L'affaire a été révélée mi-février, quelques jours après le discret Safer Internet day qui devait amorcer une mobilisation sur le thème « Les écrans, les autres et moi ». Un article sur le site de Libération racontait le cyber-harcèlement dont ont été victimes, principalement, des femmes journalistes de la part d'une petite meute de collègues influents sur Twitter, auteurs de photomontages, humiliations, insultes…

Une multitude de témoignages ont suivi, décrivant le silence auquel elles ont été contraintes pendant des années. Puis ce fut une déferlante de tweets obscènes à l'endroit de Cécile Duflot après son témoignage au procès de Denis Baupin. Ou plutôt celui des femmes qui l'avaient accusé d'agression et qu'il accusait de diffamation. Elle twittait : « Je me demande : ça va où tous ces trucs qui t'écorchent les yeux ? Ça t'abîme comment ? Porter plainte ? Déjà fait mais… ça coûte cher au cas où vous ne le sauriez pas. Alors tous les ligueurs du trash lol repentis, si vous aviez une solution en plus des regrets… »

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Harceler les harceleurs

Ces violences virtuelles abîment comme les autres. Elles font peur, mal au ventre, réduisent au silence. Et à la différence des autres, elles restent visibles de tous, hypermnésie d'Internet oblige. Delphine Meillet est avocate, spécialisée dans la protection de la vie privée. « Dans le domaine du harcèlement intime, dit-elle, je n'ai que des femmes. Jamais d'hommes. Je vois beaucoup de cas de vengeance, de revenge porn. » Pourtant, depuis 2014, la loi pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes a institué un délit spécifique au harcèlement sur Internet puni de deux ans de prison et 30 000 euros d'amende. Mais le sentiment d'impunité perdure : « On est dans un monde virtuel. Ils se disent : “Qui va venir me chercher ?” On ne fait pas un cambriolage, mais c'est un viol de la vie privée. » 

Il faut savoir comment ça se passe : une jeune fille de 15 ans qui va au commissariat, on lui dit : T'aurais jamais dû poster ça.

Les condamnations existent, « mais c'est long, il faut tenir le coup. Il faut savoir comment ça se passe : une jeune fille de 15 ans qui va au commissariat, on lui dit : “T'aurais jamais dû poster ça.” Presque toutes me racontent qu'elles sont tombées sur un policier qui ne voulait pas prendre leur plainte. Pour eux, ce n'est pas dramatique. » La Cnil recommande de signaler les contenus « inappropriés » aux plateformes. Mais un testing du Haut Conseil à l'égalité entre les hommes et les femmes estime que 92% des signalements n'étaient suivis d'aucune suppression. Depuis que notre identité numérique parle pour nous, des entreprises de « e-reputation » fleurissent. Stéphane Alaux, dirigeant de Net wash, reçoit des femmes « affolées ». Il dit être « le seul en Europe » à proposer une solution « qui marche à chaque fois : harceler le harceleur ». Il cite cette hôtesse de l'air « que son ex menaçait de publier photos et vidéos érotiques. Nous lui avons demandé des documents, informations, sur son travail, ses collègues… Elle n'avait pas de photos sexuelles, on en a pris au hasard sur Internet et créé un blog avec des textes salaces. On l'a contacté : “On vient de t'envoyer un e-mail, regarde et on te rappelle.” Je rappelle et je dis : “Je suis au courant de ce que tu fais à Mlle Untel, t'as une heure pour tout retirer.” » Pas téméraires, ces harceleurs reculent à chaque fois. Nous préférerions que la loi soit appliquée.

Le cyber-harcèlement en chiffres

73
C'est le pourcentage de femmes qui ont déclaré avoir été victimes de violences en ligne, selon un rapport de l'Onu.

1 sur 3
C'est le nombre de femmes qui disent avoir été menacées par leur partenaire ou par un ex de diffusion de contenus intimes. 15 % déclarent qu'on a exigé de filmer des pratiques sexuelles sans leur accord et 16 % que ce contenu intime a été diffusé contre leur gré.

8
C'est le pourcentage de messages sexistes supprimés après signalement, selon le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes. 11 % sur Facebook, 13 % sur Twitter… et 0 % sur Youtube.

2013
C'est l'année où a été créé sur Twitter le bouton « Signaler un tweet problématique », après une affaire d'appels aux viols répétés contre une militante féministe.