L'âge bête

A Bombay, la pollution attire des flamants roses à foison

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En un an, la population de flamants roses qui occupent la baie de la ville la plus peuplée d'Inde a triplé à cause des eaux polluées, et ce malgré les travaux qui les ont délogés de leur habitat naturel.
par Matilde Meslin
publié le 14 avril 2019 à 10h23

Chaque année, une nuée rose déferle sur la baie de Bombay en novembre, à la fin de la saison des moussons. Après la saison des amours, passés au nord-est du pays dans le désert de sel de Kutch, les flamants roses redescendent à Bombay dès que les oisillons peuvent voler. Pendant six mois, la rive est de la ville aux 18 millions d'habitants est envahie par ces oiseaux migrateurs. Mais cette année, ce ne sont pas les 40 000 oiseaux habituels qui ont migré à Bombay, mais 120 000 spécimens.

Une croissance de la population qui s’expliquerait par un facteur pour le moins étonnant : le rejet dans la mer des eaux usées de la ville, très polluées, encouragerait le développement d’un type d’algues bleues dont les flamants roses sont très friands.

Dans cette partie de la ville, les cheminées des usines, les câbles à haute tension et les filets des pêcheurs sont autant de menaces pour les flamants roses. Et pourtant, malgré quelques morts tragiques, ils y prospèrent, les pattes dans les eaux pleines de colorants et de métaux lourds rejetés par les usines de textile qui bordent la rivière. Les flamboyances (troupeaux de flamants roses) ont d'ailleurs migré dans la zone nord de Thane Creek (à quelques kilomètres au nord de leur lieu de villégiature habituel de Sewri) où se trouve une usine de traitement des eaux, qui rejette de nombreux polluants dans la rivière.

Les oiseaux participent depuis toujours à un écosystème qui fonctionne de manière cyclique : ils  se nourrissent d’algues et de crevettes, et leurs excréments servent d’engrais pour faire pousser la mangrove, qui empêche la montée des eaux, toujours assez basses pour que les animaux se posent et puissent manger dans la vase. La mangrove filtre aussi les métaux lourds présents dans l’eau. Mais cet équilibre est en danger.

Nouvelle zone pour une nouvelle vie

La construction du Mumbai-Trans-Harbor-Link (MTHL), un pont maritime de 22 kilomètres qui reliera le centre-ville au futur nouvel aéroport de la ville, a détruit l'habitat des flamants roses. La zone de Sewri, où ils avaient leurs habitudes, a été ratiboisée pour accueillir les engins de chantier, et 40% de la mangrove a disparu ces dix dernières années. Inquiets, les chercheurs de la Société d'histoire naturelle de Bombay (BNHS) ont lancé en octobre une mission d'observation de dix ans pour tenter de comprendre l'évolution des populations de flamants roses dans la ville, et l'impact de l'homme sur leur habitat.

Infographie Libé Labo

Forcées de réagir, les autorités ont créé une zone protégée, le Thane Creek Flamingo Sanctuary. La zone fait 17 kilomètres carrés (1 700 ha), à laquelle s'ajoute une zone tampon de 10 kilomètres autour du sanctuaire, limitant l'activité humaine pour ne pas trop déranger les oiseaux. Les pêcheurs qui se retrouvent au chômage se reconvertissent dans le tourisme et emmènent en bateau les ornithologues ou les curieux observer les flamants roses depuis la mer.

Si la population de flamants roses, désormais plus protégée des activités humaines, continue de se reproduire et de prospérer, pas sûr qu’il y ait de la place et de la nourriture pour tout le monde. Et si les flamants disparaissent, c’est tout l’écosystème de la baie qui s’en trouverait perturbé. Sans eux, la mangrove risque de disparaître, et avec elle l’absorption massive du CO2 qu’elle permet, et qui rend un peu plus vivable l’une des mégapoles les plus polluées du monde.

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