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Depuis cent jours, les peuples autochtones brésiliens résistent aux attaques de Bolsonaro

Cela fait 100 jours que Jair Bolsonaro occupe la présidence du Brésil. Les menaces de la campagne électorale contre les peuples autochtones et leurs droits se sont muées en actes. L’autrice de cette tribune explique cependant pourquoi la situation n’est pas à désespérer.

Fiona Watson est directrice de recherche à Survival International


Lorsque Jair Bolsonaro est devenu président du Brésil le 1er janvier 2019, les peuples autochtones du pays et leurs alliés du monde entier se sont préparés au pire.

Il y a deux leçons importantes à tirer des 100 premiers jours de la présidence Bolsonaro. La première est que toutes les craintes étaient fondées et que cette administration raciste lance ouvertement une attaque sans précédent contre les peuples autochtones du Brésil dans le but explicite de les détruire en tant que peuples, de les assimiler de force et de piller leurs terres.

La deuxième est qu’il existe un espoir que cet assaut génocidaire puisse être stoppé. Les institutions, les tribunaux et le Congrès brésiliens peuvent imposer des barrières juridiques et pratiques s’ils en ont la volonté, et les peuples autochtones eux-mêmes s’organisent et se mobilisent aux échelles locale et nationale, et ont déjà remporté des victoires notables.

Survival International s’est joint au début de l’année à la plus grande manifestation internationale de l’histoire en faveur des droits des peuples autochtones : partout dans le monde, des voix et des pancartes ont exprimé la solidarité avec les peuples autochtones du Brésil, qui ont eux-mêmes organisé des dizaines de manifestations.

Sonia Guajajara, une cheffe autochtone et candidate à la vice-présidence aux élections de 2018, a déclaré : « Nous résisterons. Si nous sommes les premiers à être attaqués, nous serons aussi les premiers à réagir. » Et Rosilene Guajajara a déclaré à son tour : « Nous résistons depuis 518 ans, ce n’est pas maintenant que nous allons abandonner le combat. Nous unirons toutes nos forces, et nous gagnerons. »

Un don de campagne d’un propriétaire foncier accusé d’avoir commandité le meurtre d’un dirigeant autochtone

On ne saurait trop insister sur l’importance, tant symbolique que concrète, de mener ce combat aux côtés des peuples autochtones. En plus d’apporter un soutien significatif aux personnes impliquées dans les manifestations, cela influe sur les législateurs, les juges, les maires, les membres du Congrès brésilien et bien d’autres personnes qui ne sont pas dans le camp de Bolsonaro, car ils ne sont pas sourds aux voix qui s’élèvent à travers le monde pour dénoncer les injustices commises sous leur mandat.

Le premier jour de son entrée en fonction, Bolsonaro a retiré à la Funai (le département des affaires autochtones) la responsabilité de la démarcation et de la réglementation des territoires autochtones pour la confier au ministère de l’Agriculture. Cette mesure visait clairement à mettre un terme à toute nouvelle protection des terres autochtones et elle y est effectivement parvenue.

La nouvelle ministre de l’Agriculture de M. Bolsonaro est Tereza Cristina Corrêa da Costa Dias, ancienne présidente du groupe parlementaire de l’agro-industrie, connue pour avoir accepté un don de campagne d’un propriétaire foncier accusé d’avoir commandité le meurtre d’un dirigeant autochtone. Le responsable du département chargé des questions territoriales est Nabhan Garcia, ancien président de l’Union des ruralistes démocrates, association politiquement à droite qui lutte depuis des décennies contre la démarcation des territoires autochtones.

Mais cela n’est pas encore inscrit dans la loi. L’ordonnance est valable 120 jours et doit ensuite passer par le Congrès. En plus du pouvoir législatif, le pouvoir judiciaire peut jouer un rôle clé dans la modération des pires excès de Bolsonaro. Le Parti socialiste brésilien (PSB) a déposé une plainte auprès de la Cour suprême à la fin du mois de janvier pour contester la décision de Bolsonaro de donner au ministère de l’Agriculture l’autorité sur les délimitations des terres autochtones. La Cour n’a pas encore statué sur ce cas particulier, mais les juges brésiliens ont montré qu’ils étaient prêts à tenir tête au président.

