Chine. « L’espoir d’il y a trente ans a laissé la place à la terreur »

Par Propos recueillis par Samuel Ribot/ALP

Condamné à quatre ans de prison pour avoir écrit un poème dénonçant le massacre du 4 juin 1989, le dissident chinois Liao Yimu a dû s’exiler en Europe. Trente ans après Tian’anmen, il se dit très pessimiste sur l’avenir de la Chine.

« La police contrôle absolument tout et tout le monde, et la technologie n’a fait qu’aggraver ce phénomène, avec des caméras installées partout, des téléphones sous surveillance… » : auteur du livre « Dans l’empire des ténèbres », le dissident chinois Liao Yimu décrit « la terreur » instaurée par le gouvernement de son pays.
« La police contrôle absolument tout et tout le monde, et la technologie n’a fait qu’aggraver ce phénomène, avec des caméras installées partout, des téléphones sous surveillance… » : auteur du livre « Dans l’empire des ténèbres », le dissident chinois Liao Yimu décrit « la terreur » instaurée par le gouvernement de son pays. (Photo S.R.)

Que reste-t-il aujourd’hui en Chine des aspirations démocratiques de 1989 ?

Il y a trente ans régnait en Chine une atmosphère euphorique, un espoir fou porté par les Chinois de Pékin mais aussi de Chengdu, Nankin ou Shanghai, qui sont tous sortis dans la rue pour réclamer l’avènement de la démocratie, la fin du népotisme et de la corruption. C’était un immense élan dans tout le pays. Aujourd’hui, si vous allez place Tian’anmen, vous verrez plus de flics en civil que de citoyens. La police contrôle absolument tout et tout le monde, et la technologie n’a fait qu’aggraver ce phénomène, avec des caméras installées partout, des téléphones sous surveillance… L’immense espoir d’il y a trente ans a laissé la place à la terreur instaurée par le gouvernement. Personne aujourd’hui n’oserait imaginer faire un nouveau Tian’anmen. C’est devenu totalement impensable.

« Aujourd’hui, la Chine menace le monde entier, qui ne se méfie pas assez ».

Cela doit être terrible de faire ce constat quand on a été emprisonné pendant quatre ans, qu’on a perdu des amis morts dans les geôles chinoises et qu’on a dû s’exiler en Europe ?

C’est pour ça qu’avec ce livre (*), je veux rappeler ce qui s’est passé. Les Chinois semblent avoir l’oublié ! Comme si cela n’avait pas existé. Pourtant, en 1989, la presse étrangère était là, les photographes étaient là, ils ont témoigné de ce qui se passait, de cette répression terrible. Mais la Chine ne veut pas se souvenir. Regardez Wang Weilin, cet homme qui s’est tenu debout face à une colonne de chars : personne ne sait aujourd’hui ce qui lui est arrivé. On n’a jamais été en mesure de vérifier si c’était même son vrai nom. C’est une icône, mais elle est vide, on ne sait rien de lui ni de son destin. Et des Wang Weilin, il y en a eu d’autres, dont beaucoup malheureusement se sont fait écraser par les chars. Ce livre est là pour témoigner de ces actes, de ce crime contre l’Humanité que les Chinois n’osent plus évoquer. L’Empire des Ténèbres, dans lequel j’ai été plongé en tant que prisonnier, existe toujours. Et aujourd’hui, la Chine menace le monde entier, qui ne se méfie pas assez.


Votre livre rend hommage aux émeutiers, des gens du peuple, souvent d’ailleurs de fervents communistes, qui n’ont pas supporté de voir l’armée s’en prendre à la population…

Ce mouvement, que les autorités ont qualifié d’émeutes, a en effet touché toute la Chine, pas que les étudiants. Reparlons de Wang Weilin : quand on le voit avec son espèce de sac qui pend au bout de son bras, on se dit que c’est probablement un ouvrier qui arrivait de la gare et qui est tombé sur ces chars qui avançaient sur le peuple. Il n’a rien d’un activiste, c’est juste un citoyen qui, comme beaucoup d’autres à l’époque, s’est dit qu’on ne pouvait pas laisser faire ça. Ce sont des gens comme lui qui ont ensuite rempli les prisons, qui y ont été torturés et qui se sont retrouvés à leur sortie dans un monde qui ne voulait surtout pas d’eux. Le problème, c’est que personne n’en parle. Cette conversation est taboue, comme les images et les films qui témoignent de cette répression mais que les Chinois ne voient jamais.

« Le but de Xi Jinping est de faire perdurer son empire à tout jamais ».

