M87*, premier trou noir jamais photographié.

M87*, premier trou noir jamais photographié.

EHT

Je suis un consommateur compulsif d'images cosmiques. J'ai contracté le virus tout petit, en découvrant sur les couvertures de mes romans de science-fiction les vaisseaux spatiaux et les décors interstellaires de Chris Foss, illustrateur génial et visionnaire. Depuis, il ne m'a jamais plus laissé en paix. J'aime les ciels brouillés d'étoiles du causse Méjean, les photos en noir et blanc des cratères lunaires, les vues d'artistes de galaxies inaccessibles, les éruptions solaires, les nuages d'hydrogènes de nébuleuses hors du temps, les tempêtes sur Uranus... A chaque fois, du rêve à haute intensité, mieux que Bradbury, Moebius, Méliès et Kubrick réunis.

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J'attendais donc fébrilement les premières images en vrai d'un trou noir - de deux trous noirs pour être précis, Sagittarius A* et M87*, le premier bien de chez nous, de notre Voie Lactée, le second d'une galaxie voisine, dans la constellation de la Vierge - Messier 87, pour ceux qui voudraient l'adresse exacte. C'est lui, le deuxième, le plus gros pas le plus proche, que les huit observatoires de l'Event Horizon Telescope (EHT), un consortium international constitué pour l'occasion, sont finalement parvenus à immortaliser.

4 petaoctets de données

C'est beau comme un tableau de Rothko, vertigineux comme les premières images du télescope Hubble, émouvant comme les vidéos de comète de la sonde Rosetta, mais ce n'est pas le propos, je laisse à Bruno D. Cot et Victor Garcia, nos spécialistes maison, le soin de vous raconter tout ce qu'il faut savoir sur la portée scientifique de l'exploit : comme ils l'écrivent, "une découverte majeure, à l'instar de celle du boson de Higgs ou de la détection des ondes gravitationnelles" - les amateurs apprécieront.

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Non, ce qui m'intéresse court dans les disques durs et les circuits imprimés des supercalculateurs qui ont compilé la gigantesque masse d'informations récoltées par les huit radiotélescopes pointés sur M87*. Pour le prendre en photo, il a fallu traiter rien moins que 4 petaoctets de données. Pour vous faire une idée, il y a 1024 octets, l'unité de mesure en informatique, dans un kilooctet, 1024 kilooctets dans un mégaoctet, 1024 megaoctets dans un gigaoctet, 1024 gigaoctets dans un teraoctet et 1024 teraoctets dans un petaoctets - soit, à la louche, 1000 fois plus que dans votre ordinateur de bureau très moderne, très haut de gamme et très cher, 10 000 fois plus que ce que Google vous autorise à stocker gratuitement dans son "nuage".

Quelques réflexions à ce sujet (quand vous aurez digéré les explications sur tableau noir de l'astrophysicien Etienne Parizot) :

- Ces 4 petaoctets ont servi à prendre une photo de M87* qui, sur votre smartphone, pèse environ 20 kilooctets. C'est comme si, pour une baguette, votre boulanger devait utiliser quelque 2 milliards de kilos de farine. Je sais, la comparaison n'a pas de sens, mais elle fait vaciller.

- Elle donne la mesure des progrès accomplis - et surtout de ceux qui nous attendent. Quand, il y a à peine trente-cinq ans, j'ai allumé mon premier ordinateur, un MacIntosh 128K, je devais conserver le fruit de mon travail sur une disquette que suffisaient à saturer quelques centaines de pages de texte. Aujourd'hui, internet à lui seul génère en vingt-quatre heures 2,5 exaoctets (2500 petaoctets) de données. Evidemment, les standards, et le langage, doivent s'adapter, en permanence. A peine vous l'ai-je présenté que l'exacoctet lui-même est déjà dépassé : on compte désormais en zetta et yottaoctets, respectivement 1000 et 100 000 fois plus.

- Un problème, pour finir, que soulèvent à raison les défenseurs du climat : cette croissance exponentielle n'est pas sans conséquence sur notre Terre. L'an dernier, le pays internet a consommé entre 10 et 15% de la production électrique mondiale, on estime qu'en 2030 il aura dépassé la Chine et les Etats-Unis. On ne peut pas être amoureux des étoiles et indifférent à l'avenir de la planète - mais ça devient difficile.

A LIRE AILLEURS

Sur le Journal du CNRS, qui s'enthousiasme.

La conférence de presse de l'Event Horizon Telescope.

En temps réel, la quantité d'informations échangées sur internet.