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Chez Maïc. Photos: Lucile Boiron pourVICE FR
Société

L’apostasie est une fête

Alors que scandales pédophiles et témoignages de viols de bonnes sœurs impliquant des prêtres se multiplient, de nombreux catholiques renient leur baptême et coupent les ponts avec l'Église.

Photos: Lucile Boiron pour VICE FR

Année de la Manif pour tous, 2013 restera à jamais gravée dans ma mémoire comme un traumatisme indélébile : à peine sorti d’un placard mortifère, plein d’une rancœur infinie face à cette vague de merde rose et bleue, j’étais pris de visions d’églises qui brûlent et de prêtres pris en otages. Mais n’ayant ni le réseau pour, ni l’envie de finir en taule, j’ai opté pour une façon moins spectaculaire, mais légale, de manifester mon dégoût pour l'église catholique : faire acte d’apostasie. Fouillant dans les albums familiaux, j’ai décollé une vieille photo de mon baptême pour en retrouver au verso la date exacte. Puis, muni de l’adresse de mon ex-diocèse, d’une photocopie de ma carte d’identité et de toute ma haine, j’ai écrit ma lettre à l'Église afin de renier mon baptême et ne plus être comptabilisé parmi ses ouailles. En deux courriers, c’était plié : j’étais enfin débarrassé de ce boulet honteux. À l’occasion de la sortie du film de François Ozon Grâce à Dieu, et alors que les récits de viols de religieuses ou les déclarations justifiant les agressions sexuelles sur mineurs se multiplient, j’ai voulu enquêter sur ces anciens baptisés qui, comme moi, ont dit adieu à la religion catholique.

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Ne plus pardonner leurs pêchés

Pressions anti-avortement exercées partout dans le monde, manifestations homophobes et transphobes soutenues ouvertement par le clergé, pédophilie systémique et viols de religieuses par des prêtres, déclarations criminelles sur le port du préservatif, les raisons de détester l’Eglise catholique ne manquent malheureusement pas… en particulier pour les personnes LGBTI, majoritaires parmi les témoignages recueillis. « Lors d’une Manif pour tous, j’ai croisé un prêtre italien qui m’a dit : “les seuls enfants que vous pourrez avoir c’est du caca” », se souvient Nicolas, qui poursuit : « La place qu’a pris le clergé catholique dans ce débat-là m’a vraiment fait dégueuler. Je me suis dit “plus jamais !” ». Yannick, qui a coupé les ponts pour des motifs similaires, conclut aujourd'hui sans appel : « Rien dans l’église institutionnalisée ne m’intéresse. Ses dogmes éculés, ses prélats, ses dorures, ses crimes passés et présents. Je ne voulais plus être comptabilisé dans ce que je considère comme une secte de plus ». Devenu, après une enfance très religieuse, militant d’Act Up et Soeur de la Perpétuelle Indulgence, Robin Drevet témoigne : « Quand tu travailles dans la lutte contre le sida, tu comprends qu’ils ont fait plus de mal que de bien : la vision colonialiste de l’Église a largement contribué à la diffusion de l’épidémie en Afrique ».

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Robin.

Pour beaucoup, la rupture avec l’Eglise a été vécue comme un soulagement, l’écriture de la lettre pouvant même se révéler jubilatoire. C’est le cas de Maïc, artiste féministe et queer dont le travail explore régulièrement son rapport au catholicisme : élevée dans la religion et considérant aujourd’hui l’Église comme « une fabrique de violeurs et d’agresseurs sexuels échappant aux accusations de dérive sectaire alors qu’elle ne devrait pas », elle confesse : « J’avais développé beaucoup de colère par rapport aux prises de position de l’Eglise. Je me suis lâchée et ai tournée ma lettre avec humour : j’ai dit que je me refusais de croire en un Dieu qui ne serait pas lesbienne. Puis j’ai listé point par point les sources de désaccord : avortement, contraception, homosexualité ».

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« Quand des LGBT cathos sont virés de chez eux, quand des enfants de choeurs sont violés et restent catholiques, c’est à ses propres enfants que l’Église fait du mal » – Maïc

Plus que symbolique, l’apostasie a aussi un forte dimension politique : « On sait que le vatican regarde les actes d’apostasie. À chaque fois c’est de la mauvaise pub », explique Christian Andreo, militant associatif passé lui aussi par la lutte contre le sida. Un avis partagé par Maïc, qui ajoute : « Quand des LGBT cathos sont virés de chez eux, quand des enfants de choeurs sont violés et restent catholiques, c’est à ses propres enfants que l’Église fait du mal. Je ne comprends pas qu’il n’y ait pas plus d’oppositions claires, plus de manifs dans les églises de la part des croyants ».

Un véritable chemin de croix

Bien que libérateur, le parcours de « débaptisation » peut s’avérer un véritable chemin de croix : retrouver la date et le lieu de son baptême n’est jamais facile, et demande le plus souvent d’enquêter auprès de sa famille, qui soutient rarement la démarche. « Ma mère, catholique mais non pratiquante, a été choquée quand je lui ai demandé une photocopie de mon acte de baptême, se souvient Thomas, 24 ans. Elle m’a dit que je ne pourrai plus être officiellement parrain, ne pourrai pas me faire enterrer dans un cimetière chrétien ». Preuve qu’il n’apprécie pas le phénomène, le clergé fait aussi tout ce qu’il peut pour freiner la procédure, pourtant garantie par la Commission nationale de l'informatique et des libertés. Mère d’un enfant qu’elle a eu avec sa compagne, Amandine s’est vue répondre par l’évêché d’Arras que celui-ci ne trouvait aucune trace de son baptême. Bien que sûre de la date et du lieu déclarés, elle n’a depuis pas eu de nouvelles malgré ses relances.

