont notamment conduit à modifier la page relative à un événement organisé en 2016, sur laquelle figurait une prise de vue partielle de la fresque d'Hervé Di Rosa, notamment sa portion commémorant l'abolition de l'esclavage."

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne