Assise là au bord du canapé avec le dos bien droit pour ne pas toucher le dossier, les mains à plat sur les jambes, la robe tirée, elle incarne la jeune fille soudanaise bien élevée. Sa mère, du reste, tassée dans un fauteuil non loin, garde un œil vigilant sur la situation et semble satisfaite. Il faut juste capter l’éclair du regard d’Alia pour comprendre ce qui l’anime en réalité. C’est un volcan qui aurait choisi sa manière d’entrer en éruption : calmement, posément, mais avec tout le feu de la Terre.
Elle aurait pu être cette jeune femme que tout le Soudan connaît et admire, prise en photo le 8 avril, en train de haranguer une mer de manifestants depuis le toit d’une voiture, chantant des chansons à la gloire de la « révolution », habillée de façon à rappeler, en effet, les grands mouvements populaires qui ont contribué à jeter à bas deux régimes militaires, en 1964 et 1985, au Soudan.
Depuis, elle incarne celles qu’on appelle les « kandakas » – c’était le titre des reines mères du royaume de Koush, qui a érigé des dizaines de pyramides à trois heures de route au nord de Khartoum, et donné au pays, juste avant l’ère chrétienne, une impératrice qui avait défait les légions romaines d’Auguste.
Lorsqu’elle sort manifester, Alia, rencontrée il y a deux semaines, est habitée par toute cette histoire, mais aussi par la notion que les femmes du Soudan ont encore plus à gagner dans le combat en cours que les hommes. Elles sont d’ailleurs les plus nombreuses dans les manifestations.
Mais aussi à l’université, comme l’a découvert un professeur qui a piraté le système du ministère de l’éducation, et obtenu des statistiques généralement confidentielles. « Au total, il y a 76 % de filles. Elles sont majoritaires presque partout, même en médecine, en architecture, en agriculture. Elles sont plus éduquées que les hommes et leur place est, à l’inverse, plus petite. Il est évident que c’est intolérable ! », s’exclame cet enseignant, vétéran de la révolution de 1985, qui travaille à présent à des prototypes d’étoiles en fer pour crever les pneus des véhicules des forces de sécurité afin de les neutraliser lorsqu’ils poursuivent, par exemple, les jeunes filles.
Alia rit, sourit, mais ce combat est d’une dureté extrême. Dans les manifestations, à Khartoum, on a tué son frère, Babiker Abdelhamid. Il était médecin, avait 27 ans, et tentait de venir en aide à des gens blessés par les forces de sécurité dans le quartier de Burri. Il a été abattu. Les médecins, au Soudan, sont des cibles pour les forces loyales au président Omar Al-Bachir, qui ont commis de graves atrocités dans d’autres parties du pays depuis trente ans.
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