Le gouvernement a également invoqué la « sécurité nationale » pour justifier son mépris des droits constitutionnels des peuples autochtones. Les Waimiri Atroari s’opposent à ce qu’une ligne électrique soit construite sur plus de 100 kilomètres de leur territoire sans leur consentement. Cette ligne, prévue pour acheminer l’électricité vers des villes comme Manaus, n’alimentera même pas les villages autochtones ou les centres présents dans la réserve. Le gouvernement a annoncé que le projet débutera le 30 juin, mais des membres de la communauté autochtone combattent déjà cette décision.

Bolsonaro prétend que « le Brésil n’a pas de comptes à rendre au reste du monde en matière de protection de l’environnement » et il a changé la procédure d’octroi des licences environnementales pour faciliter les projets sur les terres autochtones. Plusieurs nouveaux mégaprojets ont été annoncés, notamment un barrage sur la rivière Trombetas, un pont sur l’Amazone et le prolongement de l’autoroute de 500 km qui relie l’Amazone à la frontière du Suriname.

Dans de nombreux cas, il s’agit manifestement de crimes haineux 

Le gouvernement a également menacé de retirer le Brésil de la principale loi internationale sur les droits des peuples tribaux et autochtones, connue sous le nom de Convention 169 de l’OIT (Organisation internationale du travail). Cela affaiblirait encore davantage les droits des autochtones et supprimerait un important moyen de vigilance indépendant et international. Le Brésil a ratifié la Convention 169 en 2002 et elle a été invoquée en justice par des juges et des procureurs, qui ont l’obligation constitutionnelle de poursuivre l’État lorsqu’il viole les droits des peuples autochtones.

Malheureusement, les envahisseurs clandestins n’attendent pas l’adoption d’une loi ou la décision des juges, et au moins 14 territoires autochtones subissent actuellement des invasions violentes. Dans ce processus qu’on peut qualifier de guerre frontalière, les bûcherons, les mineurs, les compagnies d’extraction de pétrole et les éleveurs de bétail savent que le président est aujourd’hui de leur côté. Pendant la campagne présidentielle, la déforestation a augmenté de 50 % et les invasions de terres ont augmenté de 150 % après son élection en octobre de l’année dernière.

Le Brésil est le pays le plus meurtrier au monde pour les défenseurs de l’environnement, mais la violence à l’encontre des peuples autochtones ne peut s’expliquer uniquement par la lutte pour les ressources : dans de nombreux cas, il s’agit manifestement de crimes haineux. Le soir de la victoire électorale de Bolsonaro, par exemple, un centre de santé et une école ont été incendiés sur les terres de Pankarararu, dans le nord-est du pays.

L’administration Bolsonaro s’en est même pris à la santé des communautés autochtones. Elle a projeté de mettre fin au système de santé autochtone (Sesai), un système de soins décentralisé comptant 34 districts sanitaires autochtones spéciaux, géré en collaboration avec les communautés locales et adapté à leurs besoins spécifiques. Au lieu de cela, les patients des communautés autochtones n’auraient accès qu’aux services municipaux à disposition de tous les habitants qui sont déjà insuffisants et surchargés. Cette proposition a suscité l’indignation et les protestations des peuples autochtones dans tout le pays. Du Paraná à Rondônia, du Pernambouc au Mato Grosso do Sul, des groupes autochtones ont occupé des bâtiments publics et des autoroutes pour soutenir le Sesai. Le ministre s’est rétracté et a donné publiquement l’assurance que le système de santé autochtone ne sera pas aboli, une semaine environ après que la proposition ait été présentée pour la première fois.

Cette victoire est encourageante et importante, mais tout ceci est loin d’être terminé : après tout, ce ne sont que les 100 premiers jours.

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