Chrétiens de gauche, chrétiens à gauche. Plongée dans les réseaux socialistes des mondes chrétiens en Bretagne (1945-2004)

 

Leur nom résonne comme un oxymore, ils forment l’une des tendances politiques les plus influentes de la Bretagne de la seconde moitié du XXe siècle et pourtant ils constituent un objet historique encore largement méconnu : ce sont les chrétiens de gauche. Retraçant les itinéraires militants, François Prigent reconstruits ces réseaux particuliers, entre socialisme et Eglise.

Par François PRIGENT

 

 

Depuis l’époque moderne, les sociétés occidentales connaissent des évolutions décisives dans l’articulation religion/société sur la longue durée1, façonnant les mutations des familles, idées et comportements politiques en Europe. Le processus de laïcisation, si prononcé et singulier en France, renvoie à un triple niveau de dynamiques dans la société. Des guerres de religion à la révolution française, la déchristianisation met en lumière un recul des pratiques religieuses. La déconfessionnalisation révèle, de la nationalisation des biens du clergé à la séparation des Eglises et de l’Etat, la disjonction des institutions et des espaces publics par rapport aux sphères privées où s’exprime de façon limitée l’influence de la religion. La sécularisation, depuis l’irruption de la modernité du XXe siècle lors de la rupture majeure de 1914, désigne l’ensemble des processus qui témoignent d’un effacement des références à la religion dans les pratiques et représentations sociales du monde. 

En Bretagne, la laïcisation – comprise comme l’ensemble de ces trois processus de déchristianisation, déconfessionnalisation et sécularisation – s’exprime selon des périodisations et des modalités bien différentes. Sur la longue durée, les relations entre « les Bretons et Dieu » (Alain Croix) font apparaître une « christianitude bretonne » (Michel Lagrée), fondée sur la persistance jusqu’en 1945 au moins d’une « civilisation paroissiale », dont l’inscription territoriale, sociale, politique, culturelle exprime la vitalité d’une culture religieuse régionale. Les indicateurs de pratique religieuse2, une base de réflexion incontournable en histoire religieuse, révèlent pourtant combien « Dieu change en Bretagne » (Yves Lambert) au XXe siècle. La période décisive du grand renversement du « bloc catholique » (David Bensoussan) correspond aux révolutions de la société bretonne dans les années 1950-1970, un champ d’études encore ouvert. La grille d’analyse proposée au niveau de l’évolution des rapports religion/socialisme repose sur les travaux de référence élaborés par les spécialistes de l’histoire religieuse régionale, tout particulièrement les synthèses de Michel Lagrée3 et Yvon Tranvouez4.

Ainsi, les mutations du rapport socialisme/religion en Bretagne sont le produit des évolutions propres de chaque pôle dans les années 1960 et 1970 : au sein du socialisme d’une part, de la primauté militante des références à la laïcité, au renversement du centre de gravité de la mouvance partisane avec l’irruption des filières et des figures des « chrétiens de gauche » ; au sein du catholicisme d’autre part, de l’Encyclique Rerum Novarum au concile de Vatican II et ses suites5, l’Eglise se saisit de la question sociale et favorise l’expression d’un courant politique démocrate-chrétien, incertain en France et très enraciné en Bretagne, avant d’engager une profonde mutation des idéologies et des pratiques catholiques, qui modifie les contours et les ressorts de la religion en Bretagne.

Lors du concile Vatican II. Carte postale, collection particulière.

La Bretagne se caractérise par la prégnance des relais et réseaux chrétiens dans la première moitié du XXe siècle. Le versant politique de la région se singularise par l’implantation des partis catholiques puis des organisations de la démocratie-chrétienne, comme le Mouvement républicain populaire (MRP), dont l’identité programmatique, qui penche à gauche, entre en dissonance avec la sociologie et l’électorat du mouvement, inclinant nettement à droite. De l’apogée politique de la démocratie-chrétienne à la social-démocratie des élus socialistes, comment mesurer et évaluer les transferts et les continuités dans la culture politique, des centres à la gauche socialiste ? Faut-il établir un lien mécanique entre ces évolutions respectives du système partisan en Bretagne ? Quelles sont les nuances à apporter aux représentations de ces évolutions politiques ?

Dans le domaine des filières militantes des chrétiens de gauche, la formalisation des réseaux investis par des militants socialistes, imprégnés par les marqueurs religieux emprunte différentes voies. Les réseaux à dominante religieuse dans les engagements – Action catholique ouvrière (ACO), Vie Nouvelle, cercles religieux – se distinguent des réseaux de jeunesse – Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC), Jeunesse agricole catholique puis chrétienne (JAC), Jeunesse étudiante chrétienne (JEC) – et des réseaux du militantisme familial –Mouvement de libération du peuple (MLP), Association populaire familiale (APF), Confédération syndicale des familles (CSF) – dans leurs finalités, logiques et pratiques, tout en irriguant simultanément des trajectoires qui s’entrecroisent et s’entrechoquent. Trait commun de la deuxième gauche, se concentrant au sein du courant rocardien si puissant au sein du Parti socialiste (PS) en Bretagne, la ligne de force de la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC)/ Confédération française démocratique du travail (CFDT) soude ces réseaux multiples : les filières syndicales sont le lien commun principal entre ces mouvances socialistes et chrétiennes. La socialisation scolaire (école privée), l’expression et le détachement des pratiques religieuses, sont aussi des éléments clés pour comprendre la complexité des réseaux socialistes et chrétiens.

De l’étude propre de ces réseaux6 à la déconstruction des représentations socialistes de ces filières, il s’agit d’initier une réflexion sur un moment décisif des mutations de l’implantation des socialistes en Bretagne, se focalisant sur les années 1950-1970.

 

L’inversion du rapport socialisme/religion, des mutations aux transferts politiques

Ce travail d’analyse recoupe trois champs, qui se superposent partiellement : facteurs généraux et idées politiques, chronologies longues et moments particuliers, trajectoires individuelles et organisations collectives. Les évolutions internes à la Bretagne, terre de chrétienté, dont les crises identitaires renvoient à un délitement de l’encadrement de la société par la religion, modifient à partir des années 1960 le sens de la religion : c’est la disparition d’un système social englobant. Les évolutions sur le long terme de la géopolitique en Bretagne, d’une hégémonie démocrate-chrétienne à une domination socialiste puisant une part de son renouvellement dans les filières fréquentées par les chrétiens de gauche, laissent penser à une vague de transferts électoraux, de passages politiques et de dynamiques militantes, d’un bloc à l’autre. La relance de la gauche non communiste, reposant notamment sur l’intégration des réseaux militants chrétiens, s’inscrit dans une reconfiguration des rapports entre socialisme et religion. La centralité de la laïcité est redéfinie par l’irruption d’une identité socialiste aux racines chrétiennes, qui imprègne la culture politique de la « deuxième gauche » : CFDT, JOC-JAC, ACO-CSF, Parti socialiste unifié (PSU)7.  

Crise(s) de conscience, prise(s) de conscience : les impacts politiques de la fissure du bloc catholique

Sans prétendre se saisir en profondeur de ce pan de l’histoire religieuse, si important dans l’histoire générale de la Bretagne, il s’agit de proposer une grille de lecture et un cadre de périodisation des conséquences politiques de la fin de la civilisation chrétienne en Bretagne. De la doctrine sociale de l’Eglise, formalisée par Léon XIII en 1891 à la libération des catholiques à l’issue du concile de Vatican II (1962-1965), l’Eglise a initié et valorisé une laïcisation des engagements militants, entraînant une distanciation de ces réseaux vis-à-vis des forces des catholiques en politique, mais aussi une sécularisation des visions du monde et des pratiques spirituelles au plan personnel. Ces individus, qui participent aux filières militantes de l’action catholique, sur le terrain de la question sociale aux enjeux politiques indéniables, incarnent une évolution à la fois dans et hors de l’Eglise.

Paradoxalement, le catholicisme breton8, au début des années 1950, paraît, sinon à son apogée contemporaine, du moins à un niveau très élevé quels que soient les indicateurs religieux retenus : taux de pratique religieuse, force du sentiment religieux, emprise de l’institution cléricale, maillage spatio-temporel et influence des réseaux du bloc catholique (action catholique, patronages, représentants politiques). Mais dans le même temps, la profondeur des crises de la religion catholique après la Libération porte en germe le changement de civilisation : cette période de modernisation témoigne à la fois d’un « monde qui s’en va » et d’un « monde qui advient » (Michel Lagrée). Les ruptures chronologiques se concentrent sur ces années 1950, tant dans les recompositions des droites (David Bensoussan), les transformations socio-historiques des configurations locales (Jacqueline Sainclivier, Christian Bougeard), les mutations du monde rural (Paul Houée9) et du paysage religieux (Yves Lambert10).

La conversion au socialisme, entamée dans les années 1960, doit aussi se penser au miroir des crises protéiformes du catholicisme breton, dans les institutions de l’Eglise et  dans ses implications politiques, morales, socio-culturelles11. L’onde de choc des évolutions sous-jacentes au concile de Vatican II (1962-1965) se répercute dans une « configuration bretonne de la crise catholique (1965-1975) », pour reprendre la formule de Yvon Tranvouez12. Entre revival et aggiornamento, les pratiques religieuses se nourrissent des mouvements d’action catholique, à destination des jeunes, des ouvriers, des agriculteurs, des femmes, des familles. Inversement, le renouvellement des pratiques militantes met ces réseaux en contact avec de nouveaux milieux sociaux et politiques, passerelles vers la gauche. La libération du vote catholique, avec l’instauration et l’autorisation du pluralisme politique en octobre 1972 (déclaration épiscopale « Pour une pratique chrétienne de la politique »), joue un rôle primordial dans l’ampleur de la naissance à gauche d’un courant politique non catholique et non communiste. Le choix de l’assemblée de l’épiscopat français achève de déverrouiller les engagements politiques à gauche des chrétiens, qui entrent au PS avant 1981 (notamment lors des Assises du socialisme en octobre 1974) dans le sillage du militantisme syndical et associatif. Plus que l’émergence d’une nouvelle génération d’élus socialistes, incarnée en 1973 par Charles Josselin, la levée de l’hypothèque du vote catholique à gauche, en faveur du PS mais aussi du Parti communiste français (PCF), débloque les évolutions politiques de ces réseaux militants. En revanche, les années 1970 traduisent les ambiguïtés et incertitudes des évolutions du catholicisme, oscillant entre un retour à l’ordre conservateur et la mise en œuvre d’une nouvelle théologie et de nouvelles évangélisations, sous le pontificat de Jean-Paul II, après les choix réformateurs et progressistes de Jean XXIII et Paul VI entre 1963 et 1975, date de la suppression de l’action catholique.

Charles Josselin, sans date. Collection particulière.

La force de l’Eglise en Bretagne autorise un soutien d’autant plus appuyé aux mouvements d’action catholique (JOC, JAC) qui portent à l’intérieur de l’institution religieuse des contestations et des visions critiques dans/de l’Eglise. Cette génération désobéissante, « enfants terribles de l’épiscopat » et filières militantes en ébullition au temps de la révolution sociale en Bretagne, s’apparente à une génération en rupture de la religion, qui attise les ruptures religieuses des générations nées au temps de l’après Seconde guerre mondiale. C’est le paradoxe breton d’une ouverture stratégique, garantie par la résistance du sentiment religieux et la vitalité du tissu social du catholicisme, produisant une crise d’autant plus accusée sur la longue durée.

Les effets différés de la crise du catholicisme breton, localement, prennent aussi leurs sources dans l’ouverture de la société aux questions internationales (guerre d’Algérie13, Guerre du Vietnam, Chili), aux questions de société (genre, encyclique condamnant la contraception à l’été 1968), redessinant les contours de l’espace social (école, travail…) pour reprendre les facteurs conscientisés d’explication des processus de rupture(s), énoncés par les militants, socialistes et chrétiens. A côté des formes de contestations organisées, au sein des réseaux militants chrétiens turbulents, les sorties de l’Eglise, en interne (réseaux chrétiens) puis en externe (pratique religieuse), se font par pertes de bribes de croyances, par fractures successives, par effilochement continu du liant religieux14 : cette réalité rend inefficace une périodisation unique pour saisir les glissements politiques à gauche de ces franges chrétiennes, qui décrochent du bloc conservateur catholique. Les entretiens retranscrivent des sentiments de déchirements vis-à-vis de la communauté chrétienne. La force de l’unité de la famille catholique explique ces évolutions larvées de ces réseaux militants durant les années 1950-1970, avant une rupture le plus souvent (re)présentée comme définitive, sans retour. En effet, il faut rapprocher les évolutions du rapport individuel à la foi et la découverte puis l’appropriation des pratiques collectives au sein des réseaux militants dérivés de la religion chrétienne. De même, les lectures, notamment Témoignage Chrétien, sont un lien intellectuel qui joue un rôle de catalyseur des évolutions politiques vers la gauche socialiste. La rationalisation, l’individualisation et l’autonomisation des choix politiques favorisent la mise à distance des traditions religieuses, au profit d’une recherche de modernité dans le catholicisme, s’achevant majoritairement pour les élus et militants socialistes par une sortie de la religion qui n’efface pas les appartenances symboliques au monde chrétien en tant que construction d’une trajectoire personnelle. Par ailleurs, il faut rappeler le rôle joué par les cercles religieux – abbaye de Boquen dans les Côtes-du-Nord15, Cercle Jean XXIII à Nantes, groupe des Ateliers de recherches sur la culture (ARC) à Brest…– dans l’évolution des chrétiens socialistes. Les thématiques de la justice et de la solidarité sociale se retrouvent dans les actions militantes antérieures et dans les domaines politiques investis au PS. Les lieux et les formes d’interconnaissances font rejouer les réseaux militants antérieurs au PS.

