Participate Translate Blank profile picture
Image for L'Albanie : nouvel eldorado des résistants iraniens

L'Albanie : nouvel eldorado des résistants iraniens

Published on

Editors PickSociety

Après avoir vécu les attaques sanglantes des milices gouvernementales en Irak, pays qui les hébergeait précédemment, un groupe d’opposants au régime iranien s’est installé en Albanie avec l’aide de l’ONU, qui a mandaté le Haut-Commissariat pour les réfugiés des Nations-Unies. Là, ils y ont récréé un foyer, une société et des valeurs à l'opposé de la politique des mollah. En préparant leur retour ? À Achraf-3, nom du nouveau refuge, un militant nous raconte son combat.

Qu’importe si le chemin est long et semé d’embuches, Mohammad Shafaei a fait de la liberté de son antique pays l’engagement de sa vie. Cet Iranien spécialiste en informatique vit depuis un peu plus d’un an à Achraf-3, une petite cité récemment construite en Albanie pour héberger quelque trois milles membres de l’opposition iranienne. « La cité d’Achraf-3 est la dernière station dans notre long voyage pour renverser la dictature, confie sur un ton résolu le jeune militant au regard souriant, mais déterminé. C’est le lieu de rassemblement des démocrates iraniens qui ont subi les pires exactions sous le régime totalitaire et ont décidé, aujourd’hui, d'agir efficacement pour le changement politique en Iran. »

Achraf-3, un miracle sur la terre de Mère Teresa

L’histoire de Mohammad est celle des souffrances et des combats de milliers d’hommes et de femmes de l’Organisation des Moudjahidine du peuple iranien (OMPI). Ce mouvement historique de résistance au régime de la République islamique d’Iran s’exilait depuis les années 1980 en Irak. Selon eux, les Occidentaux, qui poursuivaient une politique de complaisance avec Téhéran (capitale d’Iran, ndlr), ont détourné leurs regards des massacres répétés sur ces militants désarmés par les milices et les forces spéciales irakiennes alliées à l'Iran. Mais en 2016, un pays d’Europe a entendu les cris d’alerte des réfugiés de l’OMPI.

Lire aussi : « La Bosnie et les réfugiés : les portes du pénitencier »

« Finalement, l’Albanie, qui a elle-même vécu des épisodes d’oppression dans son histoire, a répondu à l’appel des Achrafiens, explique Mohammad, qui a perdu la plupart des membres de sa famille en Iran. La réussite de l’évacuation à Tirana des 3000 survivants a provoqué la colère des mollahs, les religieux qui gouvernent l’Iran. Ils s’étaient acharnés à nous anéantir par plusieurs assauts et des attaques à la roquette, doublés d’un blocus médical cruel. Le bilan fut lourd pour notre communauté, avec au total 167 morts et 1400 blessés. »

« Nous apporter de l'aide est passible de peine de mort en Iran »

Mohammad, résistant au régime iranien.

Dans le petit pays qu'est l’Albanie, terre d’origine de Mère Teresa, le cœur du peuple est grand. Pour la première fois, le gouvernement ainsi que ses opposants se sont unis pour donner refuge à l’OMPI. Les Achrafiens survivants de l’Irak ont acheté des terrains sur la côte de l’Adriatique, à 45 minutes de la capitale Tirana, pour y installer leur nouveau foyer. Nous sommes alors en novembre 2017 et il n’y a ni eau, ni électricité. « On a dû acheminer de l'eau par canalisations sur une distance de 12 km, en installant un système complexe de pompage, de purification et de stockage pour fournir au camp un approvisionnement constant en eau propre et potable », explique Mohammad, qui a lui aussi participé à l'édification du nouveau siège de l’OMPI sur ce qui n’était au départ qu’un vaste champ de boue.

À force de talent et d'énergie, les résistants iraniens ont érigé leur nouvelle ville en douze mois. Bien aidés par les fonds apporté par la communauté elle-même et quelques soutiens en Iran, malgré les risques que cela comporte. « Apporter une aide financière à l’OMPI est passible de peine de mort en Iran. Un sympathisant, Gholamreza Khosravi, a été exécuté pour avoir collecté des fonds pour la chaîne de télévision de la Résistance », s’indigne Mohammad.

Graduellement, de grandes salles de réunion, des cliniques, des magasins, des cuisines, des boulangeries et des installations sportives sont sortis de terre. Un réseau de voies piétonnes et d’avenues, des massifs fleuris et des fontaines ont miraculeusement transformé le terrain en une petite cité moderne et accueillante. Désormais, les Achrafiens ont une maison et se sont intégrés parmi la population locale. Les Albanais ont aussi découvert l’art et la culture persane avec les Iraniens, qui organisent régulièrement dans le camp des activités culturelles et politiques autour du thème de la Résistance. « Les Albanais respectent notre lutte. Dans mes échanges avec eux, j’essaie d’en apprendre aussi sur leur histoire et leur richesse culturelle », affirme Mohammad avec enthousiasme.

L’Histoire de ces deux peuples n’est d’ailleurs pas si éloignée. Norouz, le nouvel an iranien, est également fêté dans ce pays. L’Albanie, qui rassemble près de 4 millions d’âmes, a également connu des épisodes d’oppression et d’injustice dans son histoire. Le célèbre Skanderbeg, père fondateur de l’Albanie et symbole de Résistance, a dirigé au 15ème siècle l'épopée héroïque de ce peuple contre l’occupation ottomane. Dressant au-dessus du château royal le drapeau de ses armoiries (rouge avec un aigle noir bicéphale), il aurait prononcé ces paroles à son peuple : « Je n'ai pas apporté la liberté, je l'ai trouvée ici parmi vous. »

Un mouvement dirigé par des femmes

Sur les trois milles habitants d’Achraf-3, un tiers sont des femmes. Le plus jeune des militants a 22 ans et le plus âgé, 73. Débarqués d'Irak par avion, ils sont nombreux à souffrir de blessures infligées au cours des attaques répétées par les milices islamistes à la solde de Téhéran. « Le blocus médical auquel ils étaient soumis a aggravé leur situation », déplore Mohammad.

Leur énergie et leur conviction a fait de ces résistants une source d’espoir pour les 80 millions d’Iraniens qui aspirent à la fin de l’oppression islamiste. Leurs valeurs désormais défendues par les Achrafiens, ils y voient un symbole de la démocratie et un élan pour faire de l'Iran un pays de liberté et de justice. Le régime des mollahs a accusé l’OMPI, et ses réseaux de sympathisants en Iran, d’être à l’origine des révoltes populaires qui ont embrasé le pays entre décembre 2017 et janvier 2018. Celles-ci se sont poursuivies depuis par des grèves et des protestations contre la vie chère et le despotisme. Suite à l’action de l’OMPI, des « foyers de la Résistance » se sont développés à l’intérieur du pays et participent aux mouvements sociaux et autres manifestations. Le mouvement rejette toute intervention étrangère et s’appuie sur la résistance de l’intérieur pour faire avancer l’option du changement de régime pour et par le peuple iranien. En réaction, le Guide suprême des mollahs, Ali Khamenei, accusait d'« hypocrites » les opposantes à son régime. « Hypocrites » est un terme péjoratif religieux utilisé par les mollahs pour désigner l’OMPI et souligner qu’ils ne sont pas de vrais musulmans.

Lire aussi : « Grèce-Albanie : comme un aimant »

Cela fait désormais 40 ans que le mouvement OMPI se dit victime d’une politique d’extermination physique et d’une campagne de diabolisation virulente de la part du régime. Accusés par Téhéran d’être une « secte », « en guerre contre Dieu (mohareb) » et « soutien des États-Unis », plus de 30 000 prisonniers politiques sympathisants de l’OMPI ont été exécutés dans la seule année de 1988. L'organisation Amnesty International a dénoncé un crime contre l’humanité et exigé des autorités iraniennes qu'elles cessent de détruire les dizaines de fosses communes pour effacer les traces de leur barbarie. Le Guide suprême vient même de nommer l’un des principaux auteurs du massacre de 1988, Ebrahim Raïssi, à la tête du pouvoir judiciaire.

