Rennes et sa banlieue : une géohistoire de la crise du logement ?

Chef-lieu du département d’Ille-et-Vilaine, Rennes est une ville dynamique qui illustre bien les maux des métropoles du XXIe siècle dans les pay développés: pression foncière sans cesse plus importante, gentrification et pollution, sans compter les problèmes inhérents aux transports. Or s’il est bien une permanence de la capitale de la Bretagne administrative, à l’instar de la pollution de la Vilaine, c’est la difficulté de s’y loger. C’est d’ailleurs ce que révèle cette singulière « visite à la banlieue de Rennes » opérée par L’Ouest-Eclair en août 1930.

Le quartier du boulevard Jacques Cartier tel que figuré sur le plan de la ville de Rennes publié en 1919: l'urbanisation y est encore très faible. Arch Mun.Rennes: 1 Fi 112.

La première chose qui ne manque pas de surprendre le lecteur d’aujourd’hui est de voir quelles sont les frontières de la ville révélées par cet article. En effet, le propos de L’Ouest-Eclair est de montrer en exemple, non sans une savoureuse bienveillance paternaliste, un ouvrier de l’arsenal – un certain M. Even – qui à la force de ses bras et à l’aide de quelques amis est parvenu à bâtir lui-même son propre pavillon – « deux pièces et garage au rez-de-chaussée, et trois pièces à l’étage ». Cette maison n’est pas construite dans un endroit anodin mais se trouve en lisière de l’étalement urbain, dans une zone située non loin de l’intersection du boulevard Jacques Cartier et de ce qui est alors le « Faubourg de Nantes », soit un espace présentant aujourd’hui une très forte densité de population.

Mais dans les années 1930, ce secteur de la ville est encore en cours d’urbanisation. Les plans conservés par les Archives  municipales de Rennes l’illustrent d’ailleurs parfaitement : au lendemain de la Première Guerre mondiale, seules des bâtisses éparses sont perceptibles tandis qu’à la veille de la Seconde, la ville s’étend, certes, quelques centaines de mètres plus loin mais laisse tout de même deviner de nombreux terrains nus1. Bien entendu, on pourra toujours objecter, à raison d’ailleurs, que le quartier de la caserne Margueritte est victime d’un long contentieux entre la municipalité et le Ministère de la Guerre, délicate affaire qui freine le développement de la zone2.

Il n’en demeure pas moins que les limites de la ville ne sont alors pas ce qu’elles sont aujourd’hui. Le témoignage du philosophe Paul Ricoeur, qui passe son enfance à Rennes dans les années 1930, est à cet égard particulièrement instructif :

« Il s’est trouvé que mon amie d’enfance qui allait devenir ma femme habitait ce que l’on appelait à l’époque la rue de l’Alma prolongée, au-delà du boulevard Jacques Cartier. Maintenant il y a une ville entière, mais alors il y avait des champs à quelques centaines de mètres de cette maison. »3

« Au-delà du boulevard Jacques Cartier », comme s’il s’agissait d’une frontière de la ville, sorte de ceinture marquant une limite urbaine, à la manière du boulevard périphérique initié en 1967, achevé en 1999 et que les Rennais appellent, au XXIe siècle, rocade. Sauf qu’il y a au minimum 2 km entre ces deux artères.

Le prolongement du Faubourg de Nantes: la route reliant Rennes à Saint-Jacques-de-la-Lande. Carte postale, probablement du début des années 1920. Collection particulière.

D’un point de vue historique, ce seuil entre la ville elle-même et sa banlieue dit bien la faible urbanisation du chef-lieu du département d’Ille-et-Vilaine au cours de la première partie du XXe siècle. Il en résulte une forte pression foncière qui conduit, à la manière de ce que feront bien plus tard les Castors et à l’exemple de ce fameux M. Even, à des constructions plus ou moins amateurs pour répondre à la forte demande de logements. Celle-ci n’est d’ailleurs véritablement soldée que dans les années 1960 et 1970 avec la sortie de terre des nouveaux quartiers du Blosne et de Villejean-Malifeu.

Erwan LE GALL

 

 

 

1 Arch. Mun. Rennes : 1 Fi 112 et 1 Fi 114.

2 Pour plus de détails sur cette question , on se permettra de renvoyer à LE GALL, Erwan, « La construction tumultueuse du quartier Margueritte », Place publique Rennes et Saint-Malo, n°34, mars-avril 2015, p. 95-99.

3 Propos rapportés in GUITTON, Georges, Rennes de Céline à Kundera, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2016, p. 51.