La force de la religion chrétienne en Bretagne au début des années 1950 semble amortir les chocs et ruptures qui l’affectent jusqu’aux années 1970, accélérant et renforçant la crise des fidèles engagés (des réseaux militants internes à l’Eglise aux sorties politiques de l’Eglise) mais aussi des croyants, qui se détournent massivement des anciens relais du catholicisme politique, notamment pour adhérer et soutenir le projet politique des socialistes. A cet égard, la crise politique briochine (1959-1962), liée aux mandements politiques de l’évêque en chaire, qui entraîne l’invalidation de l’élection municipale puis se solde par la victoire de la grande coalition d’Antoine Mazier, député entre 1945 et 1958, marque le crépuscule de l’influence directe et puissante de l’Eglise sur la vie politique régionale16.

Les espaces militants du catholicisme, au plan national, sont traversés par une conjonction de crises et de mutations, qui entrent en interaction avec les configurations locales, évoquées plus haut : déconfessionnalisation de la CFDT en 1964, écroulement du bloc chrétien par la disparition du MRP en 1967. Les fissures dans les voies d’engagements et les idées politiques prennent aussi la forme d’une sécularisation du militantisme en lien avec la sécularisation d’une société catholique particulière (promotion par l’Eglise des formes laïques de l’apostolat et de l’action catholique). Toutefois, il faut distinguer les évolutions politico-religieuses des élites militantes ouvrières/paysannes, jouant indéniablement un rôle dans la rénovation politique du socialisme (tremplin, porte d’entrée), et celles des fidèles et de la population bretonne en général, reposant sur des facteurs plus larges (maintien du dimorphisme religieux dans le vote). Formes laïques de l’apostolat et de l’action catholique, les organisations de jeunesse sont le théâtre de ces blocages spectaculaires lors des crises successives de la JEC en 1964-1965, de la JAC/Mouvement rural de la jeune chrétienne (MRJC) en 1965-1966, liées à une volonté d’autonomisation par l’affirmation d’une politisation de l’action de ces filières militantes, soubresauts qui perdurent et resurgissent avec force en 196817, puis en 1972-1973 mettant à jour les racines chrétiennes du maoïsme en Bretagne18. En 1975, la disparition des mouvements d’action catholique sanctionne cet échec stratégique de l’Eglise19, tandis que les Assises du socialisme achèvent le processus de passage au terrain politique dans les engagements militants. 

Carte de membre de la CFTC dont est issue, en 1964, la CFDT déconfessionnalisée. L’article 1 de la CFTC rappelait en effet que « la Confédération se réclame et s’inspire, dans son action, des principes de la morale sociale chrétienne ». Sans date, collection particulière.

Ces évolutions des milieux chrétiens se réalisent aussi au détour d’une phase gauchiste, qui procède notamment dans la critique de la vision du communisme, une nouvelle Eglise qui subit le faisceau de critiques mises en avant pour rompre avec l’ancienne Eglise20. Entre 1968 et 1973, ces réflexions s’invitent au cœur des débats internes de la CFDT. La barrière de l’union avec le PCF et du rapport général au communisme est une clé de lecture des blocages des évolutions de ces milieux chrétiens depuis 1945. Inversement, la seconde main tendue par les communistes, un effort d’ouverture suscitant des crispations internes sur les franges laïques, met à jour les difficultés à faire bouger les lignes politiques du clivage laïque. La dissipation de ces enjeux survient, une fois la question tranchée, seulement dans les années 1980 lors du recul électoral du PCF puis de l’effondrement du bloc communiste. Dans ce domaine, la situation italienne est d’ailleurs observée en Bretagne avec beaucoup d’intérêt, au vu des éditoriaux de la presse militante socialiste (notamment PSU), voire des discussions internes (cellules, sections au PCF comme au PS). A l’échelle nationale italienne, le compromis historique entre la démocratie-chrétienne et le Parti communiste italien (PCI) d’Enrico Berlinguer, tentant de faire émerger la formule politique de l’eurocommunisme, vient percuter les stratégies européennes de détente internationale de la papauté. Au contraire de la France, les « nouvelles gauches » socialistes, composées de tendances complexes, éclatées et contradictoires, ne confluent pas dans les années 1970 vers un socialisme politique, le Parti socialiste italien (PSI), une alternative au communisme au début des années 1980 : les violences radicales expriment un gauchisme poussé à son extrême durant les années de plomb21.

Transferts politiques et filières militantes : les chrétiens du PS22

Les analyses du champ politique (vote, engagement) intègrent le rapport à la religion, au même titre que l’appartenance de classe, comme un critère de détermination et un indicateur de prévalence des choix politiques23. La précocité de la déchristianisation des milieux ouvriers et la centralité de la référence à la laïcité anticléricale sont deux facettes de la répulsion de pôles politiques opposés, catholicisme et socialisme, qui entament un dialogue politique dans les années 1960 et 1970.

Depuis les années 1960, la réalité des cheminements religieux et des itinéraires politiques fait apparaître dans les années 1970 une composante catholique de militants PS, étudiée par Jean-Marie Donegani, qui dresse une typologie des chrétiens de gauche.

A l’aune des mutations géopolitiques de la Bretagne, les hypothèses des transferts militants entre démocratie-chrétienne et social-démocratie, ainsi que celle des passages électoraux d’un vote MRP à un vote PS ont été énoncées par Jacqueline Sainclivier et Benoît d’Ancona par exemple24. La contribution politique des anciennes régions d’implantation catholique est certaine dans la progression du vote Mitterrand entre 1974 et 1981, les nouvelles réserves en voix de l’Ouest, suffisantes à elles seules au basculement à gauche à l’échelle nationale selon les calculs de Michel Phlipponneau. C’est une réalité objective. En revanche, la vérité du rattrapage socialiste dans l’Ouest (et notamment en Bretagne) à l’échelle nationale mérite d’être nuancée par une prise en compte de la complexité des configurations locales et des échelles d’analyse : structures partisanes, réseaux militants actifs, votes des électeurs. De plus, les transferts électoraux restent très difficiles à mesurer, surtout en période d’ouverture du corps électoral (inscriptions des jeunes, forte participation), de restructurations du tissu socio-économique (exemples du vote des femmes et des couches nouvelles) et de recompositions des courants politiques (nouvelles organisations, nouvelles alliances, nouveaux programmes). Les analyses menées par Gilles Richard, dans les évolutions électorales des circonscriptions de l’Ouest entre 1968 et 1981, remettent en perspective les connaissances établies depuis les travaux de science politique sur les élections de 197825 : ces transferts politiques ne procèdent pas forcément des mêmes groupes, d’autant que le vote socialiste subit aussi des pertes laïques.

Carte postale, collection particulière.

La catégorisation des chrétiens de gauche est une question épineuse26. Les étiquettes de « chrétiens », « chrétiens de gauche », « cathos de gauche », « chrétiens socialistes » ne doivent pas être cloisonnées pour comprendre un panel de comportements dont les mutations sont progressives : fin du vote conservateur à dominante cléricale, distanciation avec la pratique religieuse, rupture dans les fréquentations de réseaux sociaux polarisés par la religion, réflexion sur la laïcité et redéfinition du rapport à l’école, rapprochement des organisations de gauche… Une réflexion méthodologique est encore à affiner, autorisant les démarches comparatives à partir d’études de cas prosopographiques, pour donner du sens à ces profils de militants doubles, qui refaçonnent l’empreinte religieuse de la société bretonne du XXe siècle. Les itinéraires (voies, modalités, causes) de séparation/éloignement des formes traditionnelles de l’Eglise remettent en cause l’homogénéité du milieu des « cathos de gauche », reconstruite a posteriori. L’ensemble des interrogations méthodologiques, conceptuelles, analytiques ayant trait à la catégorisation des « chrétiens de gauche » est obscurci par l’éclatement d’archives inconnues et réduites. Cette vision parcellaire, fragmentée de l’historien interfère avec le schéma mental dominant, véhiculé et renforcé par les acteurs eux-mêmes, qui postule l’existence d’un milieu de « cathos de gauche » uni, alors que l’appellation recouvre des réalités très diverses, dont le transfert au PS des élites militantes, au terme d’un cheminement qui bascule lors d’une expérience PSU jugée fondatrice au même titre que les passages par la JOC ou la JAC27, a révolutionné en Bretagne le visage de la gauche ouverte et conquérante dans les années 1970-1980. L’histoire de ce mouvement reste encore à démontrer, en l’étayant par des études de cas.

Des filières aux trajectoires militantes28, les positions « laïcardes » d’une frange des adhérents socialistes marque le refus d’une intégration et les limites de ce creuset limité, présentant également une différenciation entre la base et le sommet du PS. Les formes d’enracinement socialiste traduisent largement une séparation laïques/chrétiens des profils des sections, limitant les réalités de fusion voire de coexistence des réseaux dans les pratiques militantes. Ces processus d’insertion différenciée dans le parti sont amplifiés par les butte-témoins du rapport politique à la religion, notamment dans les zones rouges, précocement déchristianisées, et les zones blanches, faiblement déchristianisées, où les chrétiens de gauche représentent les nouveaux visages du PS. A l’échelle des cercles dirigeants, les profils « chrétiens de gauche » restent moins présents (Francis Le Blé, Charles Josselin, Claude Evin, Jean-Yves Le Drian, Jean Peuziat, Pierre-Yvon Trémel pour reprendre les principales têtes de réseaux) qu’à l’échelle des conseillers généraux. La césure générationnelle, essentielle, bloque les prises de responsabilités d’élus de dirigeants militants des filières CFTC et JOC par exemple, en décalage au niveau de l’âge (plus de 40 ans en 1968), après de longs cheminements militants, par rapport à l’émergence des nouvelles figures du PS. A l’instar des positions de ces responsables par rapport à l’école, ces élus se démarquent plus par une empreinte chrétienne dans les parcours militants, que par une véritable identité de « chrétien de gauche », recouvrant des réalités très variées.

Le rôle des chrétiens de gauche du PSU

Les rapports entre socialisme et religion, reparamétrés après 1945, reconfigurent le champ politique régional depuis le concile de Vatican II. Parmi les acteurs premiers de l’inversion de la religion, aux côtés des réseaux CFDT, le PSU rassemble une nébuleuse de structures militantes composites, évoluant dans les sociabilités chrétiennes progressistes en phase de décrochage avec le bloc conservateur dominant.

Le profil de ces sous-ensembles militants du PSU appelle plusieurs remarques liminaires. L’interrogation de ces réseaux se heurte à des écueils d’ordre quantitatif et qualitatif, en raison de la nature même des sources, qui rend complexe l’identification du processus de dérive à gauche de ces franges militantes et des réseaux qui gravitent autour. L’influence réelle de ces noyaux militants est à rapprocher d’autres groupes de référence de volume limité qui suivent une évolution similaire. Le PSU procède de cette lame de fond des « chrétiens de gauche » qui submerge et transforme le paysage politique breton, et la renforce. Les interactions entre ces micro-réseaux et le milieu PSU, voire d’autres milieux politiques, sociaux sont à creuser. Les leaders de ces réseaux égocentrés (représentatifs de ces infra-réseaux militants) participent de l’attraction de la gauche sur des milieux extérieurs au PSU.

Le logo du PSU. Wikicommons / Fauntleroy.