Les ONG de défense des droits de l'homme condamnent également le régime d’Ali Khamenei pour avoir condamné à 38 ans de prison et 148 coups de fouet Nasrin Sotoudeh, une avocate iranienne lauréate du prix Sakharov en 2012 pour ses activités pacifiques contre les injustices. Mohammad Shafaei a lui aussi payé un lourd tribut pour la cause des droits humains en Iran. Avec sa sœur Zohreh, ils sont les seuls survivants d’une famille de six personnes, décimée dans la sanglante répression menée en Iran dans les années 1980.

« Comment ce camp d'Achraf et ses 3 400 personnes peut-il provoquer une telle hystérie meurtrière de la part des mollahs ? »

Jean Ziegler, sociologue suisse

« Mes parents, ainsi que Majid, mon frère de seize ans, ont été exécutés avec une cinquantaine d’autres sympathisants de l’OMPI en aout 1981. Un an plus tard, mon autre frère, Javad, un étudiant de 27 ans, a succombé sous la torture à la prison d’Evine. Ma sœur de 24 ans, Zahra, et son mari, des universitaires, ont été assassinés en pleine rue, se souvient Mohammad. Mon père, Morteza, était un médecin très apprécié à Ispahan et ne supportait pas l’obscurantisme des _mollahs. Ma mère, Effat, était une militante des droits des femmes et avait participé aux manifestations contre le port obligatoire du voile en mai 1979._ »

Dirigé par les femmes, le mouvement OMPI se veut l’antithèse du régime des intégristes, qui voit dans l'égalité des sexes une menace existentielle pour le pays. « Le combat pour l’égalité passe par le changement de régime et les femmes l’ont bien compris, souligne Mohammad indigné contre la misogynie des mollahs. Les Iraniennes s’imposent aujourd’hui comme une force du changement et la participation remarquable des femmes dans les manifestations récentes en Iran a été signalée par les autorités comme la force motrice du mouvement de ras-le-bol qui exige la fin du régime du Guide suprême. » L’OMPI a fait de la participation égale des femmes à la direction politique du pays le socle de son projet de société.

L'Iran, paria de l'Europe

En Albanie, Mohammad est membre de l’équipe de recherche en informatique de la Résistance. Son activité consiste à aider les utilisateurs en Iran à contourner la censure sur Internet. « Le pouvoir cherche à restreindre l’accès à la Toile pour empêcher les opposants d’organiser ou guider des manifestations et des grèves », explique-t-il. La chaîne télévisée de la Résistance est diffusée sur Telegram, la messagerie cryptée la plus populaire du pays. Selon Mohammad Shafaei, « Telegram regroupe près de 40 millions d'utilisateurs en Iran, soit environ un habitant sur deux dans un pays où Facebook et Twitter sont également bloqués, mais accessibles à l'aide d'un VPN » (connexion permettant de créer un réseau privé virtuel, ndlr).

Il ne se passe pas une semaine sans que les médias du régime ne mettent en garde contre le danger des activités de l’OMPI. L’agence de presse officielle, FARS, écrivait le 10 mars dernier que « Le cyberspace et surtout les réseaux sociaux constituent aujourd’hui le principal terrain d’opérations des hypocrites (Moudjahidine du Peuple). En tirant profit des capacités de leur effectif de deux à trois milles membres en Albanie, ils utilisent le principal moyen dont ils disposent pour influencer la société iranienne ». L'Iran est une société jeune, urbanisée, féminisée et surtout connectée et ouverte en permanence vers le monde grâce à Internet. Mais un obstacle majeur freine son dynamisme et ses immenses potentialités : l’emprise du religieux sur la politique.

