Candidat improbable à la victoire jugée impossible, Donald Trump a pris de cours tous les experts et commentateurs en remportant l’élection présidentielle américaine en 2016. Une surprise telle qu'elle a permis par la suite de nourrir des ambitions et des espoirs chez des citoyens américains qui n'auraient autrefois pas osé rêver se lancer en politique. En réaction à la politique ultra conservatrice et hostile de Donald Trump, de nouveaux profils démocrates ont ainsi émergés ces derniers mois. Plus jeunes, issus de minorités, inconnus du grand public et en majorité féminins, ces visages de l’aile gauche incarnent un souffle nouveau dans le paysage politique américain.

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Un record de candidatures féminines au Congrès à mi-mandat

C’est ce qui s’est produit lors de la campagne des Midterms, les élections de mi-mandat, qui se sont tenues le 6 novembre 2018. Des candidats charismatiques, nouvellement lancés en politique, ont séduit un électorat jeune et progressiste, à l’instar d’Alexandria Ocasio-Cortez, hispanique de 29 ans originaire du Bronx, l’avocate amérindienne et ouvertement lesbienne Sharice Davids ou encore l’Américano-somalienne Ilhan Omar, qui se définissait comme "l'espoir de l'Amérique et le cauchemar du président".

Toutes démocrates, elles ont remporté leur place au Congrès américain à la fin de l’année 2018. Pour ces élections, il y a d’ailleurs eu un nombre record de candidatures féminines, avec, selon les chiffres du Center for American Women in Politics, 234 femmes candidates, dont 187 démocrates, à la Chambre des représentants. Une proportion conséquente qui peut être expliquée, en partie, par l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche, à sa misogynie décomplexée et à sa politique agressive et ultra conservatrice.

C’est ce qu’expliquait, en septembre 2018, Amy McGrath, candidate démocrate à la Chambre des représentants pour le 6e district du Kentucky, rencontrée par Libération : “Je ne me suis pas lancée en politique parce que c’était mon rêve de petite fille mais parce que notre pays mérite de meilleurs dirigeants”. Pour Hélène Quanquin, professeure à l'Université de Lille en civilisation et histoire des Etats-Unis et spécialiste des mouvements féministes américains, “il est clair que la présidence de Trump a été un électrochoc pour beaucoup”.

Un climat social favorable

Toutefois, cela ne peut se limiter à cette seule raison. “Le résultat des élections des Midterms est aussi lié à un engagement citoyen fort, né il y a quelques années autour des questions de la violence policière, avec le mouvement Black Lives Matter, ou du mouvement Occupy, contre les inégalités économiques et sociales, par exemple”. On peut également parler de l’affaire Weinstein, du mouvement #MeToo et de l’affaire Brett Kavanaugh, plus récemment. Dès lors, une certaine frange de la population s’est sentie concernée et s’est rendue plus visible, en s’impliquant dans ces causes, n’hésitant pas à descendre dans la rue.

La nouveauté du contexte actuel tient à la convergence entre les questions liées à la classe sociale, celles liées aux discriminations (contre la communauté noire, contre les femmes, contres les trans) et les enjeux environnementaux” note Hélène Quanquin. Par ailleurs, l'émergence d’un candidat plus à gauche que celui de l’establishment démocrate, Bernie Sanders, en 2015, a changé la donne : “Ça a également montré qu'il y avait de la place pour un discours comme le sien. Sa campagne a également beaucoup mobilisé chez les jeunes” poursuit Hélène Quanquin.

Objectif 2020 : cinq femmes pour une primaire déjà historique

En ce début d’année 2019, déjà huit candidats majeurs se sont lancé dans la course aux primaires démocrates, parmi lesquels cinq femmes. Une proportion inédite qui reflète la nette montée en puissance des figures féminines au sein du parti. “C'est d'ores et déjà une primaire historique par le nombre de femmes qui ont déclaré leur candidature et par la diversité des candidats et candidates et cela n'est certainement pas terminé”, estime Hélène Quanquin, pour qui le renouveau politique américain est déjà acté.

Première femme à avoir déclaré son intention de briguer l’investiture démocrate, le 31 décembre 2018, Elizabeth Warren, 69 ans, est sénatrice du Massachusetts. Cette ancienne professeure de droit à Harvard s’est illustrée pour son engagement en faveur d’une  régulation du système financier et de Wall Street, après la crise financière de 2008. En 2017, au Sénat, le leader de la majorité l’avait sermonnée : “Elle a été avertie. On lui a donné une explication. Malgré tout, elle a persisté”. Une phrase qui est depuis devenue un slogan féministe, scandé dans les manifestations anti-Trump.

Représentante du deuxième district d'Hawaï depuis 2013, Tulsi Gabbard, 37 ans, est une vétérane de la garde nationale, déployée en Irak. Elle est la première hindouiste et Samoane américaine élue au Congrès et a soutenu Bernie Sanders lors de la primaire démocrate de 2016.

Autre figure : Kirsten Gillibrand, 52 ans, devenue sénatrice de l’Etat de New-York en 2009, lorsque sa prédécesseure, Hillary Clinton, est devenue la secrétaire d’Etats sous l’administration Obama. Son plus grand engagement est celui pour les droits des femmes. Elle a été surnommée la “sénatrice #MeToo” par CBS. Avant même le début de ce mouvement, Kirsten Gillibrand luttait contre le sexisme, le harcèlement et les agressions sexuelles dans l’armée, à l’université et en politique.

Kamala Harris, 54 ans, s’est déclaré sa candidature le jour de Martin Luther King, fêté chaque année le troisième lundi de janvier. La sénatrice de Californie, de parents originaires d’Inde et de Jamaïque, est un modèle de pugnacité. L’ancienne procureure générale de Californie soutient ouvertement le mouvement Black Lives Matter, maîtrise très bien les questions d’immigration et s’oppose au mur que Donald Trump veut faire construire à la frontière mexicaine.

Enfin, Amy Klobuchar, 58 ans, sénatrice du Minnesota, est une ancienne avocate et procureure, qui se mobilise notamment dans la lutte contre le changement climatique.

Toutes se placent en ferme opposition à la politique de Trump et font pencher l’aiguille du parti démocrate plus à gauche que par le passé, en étant en faveur d’un système de santé universel, d’un contrôle renforcé des armes à feu et des droits des femmes et des minorités. Pourtant, comme l’indique Hélène Quanquin, “leur profil ne les plaçait pas forcément à gauche du parti” mais leurs positions s'affinent dans cette direction, sur des questions majeures : “sur le système de santé, sur la question environnementale, la question de la répartition des richesses, de l'immigration…” Rien n'est encore gagné, comme l'indique Hélène Quanquin, évoquant certaines de leurs faiblesses : "Propos controversés de Tulsi Gabbard, polémiques sur les origines amérindiennes d'Elizabeth Warren, ou encore politique très stricte et controversée de Kamala Harris lorsqu'elle elle était procureure en Californie." Autre bémol de taille : ces cinq candidates vont devoir affronter des poids lourds du parti démocrate.

A leurs côtés, les candidats masculins affichent également une certaine diversité, avec l’hispanique Julian Castro, le premier candidat démocrate ouvertement homosexuel, Pete Buttigieg, ou l’afro-américain Cory Booker. Alors que Bernie Sanders vient de rallier les rangs des prétendants le 19 février, d’autres annonces de candidatures sont attendues, comme celle de Joe Biden, ou l’ex-maire de New York, Michael Bloomberg. De quoi encore bousculer la donne d’ici février 2020, date à laquelle s’ouvrira la primaire du parti.