Elle a attendu dix ans le procès de son agresseur

Mathilde avait déposé plainte en 2009… Le procès de celui qui l’a abusée se tient ce lundi. Elle dénonce cette lenteur de la justice, et se demande aujourd’hui si elle conseillerait aux victimes de se lancer dans une procédure.

 Car elle a porté plusieurs années après les faits, Mathilde a vu son affaire traitée tardivement.
Car elle a porté plusieurs années après les faits, Mathilde a vu son affaire traitée tardivement. LP/Julien Barbare

    Cette journée, Mathilde* l'attend depuis… dix ans. Depuis que cette jeune femme de 29 ans a franchi la porte d'un commissariat des Hauts-de-Seine pour dénoncer les faits d'agressions sexuelles commis par un membre de sa famille pendant son enfance.

    Le procès de son agresseur présumé, également poursuivi pour des faits similaires sur d'autres mineurs, est programmé ce lundi devant le tribunal correctionnel de Nanterre. Une procédure anormalement longue que Mathilde aura vécue comme un calvaire. « J'avais beaucoup de respect pour l'institution judiciaire, mais j'en ai fait mon deuil », livre cette cheffe de projet désabusée.

    Comme pour toutes les victimes d'infractions sexuelles, déposer plainte n'a pas été chose facile pour Mathilde, qui n'a pris conscience de ce qu'elle avait subi que plus tard. « Au départ je ne voulais pas, car j'estimais avoir déjà suffisamment souffert. Le plus important pour moi c'était de l'avoir dit. Et puis j'ai réalisé que je n'étais peut-être pas sa seule victime. »

    En 2009, à 19 ans, elle se décide à enclencher une action judiciaire. « On m'avait assuré que ça me ferait du bien. En réalité, je ne me suis jamais senti aussi seule que pendant toutes ces années. Et je ne suis plus certaine qu'un procès aussi longtemps après les faits aura du sens… »

    Mathilde, bien que bénéficiant d'un environnement familial et professionnel stable, réalise combien ces dix années lui ont pesé. « Tant que le procès ne sera pas derrière moi, je ne pourrai pas me construire complètement comme adulte, insiste-t-elle. C'est également très douloureux pour ma famille qui attend que la justice passe pour retrouver une certaine sérénité. »

    «Mon dossier n'était pas prioritaire»

    Dans cette affaire, rien n'a vraiment correctement fonctionné. Après son dépôt de plainte, Mathilde a attendu un an et demi avant d'être recontacté par les enquêteurs de la brigade de protection des mineurs (BPM) qui avaient effectué des rapprochements. « Les policiers de la BPM ont fait un gros travail et ce sont les seuls à m'avoir apporté une parole réparatrice », loue-t-elle.

    Mathilde est alors confrontée avec son oncle qui confesse les agressions et révèle le nom d'autres victimes. L'enquête est confiée à un juge d'instruction en avril 2010. Son agresseur présumé est mis en examen, mais laissé libre sous contrôle judiciaire. « On m'a d'emblée expliqué que les délais seraient plus longs, se remémore Mathilde. Comme les faits étaient anciens, on m'a fait comprendre que mon dossier n'était pas prioritaire. C'est inaudible : il avait avoué son penchant pédophile donc, pour moi, il y avait évidemment urgence à le juger. »

    Sans raison particulière, l'instruction va s'éterniser pendant plus de sept ans. « Plusieurs juges se sont succédé et pendant de très longues périodes il ne s'est rien passé », raille Me Boris Kessel, l'avocat qui a repris le dossier de Mathilde en fin d'instruction. En juin 2018, le juge rédige enfin son ordonnance de renvoi. Mais il faudra encore patienter dix mois pour que le procès soit audiencé : « Psychologiquement, cette dernière attente a peut-être été la plus dure, relate Mathilde qui ouvrait tous les jours sa boîte à lettres dans l'attente d'une convocation. Je n'en pouvais plus d'être impuissante. »

    Après la plainte, «ça ne suit pas»

    Avec le recul, la jeune Parisienne n'est plus certaine d'avoir fait le bon choix. « Le mouvement #MeToo, les campagnes de sensibilisation sur les violences sexuelles, c'est évidemment très bien. Mais si c'est juste un discours politique et que ça ne suit pas derrière, à quoi ça sert? s'épanche-t-elle. Philosophiquement, bien entendu que j'encouragerais une victime à porter plainte. Mais en réalité, compte tenu de ce que j'ai vécu, je crois que je ne le conseillerais pas… »

    Comme un ultime coup du sort, la jeune femme a appris en fin de semaine que le prévenu ferait une demande de renvoi.

    * Le prénom a été modifié.