"Arnaud Montebourg a développé un discours qu'on n'avait pas entendu depuis longtemps", d'après Denis Ranque

Denis Ranque, le président du conseil d’administration d’Airbus, et coprésident du think tank La Fabrique de l’industrie, est confiant. L’industrie est sur la bonne voie pour restaurer son image.

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L'Usine Nouvelle - Comment l’image de l’industrie a-t-elle évolué ?

Denis Ranque - Elle s’était dégradée dans l’esprit des Français depuis la fin des Trente Glorieuses. Les choses ont commencé à changer il y a une dizaine d’années. À La Fabrique de l’industrie, nous travaillons beaucoup avec les professeurs et les classes. Quand on interroge les jeunes, ils reprennent les clichés entendus ("Ça pollue", "Ça détruit des emplois"…), mais ils sont unanimes sur le fait que l’industrie est nécessaire. C’est nouveau. Côté syndicats aussi : la CFDT comprend parfaitement les questions de compétitivité, elle est positive sur le pacte de responsabilité.

Diaporama : ces projets qui font rêver l'industrie

Dans le débat entre charges sociales et imposition, certains syndicats ont compris qu’il valait mieux une TVA plus élevée plutôt que des taxes sociales sur le travail. Ils se sont rendu compte que leur tâche n’était pas de défendre le consommateur mais le salarié. Ces constats ont été développés lors de la dernière campagne présidentielle. Mais si l’industrie a reconquis les esprits, elle n’a pas encore reconquis les cœurs.

Parle-t-elle assez de ses produits ?

Elle n’a sans doute pas bien et pas suffisamment communiqué. C’est une des raisons de la création de La Fabrique de l’industrie. Sans nous substituer aux entreprises et à leurs associations, nous produisons de la connaissance et des images qui peuvent être utilisées par l’industrie pour lutter contre les clichés. Il faut probablement en faire plus. Car les Français sont collectivement pessimistes et individuellement optimistes et les patrons n’échappent pas à la règle !

Les chefs d’entreprise doivent-ils s’impliquer davantage ?

Quand ils ont un message négatif à passer, ils préfèrent souvent le faire collectivement, et pas seulement pour ne pas faire baisser leur cours de Bourse… À cette préférence pour l’action collective, il faudrait ajouter plus d’expression individuelle. Nous avons tous compris, peut-être tardivement, que pour que les responsables politiques prennent en compte les impératifs économiques et industriels, il fallait que l’opinion publique elle-même y soit sensibilisée. Pour faire aimer l’industrie, il faut en parler moins rationnellement et plus affectivement. Mais ce n’est pas dans la culture de l’ingénieur et du manager français.

Pour l’opinion publique, c’est sans doute Arnaud Montebourg, le ministre de Redressement productif, qui défend le mieux l’industrie…

Absolument. La très bonne nouvelle, c’est qu’il a développé un discours industriel qu’on n’avait pas entendu dans la bouche d’un responsable politique depuis longtemps. Il a un franc-parler et ne cache pas ses convictions, ni ses réticences sur l’usage abusif du principe de précaution, dont une mise en œuvre inefficace peut pénaliser l’industrie sans améliorer la sécurité. Mais il y a aussi les autres ministres. J’ai constaté récemment que le ministre de l’Environnement parlait aussi de compétitivité : c’est nouveau, et ce n’est pas un hasard. Même s’il faut maintenant passer plus systématiquement du discours aux actes, l’existence même d’un discours politique pro-industriel est en soi important. Ça oblige tous les responsables à réfléchir aux conséquences directes ou indirectes de ce qu’ils font sur la compétitivité de l’industrie. Et si, en plus, on a une politique industrielle, c’est encore mieux !

Le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le pacte de compétitivité… Est-ce qu’on va dans le bon sens ?

Oui, mais pas assez loin. L’important, c’est le déclic. Les entreprises, les syndicats, l’État, et leurs dirigeants respectifs comprennent qu’il faut arrêter de taxer les moyens de production. Il faut en priorité baisser la dépense publique, et pour la financer mieux vaut orienter les prélèvements sur les revenus du travail et du capital que sur les lignes intermédiaires, pour rendre le système plus compétitif. Toutes ces notions sont en train d’être comprises. La refonte fiscale est une opportunité à ne pas manquer. 

L’industrie dégage 12 % de la valeur ajoutée du pays. Pensez-vous qu’elle puisse faire mieux ? 

Il n’y a rien d’irréversible, en tout cas pas encore. L’effet de levier est tel, qu’un progrès modeste permettrait déjà de résorber beaucoup de chômeurs. Le vrai sujet, c’est de trouver notre place, là où nous sommes compétitifs. Le problème de la France n’est pas d’avoir des salaires trop élevés. Des salaires élevés, ça fait des consommateurs qui ont du pouvoir d’achat. Si on veut promouvoir des produits français, il faut qu’ils vaillent le coup, qu’on les achète un peu plus cher pour avoir de la qualité. Pour cela il faut du pouvoir d’achat, donc du salaire. Il faut que notre système productif se transforme pour que, étant déjà premium sur les revenus, nous soyons aussi premium sur la production pour servir des besoins premium. Regardez le vin : aujourd’hui, on en produit beaucoup moins, de meilleure qualité et les Français boivent moins mais mieux. Je crois à un usage raisonné du made in France, fondé sur la qualité et la durabilité des produits. 

L’image de l’industrie va-t-elle durablement s’améliorer ? 

Je suis raisonnablement optimiste. Nous sommes sur une pente positive. L’entreprise ne s’est pas suffisamment exprimée jusqu’à présent. Il faut que l’on multiplie les occasions de contact, notamment avec les jeunes : les stages, les journées portes ouvertes, la Semaine de l’industrie. Les Français connaissent l’industrie quand ils vivent à côté, pas l’industrie en général. Plus on accroît l’information, plus on accroît l’affection. Bien sûr, il faut quelques projets enthousiasmants et emblématiques, mais tout le monde ne pourra pas travailler sur Airbus ou Ariane ! Il faut véhiculer collectivement des images positives de produits qui font rêver mais aussi présenter et promouvoir des images plus locales. Dans toute entreprise il y a des choses passionnantes.

Propos recueillis par Thibaut de Jaegher et Patrick Déniel

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