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En plus de sa mauvaise foi récurrente, l'Église se révèle parfois même hostile envers les futurs déserteurs. Antoine, qui a listé dans sa demande à l’archevêché de Poitiers plusieurs motifs liés aux droits des femmes et des personnes LGBTI, a reçu une réponse particulièrement méprisante. « Vous avez fait un magnifique copier-coller avec tous les poncifs éculés du texte de la Fédération Nationale de la Libre Pensée […]. Tout cela me semble révélateur d’une personnalité qui ne cherche pas à s’informer, ni à se former, ou encore qui se contente de slogans médiatiques » lui a écrit l'archevêque, parvenant à décourager le jeune homme : « Quand je l’ai reçue, j’ai halluciné : demander un acte légal, garanti par la Loi informatique et libertés, et qu’un vieux con à l’autre bout de la France en profite pour me faire la morale et un doigt d’honneur, je l’ai pris comme une violence de plus », se souvient-il.

Pour Bruno, militant gay qui a envoyé sa demande lors de la Manif pour tous, la tâche a été particulièrement compliquée : « Le premier accueil à l’évêché a été, cela reste gravé : “On ne quitte pas l’Eglise, Monsieur, même si on a fauté”. J’ai été si interloqué que j’ai raccroché ». Après plusieurs courriers, notamment des recommandés, Bruno finit par être rappelé : « On m’a proposé de me recevoir parce que, selon les dires du diacre, c’était un acte grave, que je ne devais pas rompre le contact avec “le créateur de toute chose”. J’ai refusé une nouvelle fois. Quand j’ai rappelé trois mois plus tard, on m’a proposé de me confesser, on m’a dit que je pouvais obtenir le pardon. Le pardon de quoi ? Rien d’autre que le fait d’être pédé, puisque c’était explicite dans mon courrier ». Perdant patience, Bruno menace l’archevêque de rendre l’affaire publique et, comme par l’opération du Saint-Esprit, est rappelé le lendemain pour apprendre que sa demande est en cours de traitement. Sur l’homophobie à peine voilée de l’évêché, il précise : « Je crois que c’est arrivé à beaucoup de monde. J’ai un ami gay à qui on a proposé de consulter un psychologue, il a laissé tomber ».

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Répandre la bonne parole

Face aux difficultés, les déserteurs, élevés en bons chrétiens, partagent leurs conseils sur Internet. Certains deviennent même de véritables militants, et répandent autour d’eux la bonne parole : Nicolas, outragé par les prières de rue de Civitas contre le mariage pour tous, a mis en ligne sa lettre, relayée de nombreuses fois sur les réseaux sociaux : « J’ai dit aux gens “Apostasiez-vous ! Être baptisé, c’est être complice de cette infection-là !” ». De son côté, Christian Andreo a créé une page Facebook dédiée à la débaptisation, postant régulièrement des infos sur la procédure comme sur les violences catholiques. Sans oublier le site Apostasie Pour Tous, qui génère automatiquement des lettres pour ceux qui le souhaitent et permet de choisir, parmi une longue liste documentée et sourcée, des griefs à adresser au clergé.

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Maïc.

Mais un aspect moins connu de l’apostasie, c’est sa dimension culturelle : été 2017, l’artiste Camille Ducellier, connue pour son travail sur la figure de la sorcière, a projeté lors du festival Comme Nous Brûlons un extrait de son film Sorcières mes soeurs – où l’écrivain Chloé Delaume se livre à un rituel d’apostasie – avant de lire un chapitre de son Guide pratique du féminisme divinatoire qui explique avec humour la démarche. Lors du même événement, Maïc a elle animé « un atelier de discussion et de partage » dressant l’état des lieux de l’apostasie en France : « J’avais donné des sites, distribué des modèles de lettres », raconte l’artiste queer. Rappelant comment, dans les années 2000, le groupe des Panthères Roses communiquait régulièrement sur le sujet, Maïc regrette que celui-ci ne soit plus tellement à l’ordre du jour : « Comme on est depuis un moment dans un renouveau ésotérique dans les milieux queers, on pourrait imaginer des cérémonies politiques » espère l’artiste, évoquant avec envie les campagnes et happenings menés par le Temple satanique aux Etats-Unis.

Heureusement pour Maïc, Satan a entendu sa prière : le 21 avril, dans une brasserie de Concarneau en Bretagne, aura lieu Apostazik, un festival anticlérical, féministe et punk bien décidé à faire de l’apostasie une teuf mémorable. Au programme de ce joyeux blasphème : des concerts, un confessionnal, un atelier pour rédiger sa lettre, une performance shibari inspirée de la crucifixion par la dominatrice Misungui Bordelle et une messe de débaptisation. « On a commandé plein d’hosties. On va faire un tampon en forme de chatte et distribuer des hosties chattes au public », explique Lou, membre du collectif informel organisant l'événement qui, sous ses airs humoristiques, n’en est pas moins militant. « On fait ça en soutien aux Argentines qui n’ont pas eu le droit à l’avortement. On s’est toujours attaqué à des sujets durs mais en utilisant l’humour comme levier politique : c’est un outil extrêmement efficace » poursuit l’organisatrice, qui poursuit : « Lors de la première édition il y a 10 ans, une soixantaine de personnes ont envoyé une lettre d’apostasie. L’évêque des Côtes-d’Armor avait même écrit une lettre qui s’inquiétait de la recrudescence des demandes. Organisé le dimanche de Pâques, le festival sera suivi d’un « lundi des survivants de l’Apocalypse », tout aussi hérétique. « On préfère l’anale pascale à l’agneau pascal », résume Lou aux anges. La mort du Christ n’aura jamais été une si belle fête.

Matthieu blasphème aussi sur Twitter .