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«Le Grain et l'Ivraie» : l'Argentine malade du glyphosate

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Dans son documentaire qui sort ce mercredi au cinéma, le cinéaste et homme politique argentin Fernando Solanas filme le désastre sanitaire, écologique et social qui frappe son pays depuis l'adoption d'un modèle agricole basé sur les monocultures de soja OGM arrosées de pesticides.
par Coralie Schaub
publié le 9 avril 2019 à 18h41

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Jusqu'à quand serons-nous complaisants avec la mort ? La phrase est dite d'une voix douce, calme, chantante, celle de l'un des grands noms du cinéma argentin, Fernando Solanas. Elle claque, pourtant, cette interrogation à laquelle pourraient s'ajouter moult points d'exclamation, qui conclut le Grain et l'Ivraie. Dernier volet d'une série documentaire commencée en 2002 par le réalisateur sur la crise économique qui ruine son pays, le film sort sur les écrans de cinéma français ce mercredi. Ce «voyage chez les peuples soumis aux fumigations» documente le cataclysme sanitaire, écologique et social que subit l'Argentine depuis l'arrivée massive du soja transgénique de l'Américain Monsanto (désormais propriété de l'Allemand Bayer), en 1996.

Cancers et malformations fœtales

La pulvérisation aérienne et exponentielle de centaines de millions de litres d'herbicide Roundup Ready sur les millions d'hectares de monocultures de ces plantes rendues résistantes au glyphosate provoque des ravages inouïs. Le nombre de cancers (estomac, poumons, œsophage, gorge), de fausses couches ou de malformations congénitales explose. Les médecins assistent, désemparés, à la naissance de bébés nés avec les intestins dehors, cyclopes, sans membres ou encore atteints de sirénomélie (une malformation fœtale souvent fatale dont le symptôme le plus spectaculaire est la fusion des membres inférieurs). Les directrices d'écoles, en larmes, confessent leur «sentiment d'impuissance et de solitude absolue», alors que les avions déversent leurs poisons en toute impunité, à un jet de pierre des cours de récréation remplies d'enfants.

Le désert vert du soja n'abrite pas une «mauvaise herbe», pas un insecte, pas un oiseau, pas même des humains. Fermiers et apiculteurs ont dû migrer en masse. Et ceux qui avaient misé sur le nouveau «modèle» d'agriculture chimique ont souvent dû jeter l'éponge, étranglés par leurs dettes. En cause, une hausse constante du prix des intrants, conjuguée à une baisse des prix sur le marché international. Le soja est exporté pour engraisser les animaux d'élevage du monde entier, mais aussi et surtout les multinationales, lesquelles pratiquent au passage une évasion fiscale qui fait perdre à l'Argentine un tiers de la valeur de sa récolte, affirme Solanas. Qui est aussi un homme politique classé à gauche et préside depuis 2013 la commission du développement durable au Sénat argentin.

Alternatives

Son film n'apprendra pas grand-chose à ceux qui ont vu les documentaires de Marie-Monique Robin, en particulier le Roundup face à ses juges, sorti en 2017, au sujet du tribunal citoyen qui s'est tenu en 2016 à La Haye et où témoignait déjà Damián Verzeñassi, un docteur en santé publique argentin qui a mené une vaste enquête épidémiologique dans son pays. Ni à ceux qui avaient visionné en 2016 sur Arte le film OGM, mensonges et vérités. Mais il a le mérite de citer des alternatives écologiques, au succès grandissant (l'Argentine se hisse au 2rang mondial en matière de surfaces certifiées en agriculture biologique, nous apprend le documentaire). D'être sensible, personnel, touchant, parfois faussement candide. Et d'être en VO. De quoi nous laisser bercer, malgré la rudesse du sujet, par le timbre suave de celui qui a déjà été primé à Cannes, Venise ou Berlin.

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