Les matrices chrétiennes du PSU couvrent 7 % des effectifs militants repérés en Bretagne (3087 parcours), soit 216 trajectoires formellement identifiées, cette base représentative resserrée relativise la portée des analyses qui suivent. Ces militants investissent des réseaux étroits et imbriqués, mais la surface d’influence de ces milieux dépasse sa faiblesse numérique car les pratiques militantes de ces réseaux déplacent à gauche des forces pivots grâce à un rayonnement par capillarité sociale qui diffuse des valeurs politisées, à partir des liens tissés dans une multitude d’entourages. Les filières CFTC forment le premier cercle matriciel, presque systématique (2/3 des itinéraires), agglomérant des parcours décisifs dans la prise de conscience générationnelle, sous l’influence conjuguée de la guerre d’Algérie et des nouvelles formes de la question sociale, porteurs d’un syndicalisme de terrain qui reste l’identité militante la plus valorisée. Les rapprochements parallèles avec la gauche (CFDT, PSU, PS) sont accélérés par la forte présence de l’encadrement syndical des unions départementales au PSU : Gilbert Declercq, André Laurent, André Marivain, Jean Le Faucheur, Michel Cadoret29

Les réseaux politiques, existant sous différentes formes – Jeune République (JR), MRP, Union des chrétiens progressistes (UCP), Union de la gauche socialiste (UGS), Nouvelles Gauches –, sont très présents dans les parcours de ces militants (62 % des cas). Il s’agit d’un primo-militantisme dans des réseaux politiques, prolongeant l’engagement dans des réseaux plus concrets, qui finissent par fusionner dans l’UGS, avant d’intégrer en bloc le PSU (Pierre Bourges, Janine Palm). Il existe une sur-représentation de ces réseaux, dans les espaces de faible ancrage du PSU, dont le Morbihan, ou dans les territoires urbains. L’adhésion au PSU n’est pas la découverte du militantisme politique pour les catholiques, tandis que les engagements individuels et dispersés dans la JR dès les années 1930, puis au MRP dans les années 1940 et l’UCP au début des années 1950, prolongent une militance chrétienne sociale, notamment pour les milieux populaires MLP, CSF, ACO, et traduisent un processus lent de rupture avec les structures officielles de l’Eglise. Traduction d’une politisation du quotidien, l’univers associatif chrétien laisse une empreinte fondatrice, à la hauteur de la force religieuse de l’ancrage dans le réel de ces groupes. Par le changement des pratiques (plus collectives, plus émancipées) et l’imprégnation de valeurs humanistes prenant un sens nouveau dans un contexte social transformé, ces réseaux associés à la hiérarchie conservatrice catholique dérivent en partie vers la gauche, le PSU étant un parti moins repoussant pour les chrétiens. Cette évolution qui neutralise l’enjeu politique de la religion se fait au PSU, dernière étape avant la sortie du giron de l’Eglise. Plus globalement, ces mutations, accordant une place particulière dans la culture politique au volet de l’action sociale (refus de l’injustice) s’accompagne d’un déplacement du vote vers la gauche, d’une multiplicité d’investissements dans des réseaux chrétiens sociaux et de l’adhésion à de petits groupes bouillonnants à l’instar de la nouvelle gauche (NG) après 1955, particulièrement dans le Finistère. Ces structures, qui posent des liens bilatéraux entre le militant et le réseau, sont fondues dans l’UGS après 1957 avec une mixité culturelle au vu de l’accueil de trajectoires venues de la gauche du socialisme. Point d’aboutissement d’un déplacement vers la gauche de petits réseaux personnels, l’UGS est une filière d’intégration du PSU, dont il ne faut pas négliger l’influence. Ces sillons politisés s’accompagnent d’une syndicalisation à la CGT dans les pôles urbains, tout en étant vecteur d’un engagement catholique social laïcisé (Jacques Galaup).

Le passage marquant par les organisations de jeunesse (17.6 % des cas) révèle le rôle décisif de structures militantes qui ne sont pas ancrées à gauche de façon monolithique, comme la JEC et la JOC. La sous-représentation de ces catégories dans les sources, au regard du continuum des sympathisants PSU futurs socialistes à partir des années 1970, fait apparaître un vivier important de cadres PS, marqués par une contestation générationnelle forte. Ces milieux jocistes turbulents et ouverts, forgés durant l’après-guerre, s’autonomisent par rapport à la hiérarchie catholique et se rapprochent du champ communiste. De façon logique, ces militants qui ne peuvent aller ni vers le communisme, ni retourner vers les organisations politiques de l’Eglise se retrouvent temporairement au PSU, faisant fonction de réseau de transition politique dans une évolution globale de ces milieux chrétiens qui intègrent la gauche socialiste depuis les années 1970.

Tract pour la Jeunesse ouvrière chrétienne, 1961. Collection particulière.

Dans les études fines de parcours individuels, l’investissement ou la connivence avec des réseaux intellectuels à dimension spirituelle (Témoignage Chrétien30, La Vie Nouvelle) pèsent pour moins de 5 % des effectifs. La fonction essentielle de ces réseaux, cimentés par l’ACO, est de tisser des liens avec un clergé progressiste (cercles religieux, prêtres-ouvriers, expériences dans l’Eglise) : le rôle des rencontres humaines dans un cadre spirituel s’avère un élément déclencheur et une ligne de clivage dans la réorientation politique de ces militants, initiés dans le PSU. Démarches individuelles, ces tranches de vie sont difficilement transposables pour retracer un faisceau de comportements.

Les réseaux de la militance familiale, qui imprègnent les milieux populaires urbains, sont multiformes et concernent plus de 20 % des militants chrétiens du PSU. La vocation politique des organisations telles que Mouvement de libération ouvrière (MLO)-Mouvement populaire des familles (MPF)-MLP31 présente des militances plus concrètes32, par l’action sur les questions familiales CSF-APF. Volet mal connu de l’histoire sociale bretonne, ces réseaux réunissent des mini-structures locales, sans unification, forgées au moment de la reconstruction en 1945. Emanations des filières ACO, ces réseaux d’inter-connaissances sont fortement implantés sur la façade Ouest de la Bretagne, alors que la Section française de l’internationale ouvrière (SFIO) voire dans une moindre mesure le PCF ne mordent pas sur ce type de milieux ouvriers. Paradoxalement, ces réseaux, qui semblent négligeables quantitativement, jouent un rôle décisif dans le glissement de ces franges militantes, par capillarité, jusqu’à la gauche socialiste (PS). L’histoire de ces groupes met en lumière les noyaux militants du Morbihan, autour du couple Le Drian et de Joseph Le Bouquin33, mais aussi de la région nantaise, au sein d’un réseau polarisé par Madeleine Aoustin34, André Coutant à Rezé ou Camille Durand à Saint-Jean-du-Boiseau.

L’approche de type microstoria des trajectoires de sociaux-chrétiens confirme le rôle de ces réseaux minoritaires dans le PSU dans les transferts géopolitiques entre le MRP et le PS sur la longue durée (1945-1981). Ces évolutions sont en lien avec la grille de lecture proposée pour saisir les mutations profondes de la Bretagne, à savoir les effets du délitement du champ religieux moderne sur le champ sociopolitique. Parti sécularisé qui s’ouvre aux filières chrétiennes, le PSU est un pivot qui reflète les réalités du changement politico-religieux multiples selon les dimensions observées (ouverture, inversion, degré). Les schémas explicatifs (comment, pourquoi, quels déterminants ?) de ces passages vers la gauche nécessitent de repenser plus globalement les liens entre religion et politique.

 

Les réseaux à dominante religieuse

Cette thématique permet d’exprimer ainsi des micro-réseaux, insérés dans des filières multipositionnées, où se tissent des relations inter-individuelles, étroites et imbriquées.

L’ACO, des lieux de sociabilités militantes

La configuration des Côtes d’Armor35 montre l’importance dans ces milieux socialistes du passage par l’ACO, au-delà du militantisme plus actif des femmes. L’étude fine de ces groupes militants, regroupant une poignée de responsables socialistes, met en exergue plusieurs caractéristiques.

La systématisation des engagements de couples militants est une dimension très nette du travail militant de mise en contact d’une pluralité de réseaux : les couples Cadoret et Le Faucheur à Saint-Brieuc, Le Drian à Lanester, Declercq à Nantes. Dans les années 1950 et 1960, la formalisation et l’entretien des inter-connaissances et des relations personnelles étroites se forgent lors des sessions régionales de l’ACO, au gré de l’enracinement urbain des filières ACO (Guidel36, Nantes, Saint-Nazaire, Rennes, Brest, Saint-Brieuc). Ces lieux  de confluence de réseaux locaux sont surtout des moments de réflexion sur la société37 et de mutualisation des expériences militantes, favorisant la circulation et la confrontation des thématiques politiques, des idées et pratiques militantes.

Collection particulière.

En lien avec les institutions cléricales38, qui initient ces espaces de libertés et d’audaces intellectuelles, ces temps forts de l’histoire régionale de l’ACO, animés par des leaders de la structure au plan national à savoir Félix Lacambre (Nantes, décédé en 2007) et Louisette Derrien, mobilisent des réseaux militants entrecroisés, notamment en direction des relais de la CFTC (André Hourgon, Hervé Béliard à Nantes, Jean Louvel à Rennes)39.

Cette fraction religieuse des réseaux militants, qui rejoignent la gauche socialiste, est dynamique du milieu des années 1950 au milieu des années 1960, moment de bouillonnement politique en Bretagne40, même si la configuration costarmoricaine dévoile un surcroît d’activité lors du conflit sur le Joint Français41. Le choix de privilégier les engagements syndicaux et politiques, pratiques militantes chronophages, induit une dévitalisation des réseaux ACO, en l’absence de relève générationnelle.

Dans les parcours d’élus, le passage par l’ACO reste une dimension minoritaire, seconde dans les trajectoires individuelles (Michel Brémont) ou marqueur de l’empreinte politique familiale (Marie Chevalier). La cohésion des réseaux de l’ACO, autour du consensus militant incarné par le socle JOC-CFTC-PSU, contraste avec l’effervescence et l’éclectisme de l’organisation au plan national dans les années 1960-197042.

Les réseaux Vie Nouvelle

L’histoire du mouvement La Vie Nouvelle (LVN) reste encore grandement à écrire. En Bretagne comme ailleurs, les réseaux d’éducation populaire de Vie Nouvelle, imprégnés de l’humanisme chrétien et personnaliste, jouent un rôle central dans un petit nombre de parcours militants au PS43.

Réactivant les Amitiés Scoutes, La Vie Nouvelle apparaît en 1947, avant de se structurer sous l’égide d’André Cruiziat (1953-1962) puis de Raymond Labourie (1962-1969). Regroupant une génération de chrétiens engagés contre la guerre d’Algérie, à la recherche d’une politisation à gauche depuis la Libération (du MRP au PSU), LVN cumule une démarche intellectuelle, matérialisée par l’influence d’Economie et Humanisme, qui exprime un personnalisme communautaire, mettant à jour une fidélité aux principes directeurs de l’héritage d’un Christ humain. Au-delà des militances concrètes, autour de la place de la femme, LVN est un réseau qui évolue politiquement vers le socialisme, en lien avec les dynamiques nationales entre 1968 et 1981. La participation de LVN au congrès d’Epinay en 1971 ne se retrouve pas en Bretagne, puisque les militants de LVN demeurent au PSU jusqu’aux Assises du socialisme et au-delà, avant de rejoindre le PS sous la pression des réseaux relationnels (CFDT notamment). Le ciment idéologiques de LVN repose sur les principes qui guident les pratiques militantes, à savoir le socialisme communautaire : valeur centrale de l’entraide (militantisme familial MLP-CSF), espace de formation (induisant un renouvellement des pratiques militantes selon un fonctionnement horizontal), engagements dans la société (affirmation d’une politisation à gauche et choix d’un militantisme à bases multiples), démarche d’approfondissement de la foi (autour de l’héritage de la figure humaine du Christ).

Trait d’union et forme spécifique d’action militante, la faible assise de ces réseaux révèle un entrelacement des vies politiques et des parcours militants, à l’instar du couple Bourges pour qui le militantisme à Vie Nouvelle est premier. Inspecteur des impôts, Pierre Bourges (1927) est maire de Redon (1983-1995) et conseiller régional (1986-1998).

Son père, inspecteur des contributions directes, est engagé à la CGT et à la Jeune République. Passé par les écoles publiques et le scoutisme, Pierre Bourges milite à l’UCP (1946-1950), qu’il quitte après la condamnation pontificale. En 1949, il entre dans le groupe Jeunesse de l’Eglise où il fait la rencontre d’un prêtre-ouvrier, futur communiste, tissant à nouveau des liens avec Georges Cano, conseiller général (1973-1994) et maire (1971-1989) de Saint-Jacques-de-la-lande.

Trésorier national de son syndicat CFTC (1954-1958), il s’insère à Rouen dans LVN, lors de la structuration de l’organisation en 1953, par l’entremise de Raymond Labourie (professeur de philosophie, secrétaire de l’UL, permanent LVN). Dans ce réseau initial, on retrouve aussi le couple André et Janine Palm, qui milite alors à Rouen, avant de jouer un rôle décisif dans l’animation des milieux chrétiens du PSU à Rennes44. Sa femme, Simone Bourges (fille d’un cheminot, engagé dans le Cercle Paul Bert, électeur socialiste) contribue à étendre le noyau local LVN, développant des militances concrètes, au travers d’un recrutement dans les filières MLP-ACO-CFTC45.

Après leur arrivée en décembre 1956 en Ille-et-Vilaine, la prise de contact avec les réseaux chrétiens locaux (CFTC, MLP, NG) s’effectue d’abord auprès du noyau rennais de LVN, assez dynamique (30 personnes). Responsables nationaux (Pierre Bourges en 1963-1969, Simone Bourges en 1966-1980), le couple polarise aussi un groupe de chrétiens de gauche sur Redon, articulé autour des filières CFDT, qui émerge politiquement dans les années 198046. Du milieu des années 1960 au milieu des années 1970, le réseau LVN participe aux expériences militantes nouvelles en Ille-et-Vilaine, à l’IPSOP (milieux paysans) comme à l’ARV (milieux associatifs), autour des engagements des couples Bourges, Palm et Caillaud47.

Dans la majorité des cas, l’engagement premier dans LVN reste la forme prioritaire de militantisme. Source du passage au socialisme, en interaction avec d’autres filières militantes, il s’agit surtout d’engagements au féminin dans le groupe des élus PS (Odile Blanc-Dubuisson à Vannes, Maria Vadillo et Clotilde Tascon-Mennetrier à Rennes).

