La nécrophagie comme mode de survie des micro-organismes dans les profondeurs de la mer Morte

Publié par Isabelle le 09/04/2019 à 14:00
Source: CNRS-INSU
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L'étude de la composition de la matière organique préservée dans les sédiments profonds de la mer Morte a permis d'illustrer une stratégie de survie originale pour les micro-organismes qui la colonisent. L'identification de lipides connus pour servir de constituants de réserve, dans les niveaux sédimentaires les plus salins du lac, démontre qu'ils ont été formés par recyclage d'une biomasse morte d'archées. Ce processus permettrait à d'autres micro-organismes de constituer des réserves en carbone et en eau dans cet environnement très pauvre en nourriture et engendrant un important stress osmotique.


Vue aérienne de la côte ouest de la mer Morte ©ICDP

La mer Morte n'est pas complètement morte. Le lac le plus salé sur Terre (plus de 10 fois la salinité de l'eau de mer) est un environnement extrême où seuls quelques microbes du domaine des Archées (halophiles extrêmes) peuvent survivre. Les géologues, (géo)microbiologistes et géochimistes s'intéressent à l'évolution de ce lac et étudient ses sédiments afin de reconstruire son histoire biologique et géologique. Les sédiments salins de la mer Morte recèlent encore de nombreux mystères, notamment autour des formes de vie qu'ils abritent. En raison de leur salinité exceptionnelle, les sous-sols de la mer Morte forment un environnement unique pour étudier les limites de la vie ainsi que ses adaptations en milieu extrême.

Il existe une vaste communauté microbienne vivant sous la surface de la Terre, sans oxygène, sans lumière et sans apports de nourriture fraiche. Cette biosphère souterraine (appelée biosphère profonde) joue un rôle extrêmement important dans les cycles biogéochimiques globaux. Elle est l'objet de nombreuses études scientifiques qui tentent de mieux appréhender son étendue et son fonctionnement, et d'évaluer de potentielles retombées notamment pour la recherche médicale et les biotechnologies.


© Tommy Dessine
Une étude menée par des membres du Département des sciences de la Terre de l'Université de Genève et du Laboratoire de géologie de Lyon (LGLTPE, Université de Lyon, CNRS, ENS Lyon) a permis de mettre en évidence une nouvelle stratégie utilisée par certains micro-organismes, pour survivre dans l'environnement hypersalin et très pauvre en ressources carbonées et en eau que forment les sédiments profonds de la mer Morte. En étudiant la composition moléculaire et isotopique de la matière organique (fossiles moléculaires) préservée le long d'une carotte couvrant plus de 200 000 ans d'histoire sédimentaire, l'équipe Franco-Suisse a identifié des lipides particuliers connus pour servir de constituants cellulaires de réserve, dans les niveaux sédimentaires les plus salins du lac.

La structure chimique de ces composés démontre sans ambiguïté qu'ils ont été formés à partir des produits de dégradation de lipides membranaires d'archées hyperhalophiles. Ce recyclage de la biomasse morte (nécromasse) d'Archaea extrêmophiles, par d'autres populations microbiennes (vraisemblablement des bactéries censées pourtant être moins bien adaptées aux rudes conditions locales), permet de constituer des réserves de carbone dans un environnement très pauvre en nourriture. Elle permet aussi de créer des molécules d'eau (formées lors de réactions d'estérification) pouvant faciliter la survie dans des conditions de très haute salinité qui génèrent un important stress osmotique. L'étude illustre une nouvelle stratégie de survie pour la biosphère souterraine qui, en plus d'améliorer notre connaissance des mécanismes d'adaptation des organismes vivants en milieu extrême, lève un peu plus le voile sur la biosphère profonde que l'on commence tout juste à appréhender.


Schéma montrant la formation d'esters gras isoprénoides à partir des produits de dégradation delipides membranaires, notamment d'archées hyperhalophiles (en rouge), ou de bactéries ou d'eucaryotes (en bleu). Ce recyclage de la biomasse morte (nécromasse) par d'autres populations microbiennes (vraisemblablement des bactéries) permet de constituer des réserves en carbone et en eau dans les sédiments profonds hypersalins de la mer Morte.

Pour en savoir plus:
Le dessinateur Tommy Dessine a réalisé une bande dessinée sur cette recherche, à voir sur son site.

Référence publication:
Thomas C., Grossi V., Antheaume I., Ariztegui D., Recycling of archaeal biomass as a new strategy for extreme life in the Dead Sea deep sediment. Geology (2019) doi: 10.1130/G45801.1

Contact chercheur:
- Camille Thomas, Université de Genève
- Vincent Grossi, LGL-TPE
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