à la barre

Paul François contre Monsanto, une «victoire en demi-teinte»

Dans le procès qui oppose l'agriculteur charentais au géant des pesticides, la cour d'appel de Lyon a reconnu ce jeudi un défaut d'étiquetage mais a refusé de se prononcer sur la toxicité de l'herbicide Lasso. Le combat est loin d'être terminé.
par Coralie Schaub
publié le 11 avril 2019 à 19h08

«On a gagné.» Entouré d'une forêt de micros et de caméras, l'agriculteur Paul François s'est dit satisfait, ce jeudi, de la décision de la cour d'appel de Lyon. Celle-ci devait une nouvelle fois se prononcer au sujet du long combat qu'il avait entamé contre Monsanto en 2007, trois ans après avoir été gravement intoxiqué avec l'herbicide Lasso (désormais interdit). Mais le céréalier charentais n'affichait pas pour autant un sourire radieux. Car, de l'aveu même de son association Phyto-victimes, dont il est président et fondateur, il s'agit d'une «victoire en demi-teinte». Alors qu'il avait déjà obtenu gain de cause en première instance en 2012 et en appel en 2015, le géant américain des OGM et des pesticides s'était pourvu en cassation avant que l'affaire soit de nouveau renvoyée devant la cour d'appel, chargée d'établir un nouveau jugement sur le fondement de «la responsabilité du fait des produits défectueux».

Faute liée à un défaut d’étiquetage

Dans leur arrêt, les juges lyonnais considèrent avérée l'inhalation par Paul François en 2004 des vapeurs du Lasso en vérifiant une cuve. Ils estiment aussi qu'il faut raisonner sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux. En revanche, «attendu qu'un produit dangereux n'est pas nécessairement défectueux», ils estiment «qu'il n'y a donc pas lieu de s'attarder à déterminer si le Lasso est défectueux du seul fait de sa toxicité intrinsèque». Tout en jugeant que Monsanto France est responsable d'un défaut d'étiquetage de son produit Lasso, ce qui correspond à un défaut de sécurité pour la cour, donc une faute.

En clair, la cour d'appel considère qu'il y a bien faute, certes, mais que celle-ci n'est pas liée à la toxicité du Lasso, simplement à un défaut d'étiquetage. Quant au préjudice de Paul François, il est certes reconnu, mais n'est en lien direct qu'avec «l'inquiétude et la peur engendrées» par l'intoxication de la victime. La cour refuse aussi de se prononcer sur le montant d'éventuels dommages et intérêts de «plus d'un million d'euros» réclamés par le céréalier, qui feront l'objet d'une procédure distincte devant le tribunal de grande instance de Lyon.

Du point de vue juridique, la décision de la cour d'appel n'est donc pas forcément une bonne nouvelle pour les associations qui se battent contre les pesticides, car la cour refuse de se prononcer sur la toxicité du produit. On est loin des récentes décisions de la justice américaine. En août, celle-ci avait condamné Monsanto à payer près de 290 millions de dollars (258 millions d'euros) de dommages au jardinier Dewayne Johnson (somme réduite ensuite à 78,5 millions de dollars), pour ne pas l'avoir informé de la dangerosité de son herbicide Roundup (dont le principal ingrédient est le glyphosate). Et pour avoir «considérablement contribué» à son cancer. Fin mars, un autre Californien souffrant d'un lymphome non hodgkinien (un cancer du sang) attribué au Roundup avait obtenu la condamnation du groupe à lui verser plus de 80 millions de dollars.

«Jouer la montre»

Paul François le sait, la procédure est loin d'être terminée. «Monsanto se réserve le droit de se pourvoir en cassation, c'est probablement l'étape qui viendra», a averti l'avocat de l'entreprise (filiale de l'allemand Bayer depuis 2018), Me Jean-Daniel Bretzner. Bayer peut en effet saisir la cour de cassation une deuxième fois, et ce sera elle qui aura le dernier mot. L'Allemand, dont le cours de Bourse a plongé de près de 40% depuis l'acquisition de Monsanto, a fait appel des deux jugements récents aux Etats-Unis.

«Jouer la montre, en utilisant tous les recours possibles, est une stratégie systématiquement utilisée par la firme Monsanto, a pointé l'association Phyto-victimes. Paul François demande donc que (la question de l'indemnisation) soit évoquée le plus rapidement possible, afin qu'il puisse être mis un terme à cette procédure.»

L'agriculteur se dit exténué. Ces douze ans de combat «ont bouffé ma vie, et celle de Sylvie [sa femme morte en septembre d'une rupture d'anévrisme, ndlr], qui m'a soutenu, a subi, et ne sera pas là pour en voir l'issue», racontait-il à Libération en février, la gorge serrée, juste avant l'examen de l'affaire par la cour d'appel. Depuis son intoxication, il vit un calvaire : amnésies, vertiges, bégaiements, comas à répétition, hospitalisations… Et se dit victime d'un «harcèlement judiciaire» de la part de Monsanto.

« Message au gouvernement »

Jeudi, au bord des larmes, Paul François a estimé que la décision de la cour d'appel de Lyon est un «message au gouvernement actuel» et a appelé les politiques à «prendre leurs responsabilités» concernant l'utilisation des pesticides. «Honte à eux ! Ils seront jugés par l'histoire pour leur inaction», a-t-il lancé devant la presse.

Depuis plusieurs mois, l'agriculteur, qui se dit de centre-droit, affirme être «très déçu» par le gouvernement Macron. Dès l'été 2017, il avait été «choqué» par le fait que le risque chimique ait été effacé du compte pénibilité. «Le ton était donné : on ne touche pas à la chimie dans ce pays, donc on ne touche pas aux pesticides. Le gouvernement roule pour les industriels, ça n'a jamais été aussi flagrant.» Et il avait enragé lorsque début 2019, la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, avait demandé un report de l'examen de la création d'un fonds d'indemnisation des agriculteurs victimes des pesticides abondé par les firmes. Jeudi, il a aussi évoqué l'absence d'inscription dans la loi de l'interdiction du glyphosate, substance produite par la filiale de Bayer, malgré la promesse du Président Macron de l'interdire en trois ans. « Il ne l'a pas fait, donc maintenant on sait pour qui il roule, il roule pour Bayer», a estimé Paul François. Sans parvenir à masquer son amertume.

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique

Les plus lus