Les expériences religieuses et spirituelles

Plusieurs exemples d’expériences spirituelles qui se muent en expériences militantes, contribuent à la conversion vers la gauche des itinéraires, au-delà de l’aventure atypique de l’abbaye de Boquen à laquelle participent plusieurs militants PSU48.

L'abbaye de Boquen. Carte postale. Collection particulière.

A Nantes, l’expérience originale du Cercle Jean XXIII49 rassemble à partir de 1963 une trentaine de « catholiques en liberté », chrétiens-citoyens qui se saisissent des enjeux de la modernité pour ressourcer leur foi : c’est véritablement un club religieux de réflexion politique, qui fournit un socle militant de socialistes chrétiens. Relatée en détail par l’une de ses figures charismatiques, l’histoire de cette structure militante progressiste s’inscrit dans les évolutions globales reconfigurant les rapports entre socialisme et religion, dans un moment où ces militants chrétiens prennent des positions avancées sur les problèmes sociaux comme les questions coloniales. La portée même du renouvellement des pratiques de ces chrétiens de gauche, caractérisés par une affirmation des engagements laïcs de la part de catholiques affichant ouvertement leurs fidélités sinon à l’Eglise du moins à la foi, s’explique par la réunion de militants socialistes de première envergure : Guy Goureaux (conseiller général de Nantes entre 1976 et 2001)50, Gilbert Declercq (dirigeant national de la CFDT), Bernard Lambert (figure nationale du syndicalisme paysan), Xavier Amossé (conseiller général de Nort-sur-Erdre)51, Georges Lusteau (conseiller général de Saint-Sébastien-sur-Loire)52, André Coutant (adjoint à Rezé), Paul Tampreau (militant PSU, Nantes), ainsi que plusieurs responsables de noyaux militants multipolaires (Xavier Priou et Jacques Ricot à la JEC). Le Cercle Jean XXIII concentre les énergies des têtes de réseaux de plusieurs milieux militants : le PSU, la CFTC, mais aussi l’ACO, la jeunesse chrétienne (JOC-JAC-JEC), les militances familiales (CSF). Inversement, les militants du Cercle Jean XXIII développent des pratiques de réseaux dans ces organisations, croisant et cumulant les forces et formes d’engagements politiques, au sens premier du terme, à savoir l’action dans les affaires de la cité, de la communauté. Dans les années 1970, le Cercle Jean XXIII commence à se déliter en raison des choix divergents opérés par ses membres : les désirs d’un passage au champ militant (partisan, syndical) dans une perspective de transformation politique s’opposent à la volonté de maintenir une expérience communautaire religieuse perçue comme atypique. Au début des années 1980, la question laïque53 ainsi que les fissures personnelles dans les croyances accélèrent l’essoufflement d’un vivier exceptionnel du socialisme chrétien en Loire-Atlantique. La forte homogénéité générationnelle contraste avec la profonde hétérogénéité sociale, rassemblant des personnalités fortes, venues d’horizons culturels différents. La proximité relationnelle, tissée par des liens personnels entre ces couples militants, renforce l’influence de ce réseau dans les réseaux militants, selon une pluralité de formes d’engagements.

Si l’expérience des prêtres-ouvriers marque les esprits au plan national, la lecture de l’influence du mouvement au plan régional et au travers des militants socialistes est peu fructueuse. Certes, le poids des rencontres paraît déterminant dans un certain nombre de parcours (François Marc, Georges Cano), mais les expériences cléricales restent exceptionnelles parmi les militants PS en Bretagne (René Le Corre, Loïc Richard). Au sein du groupe des élus, les engagements religieux sont des tournants dans les trajectoires de Roland Andrieu, pasteur, conseiller régional en Loire-Atlantique en 198654 et de Claude Jouanny, ancien aumônier du MRJC, conseiller général d’Uzel entre 1994 et 2008.

L’essentiel des élus socialistes affichant des convictions religieuses est de confession catholique, mais plusieurs responsables socialistes protestants ont aussi été identifiés55. Ces itinéraires sont déconnectés de l’implantation locale des communautés protestantes en Bretagne56. Il s’agit plutôt d’empreintes religieuses d’un protestantisme extérieur à la région (Pays-de-Galles, Suisse, Est de la France) : Charles Foulon57, Maurice Jégou, Roland Andrieu. Dans la période très récente, plusieurs responsables du PS en Bretagne, affirmant leur pratique de l’islam, initient des réflexions visant à approfondir l’universalisme du concept de laïcité, par une confrontation aux problématiques contemporaines du champ religieux.

 

Les réseaux de jeunesse (JEC-JOC-JAC-JIC-JMC)

La mythification du ressourcement socialiste par les filières de la JEC, JOC, JAC58 (voire JMC, JIC)59, profondément ancrée dans l’imaginaire collectif comme dans les mémoires socialistes en Bretagne, n’a pas été étayée par des travaux historiques poussés. Quelles sont la portée politique et la place militante réelles de ces milieux chrétiens au sein des espaces partisans du PS ? La grille de lecture proposée, au prisme des réseaux d’élus PS, n’épuise pas un champ historiographique vaste et ouvert. Ayant transité dans ces réseaux de jeunesse, ces militants socialistes sont associés au courant rocardien et étiquetés « cathos de gauche » par leurs origines chrétiennes, tout en initiant des pratiques laïques différentes des milieux anticléricaux. Il est bien difficile de démêler les appartenances simultanées à d’autres filières militantes, représentatives de cette sensibilité socialiste, comme la CFDT et le PSU. Ces noyaux PS reposent sur une multiplicité de ressorts de politisation : superposition des strates et des relations politiques, militantes).

Les filières JEC, entre aspiration nationale et trajectoires locales

Le renouvellement de l’histoire de la JEC, fondé sur la mise à jour et l’exploitation de sources propres à l’organisation, se concentre sur la périodisation des relations tumultueuses avec la hiérarchie ecclésiastique et sur les évolutions de la composition des cercles dirigeants de cette structure, à l’aune du portrait collectif de ses dirigeants nationaux60. A cette échelle, la présence notable de futurs responsables socialistes bretons, dans les années 1960 et 1970, fournit un cadre de socialisation politique, amenant aux engagements au PS61 de jeunes militants qui s’inscrivent dans un terreau politique familial. Réceptacle des évolutions globales (sécularisation de la société, rationalisation et autonomisation de l’individu), l’histoire de la JEC reflète les contradictions d’un catholicisme pris entre l’influence des courants exogènes de modernité de la société et les pesanteurs endogènes de la tradition immuable de l’Eglise. Les expériences collectives de dialogue et d’ouverture menées à la JEC, essentielles dans les cheminements individuels et les trajectoires militantes, remontent à une rénovation généralisée des formes apostoliques à la Libération. Mais les élites des filières jécistes se heurtent de façon répétée à la hiérarchie ecclésiastique : l’histoire de la JEC est jalonnée de crises spectaculaires (en 1957 autour de Robert Chapuis, puis en 1964-1965 autour d’Henri Nallet). L’isolement des dirigeants conduit à une série de ruptures et de fractures avec l’Eglise et le catholicisme, selon une périodisation par touches successives de heurts et de relances, avant une séparation des visions du monde. La remise en cause des institutions religieuses et l’affirmation d’une démarche de politisation et de renouvellement des pratiques militantes, reposent sur une interrogation de l’identité catholique au prisme de la politique et du militantisme. Dans les itinéraires, le tournant se situe dans les années 1950-1960, autour de la redéfinition du rapport au marxisme et de la recherche de voies politiques nouvelles entre l’Eglise et le communisme, selon des cheminements complexes vers la gauche. En filigrane, plus que le rapport à la Résistance, ces générations se positionnent contre la guerre d’Algérie et réagissent à vif aux questions de société (clé du genre, mutations socio-économiques, aspirations idéologiques qui préfigurent les révoltes des années 1968). Dans l’histoire du socialisme breton, la JEC s’avère un vivier de responsables politiques majeurs, ainsi qu’une filière de socialisation politique importante à tous les échelons.

Tract publié à l'occasion de la journée nationale de la JEC. Collection particuilère.

La faible assise militante des filières jécistes, y compris dans ses bastions nationaux comme la Bretagne62, induit des pratiques de réseaux à l’échelle régionale et des aspirations précoces vers le national, sur deux décennies : dans les années 196063 (Jean-Yves Le Drian) comme dans les années 1970 (Daniel Delaveau), cette prise de responsabilités nationales, à la JEC, est la première étape de carrières politiques majeures.

Le capital militant familial, dans les filières chrétiennes ouvrières, est une inclinaison forte dans le motif des engagements à la JEC64. Responsable finistérienne (1939-1943) puis nationale de la JOCF (1943-1946), Louisette Derrien (1920-2003), membre du bureau national du MLP en 1952 et dirigeante nationale ACO (observatrice invitée par l’épiscopat au Concile de Vatican II), cadre départementale de l’APF-CSF, militante PS en 1976. Magasinier, Jean Le Drian (1919-1997), permanent national JOC65, suit le même itinéraire. Compagnon de route du PC lors de la stratégie de la main tendue menée à Lanester, il est premier adjoint en 1971, avant d’afficher de 1976 à 1986 l’étiquette PS. Ouvriers dans la banlieue ouvrière de Montargis (Loiret, mairie PCF), les parents de Daniel Delaveau développent un profil militant similaire66. La formation par les écoles privées de Jean-Yves Le Drian (ascension sociale par les études) s’accompagne de prises rapides de responsabilité à tous les échelons, induisant un partage du temps dans la semaine Rennes/Paris et des connexions avec d’autres réseaux militants, notamment autour du PSU ou des milieux gauchistes 1968. Entré à la JEC dès 1959, Jean-Yves Le Drian, né en 1947 est responsable fédéral du Morbihan durant un an seulement, sans être étudiant (1964-1965). Assistant au congrès de Dijon (avril 1964), il intervient à propos de la situation des élèves de Ploërmel (Lammenais), dans un contexte d’ébullition interne liée aux heurts avec l’institution cléricale : les jécistes crossés résistent, puisque la démission d’Henri Nallet67 en juillet 1964, s’accompagne d’un maintien de l’équipe nationale en place. A la suite de la démission collective de la JECU, Pierre Le Strat, ancien secrétaire fédéral du Morbihan en 1960 (poids structurel de l’Ouest dans l’enseignement privé)68, prend la tête de l’organisation. En lettres supérieures à Quimper (1965-1966), condisciple de la future femme de Bernard Poignant, Jean-Yves Le Drian met entre parenthèses ses engagements, avant son arrivée à Rennes en 1966-1967, qui survient après la crise interne de la JEC nationale (été 1964) cristallisée par les oppositions entre Mgr Veuillot et les équipes dirigeantes de la JEC (création de la JUC en phase avec des aspirations politiques préfigurant celles de Mai 1968 et maintien de la JEC Universitaire)69. Secrétaire Général de l’ACU (1967-1970), il émerge à 21 ans en mai 1968 comme catholique proche des groupes d’extrême-gauche (ESU, maoïstes et trotskystes). Neutralisant les enjeux d’appartenance, sa position pivot en fait un des porte-parole du mouvement. Né en 1952, Daniel Delaveau, formé dans les écoles privées jusqu’en 1968, termine sa scolarité dans un lycée public. Militant JOC-JEC-scoutisme, il adhère au PSU en 1969-1970 par l'intermédiaire de Michel de La Fournière. En maths sup à Orléans en 1970, il s'installe à Paris en 1971-1972 licence de sciences économiques). Membre de la direction nationale dès 1972, il devient président national de la JEC en 1975 (rôle dans mouvement lycéen) succédant à Patrick Viveret (avant Jean Pierre Sueur, filière orléanaise). Il fréquente les proches du BN du PSU, dont le cercle Rocard autour de Patrick Viveret et Robert Chapuis, ancien président de la  JEC en 1957.

La situation professionnelle est en lien avec les prises de premiers mandats politiques sur le courant rocardien. Agrégé et assistant, Jean-Yves Le Drian entame des recherches historiques sur la JOC et l’univers ouvrier des Forges. Du milieu chrétien de gauche à la synthèse socialiste, il mobilise de multiples réseaux (des syndicalistes CFDT à Yves Allainmat), permettant la prise de la section de Lorient, l’élection à la députation puis l’éviction brutale de Jean Lagarde. Journaliste à Témoignage Chrétien en 1975-1978 (refus d’un poste dans la revue CFDT Aujourd’hui, un croisement JEC-JOC-CFDT-PSU) puis directeur de la communication à la mairie de Rennes 197970, Daniel Delaveau est adjoint à Saint-Jacques-de-la-lande (1983-1995) puis maire (1995-2007), conseiller général de Rennes 10 (1994-2008) et maire de Rennes (depuis 2008). En colocation avec Jacques Cottereau, adjoint à 29 ans, il tisse des liens personnels avec Georges Cano (Témoignage Chrétien, scoutisme) comme Edmond Hervé (vie politique professionnelle).

Ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian passe en revue les élèves de l'Ecole polytechnique. Collections École Polytechnique / Jérémy Barande.

Le passage par la JEC, plus un moment initial dans les trajectoires militantes, qu’une filière militante réticulaire71, occupe aussi une place privilégiée dans les parcours d’élus à l’échelle des parlementaires (6.1 %)72, mais beaucoup moins à l’échelle des conseillers généraux (2.5 %)73 ou des conseillers régionaux (1.7 %)74.

