Une photographe immortalise la disparition d’un lac en Iran, la terre de son enfance

Depuis 2014, la photographe Solmaz Daryani documente l'agonie d'un lac au bord duquel elle a passé son enfance. Berceau familial jadis prospère, Ourmia, situé au nord-ouest de l'Iran, ressemble aujourd'hui à un désert de sel et de sable. Avec mélancolie, elle se replonge dans ses souvenirs de jeunesse. Un reportage complet à lire dans Polka#45.

Lac d'Ourmia, Iran, 2014. A cette époque, le niveau de l'eau était encore assez haut pour la baignade, près du port de Sharafkhaneh. La tante de la photographe Solmaz Daryani pouvait encore s'y rafraîchir.
© Solmaz Daryani.

Le photographe iranienne Solmaz Daryani est originaire de Sharafkhaneh, un petit port du lac d’Ourmia, situé près de l’Azerbaïdjan. C’est là que ses parents sont nés et que sa grand-mère vit toujours. Mais la baisse du niveau de l’eau, due au réchauffement climatique, au manque de pluie et à une mauvaise gestion des ressources naturelles, a obligé les Daryani à quitter progressivement les lieux.

Port de Sharafkhaneh, Iran, 1992. La photo a été prise par le père de Solmaz Daryani. Au loin, l'imposante structure, qui porte le nom de “Tal”, servait à réparer les navires dans l’eau.
© Solmaz Daryani Archives.
La photographe de 32 ans a pris une autre image, en 2018, du même point de vue. Le niveau de l'eau baisse en moyenne de 40 centimètres chaque année, soit près de huit mètres entre 1995 et 2015.
© Solmaz Daryani.

Les grands-parents de la photographe possédaient un hôtel à 200 mètres de la côte. En regardant par les fenêtres, la petite Solmaz pouvait admirer il y a vingt ans encore une étendue d’eau de plus de 5.000 kilomètres carrés. Mais, depuis 1995, le sixième plus grand lac salé du monde a rétréci de moitié et les riverains doivent désormais marcher trois kilomètres pour trouver un endroit où se baigner.

Solmaz Daryani a débuté son projet sur le lac d’Ourmia en 2014. Son tout premier cliché? Une image de son grand-père, Seyed Agha, qui entre dans la cour de son hôtel.
© Solmaz Daryani.

“Mon grand-père avait nommé son hôtel Darya, qui signifie ‘mer’ en farsi.” Avec le rétrécissement du lac, les touristes se sont faits de plus en plus rares. Faute de visites, l’établissement a fermé en 2009. “En réalité il n’y avait plus personne depuis longtemps. Chaque année, ils préparaient les chambres, mais seules une ou deux familles venaient l’été. C’était si triste”, précise la photographe.

Le grand-père Daryani, Seyed Agha, ici en 2015, vivait de la location des chambres et de petites embarcations de plaisance en forme de cygne. Il est décédé en octobre 2018.
© Solmaz Daryani.
Narges Daryani, la grand-mère de la photographe ici en 2017, avait hérité de son père un terrain cultivable près du lac. Avec la salinité de l'eau trop importante et l'assèchement, elle a fini par le vendre.
© Solmaz Daryani.
Lorsque la région et l’hôtel familial accueillaient encore des touristes, Narges Daryani gardait les numéros d'urgence dans un cahier. Ne sachant pas lire, elle utilisait des dessins pour désigner les professions des contacts.
© Solmaz Daryani.

Jeune fille, Solmaz Daryani vivait à Tabriz, à quelque 90 kilomètres du lac. Elle a passé tous ses week-ends, toutes ses vacances à Sharafkhaneh. Elle y a appris à faire du vélo, à grimper aux arbres et à nager. En 2014, devenue photographe, elle a commencé à sillonner les terres de son enfance pour conserver une trace du passé et rendre compte de l’impact de l’homme sur l’environnement.

D'autres établissements touristiques étaient installés au bord du lac d'Ourmia, comme cette maison de thé.
© Solmaz Daryani.

“Le lac, c’était notre mer à nous. On ne parlait jamais de lac, d’ailleurs. On disait ‘on va à la mer’ lorsqu’on partait à la plage”, se souvient-elle. Un de ses oncles possédait une entreprise de location d’embarcations pour les touristes. Comme beaucoup d’autres, il a dû mettre la clé sous la porte et quitter la petite ville de Sharafkhaneh pour s’installer à Téhéran, en 2005.

Solmaz Daryani, à l’été 1990, entourée de sa famille sur la plage de Sharafkhaneh. C'est la petite fille en robe, au premier plan.
© Solmaz Daryani Archives.
L’oncle de la photographe, debout, reconduisait les invités de la famille en bateau pour qu’ils gardent un beau souvenir de Sharafkhaneh. Ici en 1982.
© Solmaz Daryani Archives.

“Jusqu’au bout, jusqu’à sa mort, en octobre 2018, mon grand-père a rêvé de revoir le lac tel qu’il l’avait connu. Dès qu’il pleuvait, il avait l’espoir qu’il revivrait.” Aujourd’hui, bien que le niveau soit légèrement remonté, l’écosystème a été totalement modifié. Pour autant, la photographe souhaite continuer de documenter les oscillations de cette eau qui l’a vue grandir.

Image prise à l’intérieur du navire délabré “Noah’s Ark”, échoué à cinq kilomètres de la côte. C’était le plus gros bateau de plaisance du lac.
© Solmaz Daryani.
Ces poteaux d'amarrage en bois accueillaient jadis les bateaux du port de Sharafkhaneh. En 2015, l'eau avait déjà beaucoup reculé.
© Solmaz Daryani.
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