“Unplanned”, le film anti-avortement qui séduit l’Amérique de Trump

Aux Etats-Unis, “Unplanned”, l’histoire (vraie) d’une directrice de planning familial devenue militante anti-avortement, a déjà généré 12 millions de dollars au box-office. Le nanar, financé et promu hors des circuits traditionnels, a même bénéficié d’un coup de pouce de la Maison-Blanche.

Par Lucas Armati

Publié le 11 avril 2019 à 12h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 00h57

Soudain, la pelleteuse se met en branle. « J’ai attendu ça toute ma vie », confie son conducteur, sourire en coin. La machine recule, tendant les chaînes reliées au grand panneau noir qui surplombe la route. Celui-ci vacille, avant de s’effondrer sous les hourras de la foule extatique. Ils ont réussi. Après des années de mobilisation, l’enseigne et ses grandes lettres ont été terrassées. En plein cœur du Texas, elles osaient indiquer : « Planning familial. »

Désolé pour le spoiler, mais cette scène constitue le drôle de happy end d’Unplanned, un film qui fait de plus en plus parler de lui, quelques jours après sa sortie américaine. En moins de deux semaines, cette production modeste qui a coûté six millions de dollars a déjà généré le double au box-office, et se retrouve projetée dans de plus en plus de salles à travers le pays. Ce n’était pas gagné d’avance : distribué par une compagnie spécialisée dans le secteur assez restreint des films chrétiens et financé en partie par un millionnaire qui pense que Trump a été choisi par Dieu, le nanar n’a bénéficié que d’une campagne de pub limitée – seule l’ultra-conservatrice Fox News a accepté de diffuser sa bande-annonce, les autres chaînes préférant décliner en raison de la « nature sensible du sujet ». Mais un coup de pouce venu de la Maison-Blanche lui a sauvé la mise. Connu pour son fondamentalisme, le vice-président Mike Pence a tweeté un message pour se féliciter que « de plus en plus d’Américains reconnaissent le caractère sacré de la vie grâce à des histoires aussi puissantes que celle-là ». C’était le 1er avril, mais ça n’avait rien d’une blague.

Ecrit et mis en image par Chuck Konzelman et Cary Solomon, deux réalisateurs ayant commencé dans les films de baston avant de raconter des histoires un peu plus en accord avec leur foi (ils sont derrière un autre succès du même genre, Dieu n’est pas mort, sorti en 2014), Unplanned est tiré d’une histoire vraie, celle d’Abby Johnson, une jeune femme du Texas devenue célèbre pour sa spectaculaire « conversion » au militantisme anti-avortement.

Le film suit ses débuts au centre de planning familial du coin, où elle fait du bénévolat. Très vite, elle prend du galon au sein de la petite clinique qui pratique l’avortement, et en devient la directrice efficace et appréciée. Mais de multiples conflits avec sa supérieure (censés incarner la nocivité de l’organisation tout entière) et une effrayante révélation lors d’une opération la font craquer. Telle une clandestine passant à l’Ouest, elle rejoint alors secrètement le mouvement anti-avortement qui prie tous les jours devant les grilles de sa clinique et en devient une des militantes les plus dévouées, face au pouvoir du méchant planning familial.

Caricatural ? Attendez de voir la réalisation, digne d’un mauvais film d’horreur (l’obsession du sang a valu au film une interdiction aux moins de 17 ans) ! Interprétée par Robia Scott (seul visage connu, vu dans la série Buffy), la boss de la pauvre Abby est un monstre à sang froid, manipulatrice et toute-puissante, dont les tenues et les dialogues la situent entre Cruella et Dark Vador. « Tu es celle que j’attendais », dit-elle à sa protégée d’un air maléfique, au-dessus d’un fœtus mort. Scientifiquement fausse, la scène de la prise de conscience d’Abby n’est pas mieux : pendant un avortement compliqué auquel la jeune femme assiste, l’échographie montre le fœtus de quelques semaines se débattant afin d’échapper à la mort et au tube qui finira par l’aspirer…

Evidemment, le ridicule en crescendo des situations pourrait prêter à sourire si l’heure n’était pas si grave. Attaqué, le planning familial s’est pour l’instant contenté de publier un communiqué dénonçant les « mensonges » de la production. Peut-être l’organisation est-elle plus occupée par ce qui se passe actuellement en dehors des salles obscures… Le droit à l’avortement n’a en effet, depuis trente ans, jamais été aussi en danger aux Etats-Unis, avec une Cour suprême potentiellement défavorable depuis la nomination de Brett Kavanaugh. Le Mississippi, le Kentucky et la Géorgie ont déjà adopté des lois interdisant les avortements dès qu’un battement de cœur peut être détecté dans le fœtus, c’est-à-dire après ses six semaines – alors que la majorité des femmes ignorent encore être enceintes.

Abby Johnson (3e à droite), ancienne employée de Planned Parenthood et fondatrice d’And then there were none, lors d’un rassemblement sur le National Mall avant le début de la 44e Marche pour la vie annuelle, le 27 janvier 2017 à Washington, DC. 

Abby Johnson (3e à droite), ancienne employée de Planned Parenthood et fondatrice d’And then there were none, lors d’un rassemblement sur le National Mall avant le début de la 44e Marche pour la vie annuelle, le 27 janvier 2017 à Washington, DC.  Photo : Chip Somodevilla/Getty Images/AFP

Au moins cinq autres Etats (Missouri, Tennessee, Ohio, Floride et Texas) ont annoncé leur intention de leur emboîter le pas. Et une vingtaine de procès, actuellement en préparation à travers tout le pays, pourraient prochainement remettre en question l’arrêt Roe v. Wade, de 1973, qui a légalisé le droit à l’avortement pour toutes les Américaines. A Hollywood ou dans les tribunaux, la bataille ne fait que commencer.

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