Du fleuve jociste au ruisseau socialiste de la filière JOC : un réseau puissant

L’histoire de la JOC en Bretagne75, un bastion national de l’organisation76, est bien connue dans sa structuration organisationnelle, sa dimension idéologique et ses pratiques militantes avant les années 1960. L’emprise démocrate-chrétienne tient les milieux jocistes totalement à l’écart de l’influence socialiste : c’est la confrontation de mondes militants cloisonnés77. Une frange de ces figures jocistes, en responsabilité entre 1945 et les années 1970, rejoint la mouvance socialiste, constituant un vivier des réseaux d’élus PS. Il faut toutefois tenir compte de ceux qui ne passent pas à gauche.

Fondés notamment sur l’exploitation des fichiers des permanents jocistes, les travaux d’Eric Bélouet offrent une grille d’analyse des réseaux jocistes à l’échelle nationale. Les fidélités du militantisme religieux se traduisent par une valorisation d’un engagement d’action de transformation de la société. L’homogamie militante et le polyengagement, selon des phases dans les trajectoires de la militance sociale au champ politique, caractérisent ce milieu jociste. Le maintien des réseaux de relations, par vagues générationnelles, dépasse la complexité des turbulences de la JOC, une constellation militante dont l’histoire est scandée par une succession de dissidences. Les réseaux socialistes de la JOC se définissent par des ramifications syndicales plurielles (CFTC-CGT), la recherche d’un projet politique absolu (aboutissant dans les itinéraires à une série de déceptions politiques, du MRP au PS, en passant par le MLP, la NG, l’UGS et le PSU), la centralité des engagements dans le milieu familial (MPF, MLP, MLO, CSF)78.

En Bretagne, cette génération jociste, engagée avant les années 1960, fournit un premier socle de chrétiens socialistes79, selon des étapes et des facteurs de conversion à gauche. La mobilisation des fichiers des permanents nationaux de la JOC80, en croisant les données sur les engagements jocistes et le devenir socialiste, fournit un petit réseau d’une dizaine d’individus (dont trois couples, apparentements familiaux JOC/JOCF) aux caractéristiques homogènes dans les trajectoires militantes81.

Le portrait collectif de cette génération de permanents nationaux de la JOC avant 1968 repose sur deux générations. Nés entre 1918 et 1930, ces militants développent des réseaux de relations entre eux, selon une logique générationnelle de fréquentation militante qui fait apparaître deux groupes (naissance en 1915-1925 ou en 1925-1935). En dehors de cette dimension d’inter-relations, ce groupe homogène présente des caractéristiques militantes similaires, notamment dans les choix successifs d’engagements dans les réseaux chrétiens, qui intègrent les configurations et les contextes locaux.

Carte postale vendue au profit de la JOC, 1939. Collection particulière.

Ces réseaux jocistes sont liés à des milieux familiaux très distinctifs : des parents ouvriers et chrétiens, disposant d’un faible degré de politisation voire d’insertion dans les sociabilités catholiques. La formation scolaire, dans les écoles privées, s’interrompt au niveau élémentaire (BE, BS, CAP) avant une entrée précoce dans le monde du travail : ouvriers chrétiens comme leurs parents, ces jeunes responsables jocistes (en responsabilités locales et fédérales entre 14 et 20 ans) connaissent un second cycle de formation intellectuelle, au sein de l’organisation militante qui travaille l’intégralité des sujets et thématiques, produisant une vision globale du monde et de la société.

La rapide aspiration par le national, par le biais des réseaux de permanents nationaux, correspond à une stratégie systématique de sélection des cadres fédéraux (très proches de la base jociste) en vue de faire émerger une élite militante ouvrière : la production de liens personnels et le maintien des réseaux de relations tissées dans les parcours jocistes sont caractéristiques d’un véritable réseau militant, au-delà de l’homogamie militante.

La césure de l’Occupation est un moment important pour les jocistes qui prennent des responsabilités nationales entre 1940 et 1943 : faible engagement dans la Résistance (Jean Peuziat), de l’accommodement à l’accompagnement des populations chrétiennes (couple Le Drian). Inversement, la nouvelle génération qui émerge à la Libération, selon un flux massif de renouvellement classique dans les organisations militantes, est en revanche formée de militants peu marqués politiquement et intellectuellement par la guerre, en dehors des difficultés de vie d’une jeunesse chrétienne : l’absence de promotion des jocistes résistants, qui passent plutôt sur le terrain syndical ou politique (Robert Duvivier), est significative. La sortie de guerre, premier moment des engagements politiques, révèle un certain malaise vis-à-vis du MRP (Gilbert Declercq, Robert Duvivier), poussant à investir les franges contestatrices d’organisations politiques moins massives, comme le MLP (couple Le Drian) et la JR (François Créac’h82), voire les réalités groupusculaires de l’UCP83. Un premier basculement à gauche s’opère en direction du PCF (Jean Prual dans les Côtes-du-Nord, Marcel Le Bruchec dans le Morbihan)84.

La sortie des filières jocistes démontre les ramifications des réseaux militants chrétiens, avec des prises en contact, par la démocratie-chrétienne politique, par la CFTC envers ces cadres, expérimentés et qualifiés (en termes de pratiques militantes). Ce choix du syndicalisme (le militantisme JOC comme pré-CFTC) s’opère en deux temps, de la Libération (Robert Duvivier, Gilbert Declercq) aux années 1950 et 1960 (André Laurent, Jacques Le Cabellec85, Félix Nicolo86), fournissant l’ossature syndicale des permanents des UD et des UL. Ce phénomène se vérifie à l’échelle locale : réseau Duvivier, configuration des Côtes-du-Nord (Jean Le Faucheur, Michel Cadoret, Jean Audigou87).

Le temps des engagements politiques surgit avec force dans les questionnements militants des années 1950 (contestations, scissions, départs) selon des processus de ruptures individuelles avec les réseaux de la démocratie-chrétienne (sauf la CFTC, qui conserve le lien militant) et de recherches de voies politiques novatrices. La lecture de TC est aussi un trait commun. A partir de 1960, le PSU fournit un cadre d’engagement politique pour ces réseaux jocistes, dont l’évolution politique est jalonnée d’une série de moments décisifs : guerres coloniales, concile de Vatican II. L’adhésion politique aux thèses du PSU se retrouve pour l’ensemble de ce réseau d’anciens permanents nationaux de la JOC, mais selon des chronologies et des modalités différenciées : compagnons de route, adhésion formelle dès 196088, entrées/sorties intermittentes avant 1968.

La recherche d’un projet politique, en phase avec les idées professées par ces chrétiens progressistes, révèle un faisceau de frustrations militantes, rehaussant la richesse de l’expérience individuelle à la JOC. Le choix des actions militantes, qui explique le maintien des engagements syndicaux à la CFTC puis à la CFDT (toujours sur la ligne idéologique de Reconstruction), se confirme par les engagements sur le terrain social, dans des militances de quartier, à destination des mondes ouvriers chrétiens : APF-CSF, logements (Castors), éducation populaire… A cet égard, les structures de l’ACO tendent à former un réseau de réseaux convergents, où les échanges militants personnels produisent un ressourcement du fondement même des engagements. Cette reconversion militante, très nette chez les anciennes permanentes jocistes, favorise les prises de responsabilités nationales dans les années 1970 et 1980 (Madeleine Aoustin, Louisette Le Drian).  

Le quartier des Castors à Plouvorn, dans le Finistère. Carte postale, collection particulière.

Il faut attendre la deuxième moitié des années 1970, voire le début des années 1980 pour voir ces réseaux militants s’engager réellement en politique, plutôt un peu après les Assises du socialisme (démarche souhaitée dans l’union et la réunion des gauches dans l’univers politique de ces militants) : plus âgée que la base militante du PS, ces responsables chrétiens détiennent dans l’ensemble des mandats à faibles responsabilités (en dehors de Jean Peuziat, voire le réseau familial Youinou), rarement comme adjoint (Jean Le Drian89), surtout comme conseillers municipaux (comme à Nantes avec Gilbert Declercq en 1977 et Madeleine Aoustin en 1989). Un prolongement familial des liens est repéré, Véronique Laurent devenant la collaboratrice de Jean-Yves Le Drian.

Maçon, plâtrier puis directeur de coopérative ouvrière, Jean Peuziat (1924-2008), secrétaire fédéral de la JOC Finistère (dès 1942), résistant des réseaux Vengeance et Libération-Nord90, est permanent régional puis national de la JOC (1945-1950). Marié avec Lucienne Héréus (dirigeante nationale JOCF), il est conseiller municipal MRP (1953-1955), Jeune République (1955-1971) de Douarnenez. Responsable départemental APF, MLO et ACO, membre du BN de Culture et Liberté, ce militant CFTC s’avère un pilier des réseaux coopératifs de logement, président fondateur du mouvement Castors. Adhérent du PS dès 1971, il est député (1981-1988), conseiller général de Douarnenez (1982-1994) et premier adjoint (1971-1995) dans une municipalité communiste.

Le renouveau du PS à Brest fournit un réseau homogène de conseillers généraux, dont les trajectoires individuelles et collectives révèlent le profond entrecroisement des filières ACO-CFTC-PSU. Dans ces vies militantes, il paraît impossible de dissocier ces engagements, complémentaires et cumulatifs/successifs dans les esprits, mais la JOC constitue le point de départ et la grille de référence des itinéraires militants. Ce tissu d’élus de premier plan est composé d’un député (Jean-Noël Kerdraon), quatre conseillers généraux (Daniel Abiven, Francis Le Blé, Jean Mobian, Jean-Luc Polard), plusieurs élus municipaux (parmi lesquels Jacques Illien, René Nilez, Gérard Cabon)91.

Le regard porté sur les engagements politiques de la diaspora jociste, à partir du groupe des secrétaires fédéraux de la JOC à Lorient, conforte l’idée d’une base jociste, fondée sur des réseaux de relations, dans les milieux d’élus socialistes entre 1971 et 1989 : Lysiane Le Duigou, Michel Scieux, Jacques Sinquin, Thérèse Thiery, Loïc Le Meur, Joseph Le Lamer, Jean-Claude Lamezec. La trajectoire de Michel Scieux, né en 1932, révèle l’entrelacement de ces réseaux qui confluent au PS. Passé par les écoles privées, il découvre la JOC dans le Nord (comme sa sœur), travaille à 14 ans, il s’engage à la CGT aux Cotonnières, véritable contre-société dominant la région et encadrant l’espace social (logements, loisirs). Il mène une grève dure en 1948 (conflit de génération et de classe avec son père). Délégués des jeunes JOC-CGT, il fréquente les militants PCF sur le terrain des luttes syndicales. Responsable de la fédération JOC de Lille, il est aspiré par les réseaux nationaux de la JOC, où il fait la rencontre de sa femme, secrétaire nationale de la JOCF (amie personnelle d’Eugène Descamps, originaire de Lille, et secrétaire de Frédéric Kroupnov, elle tape le rapport sur la déconfessionnalisation CFTC/CFDT). Permanent JOC entre 1954 et 1955, il occupe la responsabilité de la branche Action au travail. Lieutenant en Algérie, il fait la rencontre de Servan-Schreiber et du général La Bollardière (sa femme mène la liste PSU en 1977 à Lorient), envoyant des messages faisant le bilan de la guerre d’Algérie, compilés dans une brochure intitulée, « Les appelés témoignent » : rappelé en 1956-1957, il est reçu par Guy Mollet avant son discours sur la pacification, en tant que représentant JOC de la commission « armée-jeunesse ». Il fait publier dans l’Express divers récits sur les tortures et subit la répression militaire. A nouveau permanent JOC en 1958, il passe à la CCO (émanation de la JOC, futur INFAC), avec pour objectif de créer une école de formation pour directeur de FJT après 1962. Arrivé à Lorient en 1964 pour voir comment se construit le Foyer Courbet, il accepte finalement le poste de directeur, sur demande de Jacques Le Cabellec (ancien permanent de la JOC, futur président de la CAF et adhérent PS). Il crée une association en lien avec la CSF (parents Le Drian, anciens permanents de JOC), dont sa femme est responsable. Proche du PSU, il se rapproche d’un groupe de réflexion, GAM avec Paul David (JOC, scoutisme), Yvonnig Gicquel (directeur de la chambre de commerce). Par le biais de l’ouverture voulue par Yves Allainmat, il intègre la liste de gauche en 1971 en compagnie de Jacques Joncour (scoutisme, JEC), Paul David, Le Saint (JEC), Lysiane Le Duigou (JOC, CSF), Jacques Sinquin (proche de Jean-Yves Le Drian). Adhérent en 1975, il est trésorier de la section, responsable du groupe au conseil municipal, adjoint en charge du logement (1981-1989). Les réseaux JOC-CSF-CFDT participent de la mise en avant de Jean-Yves Le Drian, député en 1978.

La généralisation des parcours d’élus jocistes en Loire-Atlantique repose sur des liens avec les réseaux CFTC (André Coutant, Yves Laurent92, Daniel Prin93). Les filières de la JOC irriguent le renouveau du milieu socialiste dans les années 1960-1970 (PSU puis PS). Ces réseaux jocistes perdent de leur intensité entre 1945 et 1968, au gré des scissions collectives et départs individuels, rappelant que les matrices d’adhésion au socialisme ne sont pas systématiques.