Jean Ziegler, célèbre altermondialiste et sociologue suisse, déclarait au sujet d’Achraf, après deux massacres survenus contre ses habitants : « Comment ce camp d'Achraf et ses 3 400 personnes peut-il provoquer une telle hystérie meurtrière de la part des mollahs ? La réponse est (…) que s’il y a quelque part un foyer, même réduit numériquement, démographiquement, territorialement, un foyer qui rayonne les valeurs démocratiques, qui rayonne les valeurs de la liberté, qui rayonne les valeurs de la solidarité internationale, c’est intolérable pour chaque tyrannie, puisque c’est ce foyer-là qui détruit en permanence la légitimité du régime tyrannique. Les mollahs ont bien compris le danger que représente Achraf. »

En 2019, l’acharnement du régime contre le mouvement reste intact. S’il emprisonne et torture les sympathisants au sein du pays, il ne renonce pas à recourir au terrorisme à l’étranger, ciblant ses opposants par des attentats en Albanie, France, Belgique, Pays-Bas, Danemark et Norvège. Le 8 janvier dernier, le Conseil de l’Union européenne a décidé à l’unanimité d’inscrire sur la liste européenne du terrorisme une entité du ministère iranien du Renseignement, impliqué dans l’organisation de projets d’attentats de grande envergure contre les rassemblements du mouvement à Tirana et à Paris, respectivement en mars et juin 2018. 

La présidente de l'OMPI, Maryam Radjavi, ainsi que de nombreuses personnalités internationales qui ont pris fait et cause pour le mouvement, ont été la cible de ces attentats déjoués. L’ambassadeur iranien en Albanie a été expulsé par le gouvernement du pays, qui compte protéger ses réfugiés. Par ailleurs, Assadollah Assadi, un haut diplomate iranien à l’ambassade de Vienne, a été arrêté par les services de renseignement européens et attend son procès en Belgique. Il avait remis un puissant explosif aux auteurs du projet d’attentat à Paris (Villepinte), déjoué avant sa mise en oeuvre.

Dans son intervention lors du rassemblement de dizaines de milliers d’Iraniens de la diaspora, Maryam Radjavi avait élaboré le programme pour un Iran Libre : « Nous appelons à édifier une société dont la trame sera constituée de liberté, de démocratie et d’égalité. Et dont les lignes rouges seront la démarcation avec la tyrannie et la dépendance, les discriminations sexuelles, ethniques et de classe. Nous avons défendu et défendons l’égalité des femmes et des hommes, le droit de choisir librement ses vêtements, la séparation de la religion et de l’État, l’autonomie des minorités, l’égalité des droits politiques et sociaux de toute la nation iranienne, l’abolition de la peine de mort, la liberté d’expression, de partis, de la presse et d’assemblée, la liberté d’unions, d’associations, de conseils et de syndicats. »

Alors qu’ils ont célébré le 21 mars le Nouvel An iranien, coïncidant avec l’équinoxe du printemps, les résistants iraniens sont optimistes sur l'avenir de l'Iran, confiants que l’année 1398 du calendrier persan soit porteuse de changements dans cette civilisation millénaire. C’est dans celui-ci que fut figure la première déclaration des Droits de l’homme de l’histoire par Cyrus le Grand, fondateur du plus grand empire perse de l’Antiquité. Sur le Cylindre de Cyrus, trésor perse datant du sixième siècle avant J.-C., on peut y lire des thèmes forts tels que la liberté de culte, l’abolition de l’esclavage, la liberté de choix de profession... Aujourd'hui, après quarante ans de dictature islamique, il reste peu de trace de cet héritage humaniste.

« Avec une économie en déliquescence et les libertés fondamentales inexistantes, le régime du Guide suprême Ali Khamenei a creusé un abîme entre lui et son peuple, déplore Mohammad. Ce ne sont pas tant les sanctions économiques américaines qui sont la cause première de ce désastre, que les gaspillages des ressources du pays dans des projets militaires coûteux avec des groupes extrémistes iraniens et du régime d’Assad en Syrie. » Ce désordre, les démocrates iraniens ne sont pas prêts de le laisser passer. « Achraf-3 représente aujourd’hui un foyer d’espoir et de résistance qui inspire la population excédée par des années de répression et de privations, fait valoir Mohammad. Nous mettons en œuvre tout ce que nous avons en notre pouvoir pour permettre au peuple de prendre son destin en main. »


Photo de couverture : (cc)Gjata Erwin/pixabay

Lire aussi : « Mon voyage avec Selam, ancien combattant kurde réfugié en Europe »

Lire aussi : « Réfugiés en Europe : gloire aux villes rebelles ? »