Que doit-on déduire de la réforme constitutionnelle conduite par Xi Jinping en 2018 et qui lui permet de rester président à vie ?

En fait, Xi Jinping devrait déjà avoir quitté la scène politique depuis longtemps. Cette perspective préservait un tout petit peu d’espoir chez les Chinois, qui se disaient que le prochain président serait peut-être moins mauvais… Or, en votant cette modification de la Constitution, il a totalement anéanti cet espoir. Le but de Xi Jinping est de faire perdurer son empire à tout jamais. Et il compte bien s’en donner les moyens : il faut savoir que c’est quelqu’un qui est totalement fasciné par la technologie, qui a généralisé la surveillance du peuple et qui a créé un laboratoire entièrement dédié à la recherche génétique. Il a sans doute l’ambition de vivre jusqu’à 150 ans… Au fond, malgré mon ressentiment, j’ai sans doute un peu de compassion pour lui, parce que je me demande sérieusement s’il n’est pas devenu fou.


Vous vivez en Allemagne depuis 2011 et pouvez donc constater que la tentation de l’autoritarisme est réelle en Europe ? Cela vous surprend-il ?

La plupart des gens en Europe n’ont connu que la liberté. Ils ne savent donc pas ce qu’est l’absence de liberté. Beaucoup de mes amis ont été emprisonnés, certains sont morts en détention comme mon ami Liu Xiaobo (*), en 2017. Moi, aujourd’hui, en vivant en Europe, je peux dire tout ce qui me passe par la tête. J’ai notamment la possibilité d’alerter l’Occident et de dire : « Vous qui n’avez pas vécu dans cet enfer, ouvrez les yeux et regardez en face la réalité ! » Je dis à tous les Européens tentés par l’autoritarisme : « Venez vivre en Chine ! ». Soit ils deviendront fous, soit ils deviendront accros à ce nouvel opium chinois, ce marché que le pouvoir a passé avec le peuple en leur disant : « Ne vous occupez pas de politique, laissez-nous faire. Et vous pourrez vous enrichir comme vous le voulez, en faisant toutes les saloperies que vous voudrez ». L’argent est notre nouvel opium, et il est très puissant.


Vous dites redouter « un exode massif des Chinois ». Pourquoi ?

Il y a déjà eu des vagues migratoires en provenance de Chine, y compris d’ailleurs en 1989. À l’époque, les Chinois étaient accueillis chaleureusement parce que les gens avaient vu ce qui s’était passé à Tian’anmen et qu’ils éprouvaient de la compassion. Depuis cette époque, la Chine a connu cet essor économique incroyable, et nous avons transformé notre pays en une vaste poubelle, en négligeant toute la question environnementale. Dans le même temps, notre cœur aussi a pourri, parce que nous avons perdu toute vision, toute morale, tout projet de société autre que l’enrichissement personnel. Les Chinois pensent à quitter la Chine, mais seulement pour aller s’enrichir. Vous allez donc être confrontés à une caste de gens, les riches et les corrompus, qui vont avoir pour seul but d’investir chez vous et qui vont vous raconter des salades pour que vous leur offriez l’asile.


Et vous ? Pensez-vous pouvoir retourner un jour chez vous ?

Moi, je voudrais retourner au Sichuan. Parce que c’est là mon pays, un pays à taille humaine, où l’on mange bien et où l’on boit de très bons alcools. En 1989, un politologue chinois avait proposé la création d’une fédération des états de Chine, et ça lui a coûté l’exil. Alors que c’est un projet viable, qui offrirait autre chose aux citoyens que « la vaste Chine » et protégerait le monde de tous les dangers qu’elle représente aujourd’hui.

* Écrivain et militant pour les Droits de l’Homme, prix Nobel de la paix en 2010.
À lire
« Des Balles et de l’Opium », Globe Editions, 300 pages, 22 €.
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1958 : naissance à Yanting (province du Sichuan).

1989 : écrit le poème « Massacre » après la répression sanglante de Tian’anmen.

1990 : « Massacre » lui vaut d’être arrêté et incarcéré en tant que « contre-révolutionnaire ».

1994 : sort de prison après quatre années au cours desquelles il sera torturé et fera deux tentatives de suicide.

2004-2011 : rencontre et interviewe d’anciens dissidents incarcérés après Tian’anmen.

2011 : surveillé, inscrit sur la liste noire des autorités chinoises, il s’exile en Allemagne.

2011 : publie « Dans l’empire des Ténèbres », salué dans le monde entier et comparé à « L’archipel du Goulag », de Soljenitsyne.

2019 : Liao Yiwu est l’auteur le plus lu clandestinement en Chine.

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