 

Déterminant, le desserrement de l’emprise de l’Eglise sur la société reste la principale cause de ce processus, accéléré grâce au passage à gauche d’une frange militante avancée et minoritaire94. En effet, les années 1950-1970 changent la donne. Si la démocratie-chrétienne se distingue du camp conservateur, le mouvement cultive les paradoxes. Les valeurs et identités, clairement de gauche par la prise en compte de la question sociale, étaient atténuées, lors de l’expérience du Sillon puis lors de l’apogée du MRP, par une sociologie politique, militante et électorale de droite. La plate-forme militante éclectique du PSU, prolongeant l’aventure des nouvelles gauches, sert de passerelle à ces minorités chrétiennes qui confluent au PS. Si la densité de ces réseaux militants comme le rayonnement de ces nouveaux visages de la gauche socialiste ne font aucun doute, il faut certainement nuancer la corrélation directe entre ces nouveaux engagements de socialistes et chrétiens (noyau principal de ces minorités qui ont rénové la gauche) et de socialistes parce que chrétiens (aux parcours plus tourmentés). Il faudrait également, au-delà des facteurs explicatifs d’ordre sociologique ou générationnel, mener une véritable réflexion sur ceux qui ne basculent pas à gauche et nourrissent l’encadrement politique du centrisme breton. Entre intégration dans des cadres d’engagement collectif et processus de glissement individuel vers une nouvelle culture politique, il faut souligner la multiplicité de comportements dans la dérive à gauche de ces chrétiens. Ces chrétiens de gauche, chrétiens à gauche, expérimentent des formes différentes de sortie de la religion. Le décrochage dans la pratique peut suivre un lien religieux qui s’effiloche avant de disparaître dans ce qui s’apparente à une rupture culturelle. Dans le rapport au monde, la politisation finit par primer sur le rapport à la religion, dimension devenue secondaire. Le maintien dans le religieux peut enfin légitimer de nouvelles formes d’engagements militants, laissant voir de nouvelles failles entre les espoirs idéalistes des principes et les pratiques pragmatiques inhérentes à la chose politique. Ces figures ont aujourd’hui disparu du paysage politique, ou du moins, ne pèsent plus en tant que chrétiens de gauche.

Fruit d’un contexte favorable aux recompositions des milieux catholiques, enclenchées depuis l’irruption de la question sociale à la fin du XIXe siècle, le passage à gauche de certains chrétiens, plutôt que l’émergence de chrétiens de gauche, traduit en Bretagne un changement profond de paradigme de structuration de la société. Ce groupe informel, indéfini, complexe et hétérogène participe au basculement à gauche de la région à la fin du XIXe siècle. Paradoxalement, ces réseaux brouillent puis reconfigurent, à partir de 1945, le système partisan à l’échelle régionale à un moment où s’estompe la force des références religieuses dans la société en général.

François PRIGENT

Agrégé et docteur en histoire contemporaine

Université de Rennes 2, Centre de recherches historiques de l'Ouest (UMR 6258)

 

 

 

 

1 REMOND, René, Religion et société en Europe (XIXe -XXe siècles), essai sur la sécularisation des sociétés depuis le XIXe siècle, Paris, Le Seuil, 1999 et MAC LEOD, Hugh, Secularisation in Western Europe (1848-1914), Palgrave, Macmillan, 2000.

2 A l’instar de grandes enquêtes, cartographiées (Boulard, Le Bras, Hilaire, Isambert), qui permettent de saisir les évolutions de la foi catholique face à la modernité, dont une certaine dilution de l’identité chrétienne. BRUNEL, Christian, « L’Eglise face à la modernité (1918-1945), in Skol Vreizh, 1994, p. 116-163; LAMBERT, Yves, « Le catholicisme breton face à la sécularisation », Tud ha Bro, n°13-14, 1986, p. 230-231.

3 LAGREE, Michel, Religion et culture en Bretagne (1850-1950), Paris, Fayard, 1992.

4 TRANVOUEZ, Yvon, Catholiques en Bretagne au XXe. siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2006, Requiem pour le catholicisme breton ?, Brest, Centre de recherche sur la Bretagne celtique, 2011.

5 GUIFFAN, Jean, « A la gauche du seigneur », Place publique, Nantes, 2007 ; PELLETIER, Denis et SCHLEGEL, Jean-Claude (dir.), A la gauche du Christ. Les chrétiens de gauche en France de 1945 à nos jours, Paris, Le Seuil, 2012 ; TRANVOUEZ, Yvon, « La galaxie européenne des chrétiens de gauche, de l’ouverture du Concile à l’avènement de Jean-Paul II (1962-1978) : ancrages, enjeux, réseaux », in HORN, Gert-Rainer et alii (dir.), L’esprit de Vatican II. Catholiques de gauche en Europe occidentale, années 1960-1970, conclusions du colloque de Paris, 21-22 mai 2015 (à paraître) ; HORN, Gert-Rainer, L’esprit de Vatican II, note n° 270 de la Fondation Jean Jaurès, mai 2015, 9 p.

6 Cet article centre la focale d’analyse sur les réseaux militants des chrétiens de gauche les moins explorés par l’historiographie, sans appréhender en profondeur les filières syndicales, CFTC-CFDT, JAC-Centre départemental des jeunes agriculteurs (CDJA), relais de l’enseignement privé. Pour une étude de ces filières, cf. François Prigent, Les réseaux socialistes en Bretagne des années 1930 aux années 1980, thèse, Université de Rennes 2, 2011.

7 Cet humanisme chrétien, imprégné du personnalisme d’Emmanuel Mounier, suscite des dissidences, des non conformismes, des antagonismes. De la gauche chrétienne aux chrétiens socialistes, en passant par les nouvelles gauches, plusieurs niveaux de lecture s’entrechoquent : laboratoire des idées et des pratiques, l’apport numérique de ces réseaux dans le socialisme breton est indéniable.

8 Il faut garder à l’esprit la distinction entre le catholicisme breton, les catholiques bretons et les Bretons catholiques.

9 Proche de Pierre-Yvon Trémel, Paul Houée, prêtre puis sociologue (INRA, CNRS) est maire socialiste de Saint-Gilles-du-Méné (1977-2001).

10 Auteur d’une monographie totalisante sur les évolutions du phénomène religieux dans une paroisse du Morbihan, Yves Lambert (1946-2006) est aussi un militant PSU (noyau militant de l’INRA de Rennes). LAMBERT, Yves, Dieu change en Bretagne. La religion à Limerzel de 1900 à nos jours, Paris, Cerf, 1985.

11 L’effondrement et les recompositions des univers religieux traditionnels (également mythifiés), sont aussi le produit de dynamiques sociales externes : urbanisation, école, travail, société de masse, économie.

12 TRANVOUEZ, Yvon, « La configuration bretonne de la crise catholique (1965-1975) », in BOUGEARD, Christian, PORHEL, Vincent, RICHARD, Gilles, SAINCLIVIER, Jacqueline, Les années 1968 dans l’Ouest, Rennes, PUR, 2011, p. 103-116 ; PELLETIER, Denis, La crise catholique. Religion, société, politique en France (1965-1978), Paris, Payot, 2002 et FOUILLOUX, Étienne, Les chrétiens français entre guerre d’Algérie et mai 1968, Paris, Parole et Silence, 2008.

13 De façon récurrente, la guerre d’Algérie s’avère, dans les trajectoires, l’élément déclencheur de la crise de conscience, remettant en cause les certitudes d’une vision catholique du monde, pour la génération démocrate-chrétienne qui fait le saut politique vers la gauche socialiste, au terme d’engagements militants dans les filières chrétiennes progressistes.

14 En latin, le terme religio renvoie au rapport aux angoisses mystiques et aux liens sociaux (ce qui relie).

15 Le cheminement d’Eugène Besrets prend aussi une voie politique avec sa présence en 1977 sur la liste d’union de la gauche à Plougrescant, conduite par un communiste, Louis Le Garlantézec, beau-père de Jean-Christophe Le Duigou, secrétaire confédéral de la Confédération générale du travail (CGT).

16 La résonance nationale de l’évènement ne fait aucun doute. Parmi les nombreuses sources consultées, signalons les archives diocésaines de l’évêché de Saint Brieuc, 1 D 11 : document sur l’évêque Coupel (Lettres pastorales).

17 AUDIGIER, Francois, BENARD, Christine, DORIVAL, Gilles et LE DRIAN, Jean-Yves, « Dans le silence… », Etudes, mars 1969, pp. 391-400, article décapant sur la crise du catholicisme (TRAVOUEZ, Yvon, art. cit.).

18 NEVEU, Eric, « Le mystère du maoïsme breton », in BOUGEARD, Christian, PORHEL, Vincent, RICHARD, Gilles, SAINCLIVIER, Jacqueline (dir.), op. cit., pp. 189-206. Des glissements sont repérés, du PSU, vers le maoïsme, Humanité rouge (HR), via la JEC ou le MRJC ou le Parti communiste marxiste-léniniste de France (PCMLF) avant une entrée dans le socialisme politique. C’est le cas de François Hervieux, conseiller général de Rochefort-en-terre (2004-2015).

19 Au milieu des années 1970, les réactions de l’Eglise face aux évolutions politiques sont marquées par l’entretien d’une illusion d’un amortissement de la crise religieuse.

20 Le concept de « religion séculière » est convoqué dans l’historiographie du communisme.

21 LAZAR, Marc et MATARD-BONUCCI, Marie-Anne, L’Italie des années de plomb, Paris, Autrement, 2010.

22 FERHAT, Ismaïl, « Un chemin de Damas. Le Parti socialiste et les chrétiens dans les années 1970 », in Chrétiens et sociétés, n° 18, 2011, p. 165-184. Si l’enjeu s’avère plus crucial en Bretagne, comme en France, la décennie des années 1970 marque l’atténuation de l’hostilité des socialistes vis-à-vis des mouvements chrétiens, des tentatives de rapprochement minoritaires mais symboliquement décisives puis un processus complexe d’intégration, de réticences recomposées et d’acculturation relative des catholiques de gauche au PS.

23 MIHELAT, Guy, SIMON, Michel, Classe, religion et comportement politique, Paris, Editions Sociales, 1977 ; DERIVRY, Daniel et DOGAN, Mattéi, « Religion, classe et politique en France. Six types de relations causales », in Revue Française de Science Politique, n° 36, vol. 2, 1986, p. 157-181 ; DONEGANI, Jean-Marie, « Religion et politique : de la séparation des instances à l'indécision des frontières », in BERNSTEIN, Serge et MILZA, Pierre (dir.), Axes et méthodes de l'histoire politique, Paris, PUF, 1998, p. 73-90.

24 D'ANCONA, Benoît, Le socialisme électoral en Bretagne : permanences et transferts, DEA, Université de Paris X, 1991.

25 RICHARD, Gilles, « Le transfert des voix centristes vers le PS », in BOUGEARD, Christian, PORHEL, Vincent, RICHARD, Gilles, SAINCLIVIER, Jacqueline (dir.), op. cit., pp. 131-144.

26 DONEGANI, Jean-Marie, « Itinéraire politique et cheminement religieux : l’exemple des catholiques militants du PS », Revue Française de Science Politique, vol. 29, n°4, 1979, p. 693-738 ; DONEGANI, Jean-Marie, La liberté de choisir : pluralisme politique et pluralisme religieux dans le catholicisme français contemporain, Paris, Presses de la FNSP, 1993 ; Séminaire de l’Office universitaire de recherche socialiste (OURS), intervention d’Emile Poulat ; CHAPUIS, Robert, La rose et la croix. Socialistes et chrétiens, Paris, L’Encyclopédie du socialisme, 2008 ; CHAPUIS, Robert, Si Rocard avait su… Témoignage sur la deuxième gauche, Paris, L’Harmattan, 2007 ; D’ALMEIDA, Fabrice, BERKOWITZ, Peter, CEPEDE, Frédéric, « Discours chrétiens et discours socialistes : un double parcours », Mots, n°38, mars 1994 ; HOURDIN, Georges, Catholiques et socialistes. Un rapprochement capital pour les chrétiens et la vie politique française, Paris, Grasset, 1973 ; PORTELLI, Hugues, Les socialismes dans le discours socialiste catholique, Paris, Editions du Centurion, 1986 ; SOULAGE, Vincent, Le débat autour de Chrétiens pour le socialisme, en France, 1975-1978, DEA, IEP de Paris, 2001 ; DULONG, Renaud, « Christian Militants in the French Left », in BERGER, Suzanne (dir.), Religion in West European Politics, Londres, Totowa Frank, 1982, p. 55-72.

27 Les réseaux ruraux (JAC, CDJA, MRJC, FDSEA) forment moins de 15 % du corpus PSU mis à jour, certainement minoré dans les sources, d’autant qu’on observe une distorsion entre la faiblesse de ce type de trajectoires au PSU et l’influence de ces parcours sur le vote paysan en faveur du PSU, capté ensuite par le PS. Moment de passage fondamental dans les trajectoires PSU des futurs élus socialistes, cette politisation en milieu rural, qui éloigne les jeunes agriculteurs de la domination conservatrice, prend des formes d’adhésion en pointillés.

28 LE GOIC, Pierre, « Catholiques de gauche et socialismes dans le Finistère : quelques itinéraires », in BOUGEARD, Christian, (dir.), op. cit., pp. 237-253.

29 Pour une approche sur le long terme des réseaux socialistes de la CFDT, cf. PRIGENT, François, « Du PSU au PS, le nouveau partenariat avec la CFTC-CFDT, années 1950-années 1980 », in Les réseaux socialistes en Bretagne des années 1930 aux années 1980, thèse, chapitre 7, Université de Rennes 2, 2011, p. 647-675.

30 Le rapport individuel à la lecture des journaux, des réseaux d’influence, est un facteur difficile à mesurer.

31 La refonte permanente des organisations politiques dans ces milieux renvoie à la recherche complexe d’un projet politique faisant sens dans ces communautés militantes.

32 Les réseaux du scoutisme sont un marqueur fort des trajectoires.

33 Préparateur en pharmacie, Joseph Le Bouquin, né en 1919, militant CFTC, évolue du MPF au PSU (secrétaire départemental de l’UGS en 1957, secrétaire fédéral du PSU en 1963), vice-président des APF.

34 Institutrice puis employée (militante CFDT), Madeleine Aoustin, née en 1933, jiciste, permanente (1955-1959) et secrétaire générale (1957-1959) de la JOCF, fondatrice des APF-CSF à Nantes (1963), devient présidente nationale de la CSF (1984-1996) et conseillère municipale PS de Nantes (1989-2001).

35 Arch. diocésaines des Côtes d’Armor, fonds 4 K-4A (1961-1986), ACO-JOC. Cette piste pourrait être étendue aux autres départements en consultant les archives diocésaines.

36 Entre 1954 et 1966, les sessions de l’automne à Guidel sont des moments forts des liens régionaux de l’ACO (associant les réseaux militants de la région d’Angers).

37 Le rôle des commissions du monde ouvrier est très important au niveau de la réflexion intellectuelle et des idées menées.

38 Il s’agit de réseaux contestataires (avec un maintien original des pratiques religieuses tout au long des trajectoires), comme le prouve la portée matricielle de la démarche initiée en 1954 par des militants chrétiens.

39 Par exemple, la liste des participants à la session du 26 novembre 1961 à Saint-Brieuc démontre l’imbrication des filières ACO et CFTC, en lien avec une fraction militante du PSU : Annick et Michel Cadoret, Eugène Delay (milieux ouvriers, conseiller municipal de Guingamp) et Jean Crubier (aide-soignant, à Guingamp, né en 1918, secrétaire de l’UL  Guingamp (1962-1968) et vice-président de l’UD CFDT (1967-1971), est militant PSU CFTC), Joseph Gournay (CFTC de Lamballe), Aaron Pinochet (CFTC), Marcel et Marcelle Pondemer (métallurgistes  Sambre-et-Meuse, CFTC Saint-Brieuc), Odette Le Du (CFTC, Dinan).

40 En décembre 1965, l’aumônier régional de l’ACO, l’abbé Blons de Quimper, effectue un rassemblement, en présence de Gilbert Declercq, qui témoigne de l’éclectisme militant des réseaux ACO, en présence de représentants d’horizons divers (PSU, CFDT, CGT, MRP, APF-ASF).

41 Fonds André Chevallier, documents sur l’ACO et le Joint Français, réflexions de la commission du monde ouvrier.

42 En 1980, la direction nationale (39 membres) est composée de 20 CFDT, 8 PS, 3 PSU, 7 PCF, 12 CGT.

43 L’exploration des archives privées de Pierre et Simone Bourges regroupant à la fois des dossiers sur l’organisation et des rapports sur l’enracinement militant des noyaux locaux, permet d’esquisser une approche monographique de cette mouvance. Arch. Privées Pierre et Simone Bourges. Pierre et Simone Bourges, « 60 ans de La Vie Nouvelle », 2007.

44 Typographe, André Palm, militant ACO et CFTC, est conseiller municipal PSU de Rennes en 1977. Couturière, Janine Palm, née en 1929, candidate régulière du PSU, couvre l’ensemble de l’arc militant des milieux catholiques, à Rouen puis à Rennes (NG, JOC, ACO, MLP), avant de rejoindre l’écologie politique.

45 En novembre 1950, le couple est d’abord nommé à Arras, rejetant le système SFIO, incarné par les filières militantes contrôlées par Guy Mollet, pour investir le bloc catholique ouvrier (JOC-MLP-CFTC).

46 Candidate en 1959, Simone Bourges, conseillère municipale en 1965, est battue en 1971 en raison de tensions fortes avec les réseaux laïques. Entré au PS à l’été 1976, Pierre Bourges devient conseiller municipal sur une liste d’union de la gauche en 1977 (6 élus). S’appuyant sur une section catalysée par les filières CFDT et LVN, reprenant pour partie la trame de l’ancien PSU, Pierre Bourges profite de la non candidature d’Alain Madelin pour gagner la mairie (1983-1995) sous l’étiquette PS. Le couple Bourges se présente aux législatives entre 1978 et 2002.

47 Les réseaux LVN sont présents dans les expériences atypiques de l’IPSOP (Redon, milieux syndicaux paysans) et de l’ARV (Villejean, à l’automne 1968, une vingtaine de militants actifs, d’origines rurales, mènent une réflexion sur la transformation du paysage social et l’habitat concentrant 25000 habitants sur 80 hectares), notamment avec le couple Caillaud ou des militants CFDT (Loïc Richard, prêtre).

48 Une thèse est en cours sur ce thème (Béatrice Goascoz).

49 GOUREAUX, Guy, Le Cercle Jean XXIII. Des catholiques en liberté, Nantes, 1963-1980, Paris, Karthala, 2004; Arch. Dép. de Loire-Atlantique, 256 J, fonds Guy Goureaux.

50 Fils de fonctionnaires électeurs socialistes, Guy Goureaux, né en 1930, responsable national de l’UNEF et de la MNEF, est adjoint (1977-1983, 1989-1995) et conseiller régional (1977-1986), militant du SNESup (doyen de la faculté des sciences de Nantes). Brillant étudiant en physique jusqu’au doctorat, il rencontre à la fois Joliot-Curie et les prêtres-ouvriers. Arrivé à Nantes en 1963, il milite à la CIR (1965-1967), disposant de liens personnels avec Louis Mermaz (amitié datant de sa vie à Paris). Sa femme Marinette Goureaux, responsable JEC à Caen, est présidente nationale de l'association nationale des FJT (1981-1991).

51 Professeur d’histoire dans l’enseignement privé, Xavier Amossé, né en 1937, militant CFTC et ACO, responsable FEP-CFDT (1966-1968), est conseiller municipal (1977-1983), maire (1989-2001) et conseiller général (1998-2011) de Nort-sur-Erdre. Fils de syndicalistes agricoles, ce militant JEC et PSU  figure parmi les opposants  municipaux au comte, maire réactionnaire de Nort-sur-Erdre dès 1959, avant d’adhérer au PS au contact des réseaux paysans chrétiens et de Jean Natiez.

52 Militant ACO-CFTC, Georges Lusteau, né en 1930 est conseiller général (1982-1988) et premier adjoint (1983-1995) de Saint-Sébastien-sur-Loire. Fils d’un graisseur à la SNCF, passé par les écoles publiques, il est  dessinateur industriel aux chantiers de Bretagne à Nantes puis aux brasseries de la Meuse.  Sympathisant PSU dans les années 1960, il passe par les différents mouvements chrétiens sociaux locaux, notamment les réseaux du scoutisme durant sa jeunesse avant de multiplier les responsabilités au sein du militantisme familial (APF, CSF…) dès le milieu des années 1950. Représentant CFDT aux prud’hommes, il adhère au PS à l’occasion des  grèves aux chantiers nantais au début des années 1970.

53 La réflexion sur le service publique de l’enseignement est d’abord menée par Guy Goureaux, vice-président de FAL 1969 à 1976 et syndicaliste enseignant, qui se heurte à l’incompréhension de sa conception de la laïcité : attachement à école publique et à la foi chrétienne.

54 Issu d’une famille bourgeoise normande de confession catholique, Roland Andrieu, né en 1926, est tour  à tour prothésiste dentaire, ouvrier du bâtiment, pasteur puis marin. Sa grand-mère, d’origine anglaise, a été internée par les Nazis. Ancien élève de l’ENS, son père, adhérent SFIO, se détourne des milieux intellectuels pour devenir électricien. Résistant FFI, Roland Andrieu, prisonnier dans la poche de La Rochelle, s’évade début mai 1945, avant d’aller combattre en Allemagne puis en Indochine (engagé volontaire) jusqu’en 1948. Converti au protestantisme, il reprend ses études à la faculté de théologie de Strasbourg, devenant pasteur tout en s’engageant à la CGT. Dans les colonnes de l’Humanité-Alsace, il dénonce la torture en Indochine. En 1952, enrôlé dans la mission populaire protestante, il rejoint la Fraternité Protestante de Saint-Nazaire. Peintre naval, marin pêcheur, ce pasteur-ouvrier atypique fait partie des réseaux dirigeants de la CGT, dominée par les militants communistes. Permanent syndical, ce « gaulliste de gauche », pour reprendre la terminologie établie par Bernard Lachaise, qui stoppe son adhésion au RPF en 1950, est considéré comme un compagnon de route du PCF dans les années 1950. Secrétaire des marins CGT, accédant aux responsabilités nationales dans les années 1980, il fait partie des leaders nantais de l’UFD en 1959. Passé par l’UCP puis l’UGS, il adhère au PSU en 1960 (candidat aux cantonales en 1964, aux municipales sur la liste PSU-PCF en 1965). Il occupe des responsabilités fédérales jusqu’à sa démission en juillet 1967 avec la fraction poperéniste qui rejoint le Club Socialiste Nantais, affilié à l’UGCS. En mai 1968, Le Monde annonce sa démission de l’UD CGT, même s’il reste à la tête du syndicat des marins de Nantes et Saint-Nazaire, jouant un rôle dans les négociations locales durant le mouvement social (il fait partie avec Guy Goureaux des médiateurs auprès du préfet Vié, qui demande l’autorisation de tirer sur les manifestants). Ayant repris des études de droit, il soutient un DEA de droit maritime et aérien. Refoulé par le réseau Routier-Preuvost, il adhère avec ses amis (Robert Ciron, Paul Tampreau, Jean Guiffan…) dès septembre 1971 au PS, se positionnant sur le courant Poperen. Elu dans la municipalité Chenard (1977-1983) puis Ayrault (1989-2001), il est conseiller régional (1986-1992), incarnant la force des filières CGT au PS.

55 Outre les figures nationales de Michel Rocard ou André Philip, le protestantisme joue un rôle décisif dans les configurations socialistes complexes du Gard par exemple (SFIO, PSU). Yves Hivert-Messeca, « Socialisme et protestantisme français (1882-1940) », in Recherche Socialiste n°1, octobre 1997, pp. 51-64.

56 CARLUER, Jean-Yves, Les protestants bretons, XVIe-XXe siècles, thèse, Université de Rennes 2, 1992.

57 PRIGENT, François, « Charles Foulon, une vie d’engagement(s) », Place Publique, Rennes, n° 28, 2014, pp. 89-93.

58 Pour une analyse des réseaux socialistes de la JAC puis du MRJC, cf. François Prigent, « La reconfiguration des rapports entre socialisme et monde rural (années 1960-années 1980) », thèse cit., chapitre 8, pp.738-784 et Flauraud, Vincent, « Militantisme jaciste et engagement à gauche. Le laboratoire breton », in Parlement(s), revue d’histoire politique, hors-série n° 10, 2015, pp.121-134.

59 Cette filière JMC, en lien avec les réseaux ACO (notamment Louisette Derrien), recèle un impact limité dans les réseaux socialistes (au moins à l’échelle des élus), en dehors des  trajectoires de Jean Folgoas aussi Gaby Le Bot. Il en va de même pour la JIC (Pascale Mahé). Un croisement des réseaux JAC-JOC-JIC-JEC-JMC est repéré dans l’itinéraire de Pierre Pineau, permanent.

60 GIROUX, Bernard, La Jeunesse étudiante chrétienne des origines aux années soixante-dix, Paris, Cerf, 2013 ; GIROUX, Bernard, « Dictionnaire biographique des responsables nationaux et des aumôniers de la JEC (1929-1975) », in BARBICHE, Bernard et SORREL, Christian (dir.), La JEC (1929-2009), Lyon, Chrétiens et Sociétés. Documents et mémoires, n°12, 2010. Ce travail se fonde sur des archives conservées au Centre national des archives de l’Eglise de France, à partir desquelles une approche par le local est possible.

61 Les filières bretonnes suscitent des réseaux par affinités territoriales, à l’instar de la trajectoire de René Le Corre, aumônier national et militant PS à Brest. Toutefois, la matrice jéciste fournit aussi des cadres politiques du centrisme breton. Journaliste au Progrès de Cornouaille puis membre du cabinet d’André Colin, Jean-Yves Cozan (1939-2015), député (1986-1997), conseiller général d’Ouessant (depuis 1978), conseiller régional (1986-1988, 1998-2004) et adjoint à Quimper (1977-1989). En 1998, il se maintient aux sénatoriales, favorisant l’élection de trois élus PS. Prigent, François, notice Jean-Yves Cozan, in Jansen, Sabine (dir.), Dictionnaire des parlementaires de la Ve République, http://www.assemblee-nationale.fr.

62 Archives diocésaines de l’évêché de Saint Brieuc, 4 K 4 B : JEC (1961-1986).

63 Cela vaut aussi à l’échelle des dirigeants fédéraux de la JEC. Issu du scoutisme, Patrick Rimbert (né en 1944) est secrétaire fédéral de la JEC de Loire-Inférieure (1961-1964) et président de la MNEF à Nantes (1966-1968). Militant PCF (1966), sympathisant PSU (1967-1969), adhérent PS depuis 1978 (poperéniste), cet universitaire est  candidat en 1983, adjoint (1989-2001). Secrétaire national du PS, il devient conseiller général de Nantes 7 (1992-2001), député (1997-2002), adjoint (1989-2001),  1er adjoint (2001-2012), maire de Nantes (2012-2014).

64 En retour, ces engagements ont une influence sur le passage au socialisme des parents dans la période ultérieure : la libération catholique, dans le vote plus que dans l’adhésion au PS, est un phénomène décisif pour comprendre le processus de conversion de la Bretagne à gauche entre 1968 et 1981.

65 L’adresse fournie, dans la fiche de renseignement des fichiers nationaux de la JOC, est celle de Robert Duvivier, ce qui révèle des liens personnels entre militants liés par l’appartenance territoriale.

66 Jacqueline Delaveau est jociste en 1936, André Delaveau (président du cercle Ozanam, filiations avec le Sillon), conseiller municipal, militant MLO-MLP, meurt dans un accident du travail à 49 ans en 1970.

67 En 1992, Henri Nallet, fin connaisseur de la vie politique bretonne en raison de ses liens avec les organisations du syndicalisme paysan (dont Bernard Thareau), siège dans le même gouvernement que Jean-Yves Le Drian, tous deux anciens patrons de la JEC au plan national.

68 Fils de cultivateurs, Pierre Le Strat, né en 1942, formé à l’institution Saint-Louis puis au lycée de Rennes (ENS d’agronomie de Grignon en 1963), est secrétaire fédéral du Morbihan (1960-1961) et responsable régional de l’ouest en 1962. Membre de l’équipe nationale (1963-1964), il est secrétaire général (1964-1965), démissionnant en avril 1965.

69 Les ancrages bretons sont importants dans les équipes nationales de la JEC, à l’instar du noyau d’extrême gauche brestois, ou de Yves Jullien (CIR 1969-1971) et Charles-François Jullien (né en 1935, PSU, PS, journaliste), président de l’UNEF Lettres, membre du groupe TC avec Jean Delumeau et Hutin fils.

70 Daniel Delaveau tisse des liens forts à la JEC avec des responsables bretons, qui évoluent vers le PS, notamment Jacques Cottereau, Pierrick Cloarec (Landerneau) et Peter Le Guével (Nantes), voire, sur une autre ligne idéologique, avec Pierre Séguillon (CERES).

71 A l’échelle locale, plusieurs socialistes sont repérés parmi les responsables JEC, à Brest (Paul Aurousseau, Yves Jullien et René Le Corre, qui fréquentent des lieux en commun, notamment les cercles religieux), Nantes (Jacques Ricot, Philippe Le Pichon et Xavier Priou) ou Saint-Brieuc (Yves Rousseau, alias Hervé Hamon, engagé au PSU).

72 Jean-Yves Le Drian, Patrick Rimbert, Philippe Tourtelier, Marcel Rogemont, Marie-Françoise Clergeau, Maryvonne Blondin.

73 Seulement neuf conseillers généraux sont repérés, surtout en Ille-et-Vilaine (Daniel Delaveau, Guy Jouhier, Marie-Thérèse Sauvée plus les deux députés) dans le Finistère (Maryvonne Blondin et Jean-Paul Glémarec) et en Loire-Atlantique (Patrick Rimbert et Xavier Amossé).

74 Deux élus, des femmes en l’occurrence (Maryvonne Gerretsen, Geneviève Garros).

75 RICHOU, Françoise, « Apprendre à combattre, l’engagement dans la JOC (1927-1987) », Le Mouvement Social, n° 168, 1994, p. 51-82 ; RICHOU, Françoise, La JOC. Genèse d’une jeunesse militante, Paris, L’Harmattan, 1997.

76 LAUNAY, Michel, PIERRARD, Pierre, TREMPE, Rolande, La JOC Regards d’historiens, Paris, Les Editions ouvrières, 1984 ; NIZEY, Jean, « Les militants de la JOC dans le Maitron », in DREYFUS, Michel, PENNETIER, Claude, VIET-DEPAULE, Nathalie (dir.), La part des militants, Paris, Editions de l’Atelier, 1996, pp. 313-330.

77 TRANVOUEZ, Yvon, Catholiques en Bretagne au XXe siècle, Rennes, PUR, 2006 ; HUARD, Jacques,« La JOC dans le Finistère (1928-1939) », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, t. 101, vol. 3, 1994, p. 125-140 ; LE SCIELLOUR, Philippe, La JOC dans le Finistère de 1940 à 1958, maîtrise, Université de Bretagne Occidentale, 1994; WACHE, Brigitte, Catholiques de l’Ouest, Rennes, PUR, 2004 ; Archives diocésaines de l’évêché de Saint Brieuc, Fonds André Chevallier (liasse JOC), 4 K 4A et 4KAB, JOC (1961-1986) ; Archives fédérales du PS du Morbihan.

78 Le croisement des fichiers et des sources a été possible avec Eric Bélouet. BELOUET, Eric, « Itinéraires de militants ouvriers chrétiens : pour une approche prosopographique des cadres de la JOC-JOCF (1927-1968) », Cahiers d’histoire, n° 69, 1997, p. 89-105 ; BELOUET, Eric, « La JOC et les organisations syndicales (1927-1997) », Cahiers de l’atelier, n° 484, avril-juin 1999, p. 59-73 ; BELOUET, Eric et MORLET, Joël, « L’Action catholique et la transformation des modèles d’implication dans l’espace public » in BRECHON, Pierre, DURIEZ, Bruno, ION, Jacques (dir.), Religion et action dans l’espace public, Paris, L’Harmattan, 2000, p. 45-58 ; BELOUET, Eric, « Solidarités jocistes, itinéraires postjocistes. Propositions pour une étude des réseaux appliquée à un mouvement de jeunesse », in GUILLAUME, Pierre, (dir.), Les solidarités. Le lien social dans tous ses états, Pessac, MSHA, 2001, p. 357-364 ; BELOUET, Eric, « Le couple jociste », in DURIEZ, Bruno , FOUILLOUX, Etienne, MICHEL, Alain-René, MOURDIAN, Georges, VIET-DEPAULE, Nathalie (dir.), Chrétiens et ouvriers en France, 1937-1950, Paris, Editions de l’Atelier, 2001, p. 86-99 ; BELOUET, Eric, « D’une main tendue à l’autre : la JOC et les communistes des années 1920 aux années 1970 », in GIRAULT, Jacques (dir.), Des communistes en France (années 1920-années 1960), Paris, Publications de la Sorbonne, 2002, p. 489-500 ; BELOUET, Eric et CAVALIN, Tangi, « La composante chrétienne du PSU : une mosaïque éclatée », in CASTAGNEZ, Noëlline, JALABERT, Laurent, LAZAR, Marc, MORIN, Gilles et SIRINELLI, Jean-François (dir.), Le Parti socialiste unifié. Histoire et postérité, Rennes, PUR, 2013, p. 25-36.

79 Sans occulter les liens majeurs entre PCF et JOC, à l’instar du parcours de Yannick Frémin à Rennes.

80 Dans les années 1940-1950, l’organisation de la JOC repose sur des découpages géographiques : les sections (échelle locale des villes ou quartiers), les fédérations (échelle départementale, dirigeants qui ne font pas partie des permanents), les provinces (portant le nom de la ville, mais regroupant plusieurs départements, gérés par des permanents), le secrétariat général (direction jociste, ainsi que les responsables de branches et de services, c’est-à-dire par âge et par thématique).

81 Jean Peuziat et Lucienne Héréus, Louisette Derrien et Jean Le Drian, Félix Nicolo, André Laurent, Jacques Le Cabellec, Madeleine Ducleux et Joseph Aoustin, François Créach, Robert Duvivier, Gilbert Declercq, René Youinou.

82 Comptable, François Créach (1930-1977), permanent en juin 1951 de la branche « Loisirs populaires », est responsable national JR (novembre 1955-décembre 1956), avant d’évoluer vers le PSU (seconde moitié des années 1960). Président de l’office de tourisme de Morlaix, il est investi dans l’Union nationale des camps de montagne (UNCM) et l’Union nationale des centres sportifs de plein air (UCPA). 

83 Arch. du CRBC, fonds Henri Berlivet. Le rôle de la famille Berlivet à Brest est à souligner dans ces micro-réseaux politiques, au même titre que Henri Denis à Rennes (compagnon de route du PCF).

84 TRANVOUEZ, Yvon, Catholiques et communistes. La crise du progressisme chrétien (1950-1955), Paris, Cerf, 2000, 363 p.

85 Traceur en coques de navires à l’Arsenal de Lorient, Jacques Le Cabellec, né en 1928, permanent de la JOC (1949-1952), chargé de la branche « Loisirs populaires » s’occupe ensuite de la Fédération française du tourisme populaire (FFTP). Il adhère au PS en 1981 seulement.

86 Permanent JOC d’août 1948 à avril 1951 (région jociste de Bordeaux), Félix Nicolo (1925-2011) devient ensuite permanent de l’UD CFTC à Vannes (responsable CFDT) et militant PS.

87 Jean Audigou  (décédé en 1997), employé puis imprimeur, est président de la JOC des Côtes-du-Nord en 1944, puis secrétaire fédéral en 1945 et membre du conseil national de la JOC en 1945. Permanent et secrétaire général adjoint de la CFTC en 1945-1948 (rôle dans reconstitution le 16 octobre 1944) et dirigeant de l’UD CFTC-CFDT (1944-1968), il est militant MRP (avec de nombreux catholiques ébranlés par les prises de position de la hiérarchie catholique, il signe une adresse à l’évêque du diocèse de Saint-Brieuc le 4 mars 1954 condamnant la prise de position de la hiérarchie à l’égard des prêtres-ouvriers). Militant ACO, il chemine vers le PSU et PS. Il est secrétaire CFTC de la CAF (1952-1955).

88 Electricien dans la construction navale, Joseph Aoustin (1930-2007), permanent de la JOC en France (1953-1956) puis au Sénégal (1957-1959), militant CFTC puis CFDT de l’UR, est responsable local et national de la CSF. Militant PSU en 1960, il rejoint le PS en 1972.

89 Jean Le Drian (1919-1997), responsable national de la JOC (1942-1946) est militant MPF-MLP et CFTC et trésorier national de la CSF. Président de l’UDAF jusqu’en 1976, il est adhérent PS de Lanester à partir de l’été 1976. Il est adjoint chargé des finances puis 1er adjoint PS au maire communiste de Lanester (1971-1986).

90 Il y fréquente plusieurs militants JOC tués par la suite par les nazis à l’instar de Pierre Feunteun (leader de la JOC Sud Finistère, arrêté en décembre 1942 au café Youinou à Quimper, déporté à Neuengamme, mort en janvier 1945), Alfred Leray (Concarneau, fusillé le 25 juin 1944) ou Louis Le Roux (trésorier fédéral de la JOC de Concarneau, FFI tué à 24 ans près de Quimperlé).

91 A l’échelle du Finistère, le passage au PS des secrétaires fédéraux ou cadres de la JOC, embrassant une carrière politique, est valide sur plusieurs générations (Jean Peuziat, Joseph Youinou, Jean Richard, François Cuillandre).

92 Economiste, Yves Laurent est le benjamin de l’équipe municipale de Nantes (1977-1983), maire et conseiller général de Saint-Sébastien-sur-Loire. Militant JOC et responsable des étudiants socialistes nantais, ce trésorier fédéral du PS se suicide en 1991 dans le cadre de l’affaire Trager (fausses factures et financement illégal du PS), sa femme prenant sa suite au conseil général. Il emporte la mairie en 1983 face au docteur Marcellin Verbe, notable radical très implanté (maire depuis 1953).

93 Electromécanicien, devenu directeur des Editions de l’Atelier, Daniel Prin (1948-2008) est dirigeant fédéral de la JOC de Loire-Atlantique (1962-1969), permanent national et vice-président de la JOC (1969-1974). Militant ACO et CFDT, il est secrétaire de la section PS de Rezé (1979-1987). Elu municipal (1977-2001), il est conseiller général de Rezé-Bouaye (1982-1994). Parmi les militants bretons,il fréquente notamment Gérard Cabon (adjoint PS à Brest) et André Hily (maire PS de Guipavas).

94 TRANVOUEZ, Yvon, « Les chrétiens de gauche ont disparu », Place Publique, Rennes, n° 14, 2011, p. 23-25.