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Pollutions

Le plastique est une menace pour la santé

Les déchets plastiques polluent, on le sait. Mais c’est dès sa phase de production, au moment de l’extraction du pétrole, que le plastique est une source de pollution. Un rapport récemment publié parle même de « crise sanitaire globale ignorée, bien que sous nos yeux ». Reporterre vous en résume les principales conclusions.

Si l’on sait désormais que les océans sont saturés de plastique, réalise-t-on que nos corps y sont eux aussi constamment exposés par de multiples voies ? Un dense rapport paru en anglais et peu remarqué en France, nous le rappelle à coup de données, études et chiffres glaçants. Intitulé Plastique et santé, les coûts cachés d’une planète plastique, il a été publié par le Center for international environmental law (Ciel) en février 2019 [1].

« Le plastique est une crise sanitaire globale ignorée bien que sous nos yeux », nous avertit-on dès les premières pages. « Une étude a trouvé des microplastiques dans les selles de sujets habitant dans des régions du monde variées et aux régimes alimentaires totalement différents », dit David Azoulay, directeur du programme santé et environnement du Ciel. « On voit aussi des bébés naître déjà contaminés par certaines substances associées au plastique. »

Et cela ne risque pas de s’arrêter. Car, autre information mise en avant dès l’introduction du rapport, la production mondiale de plastique a explosé depuis 1950, de 2 millions de tonnes en 1950 à 380 millions de tonnes en 2015. Les deux tiers du plastique déjà produit ont été relâchés dans l’environnement… et y restent.

Le rapport entend aussi changer le regard sur le plastique, longtemps vu comme un matériau inerte : « De plus en plus, la recherche démontre que les mêmes caractéristiques qui en font un matériau […] léger et aux liaisons moléculaires incroyablement durables en font aussi une menace omniprésente, et persistante pour la santé humaine et les écosystèmes. »

99 % du plastique fabriqué à partir de combustibles fossiles

Toutes les étapes du cycle de vie du plastique sont étudiées successivement, depuis l’extraction des hydrocarbures, leur raffinage et leur transformation en plastique, les multiples utilisations induisant une exposition directe, ainsi que la gestion des déchets et le recyclage. Une approche globale, choisie car « on s’est rendu compte que toute une partie de l’histoire, notamment l’amont avant utilisation, n’était pas racontée », dit David Azoulay.

Le récit débute donc au moment de l’extraction, alors que plus de 99 % du plastique est fabriqué à partir de combustibles fossiles. On apprend ainsi que l’industrie pétrolière pousse pour une augmentation de sa production, en particulier aux États-Unis. « Le boom du gaz de schiste a entraîné une augmentation de la production de plastique », détaille David Azoulay. Il évoque plusieurs facteurs :

Les gaz de schiste permettent d’obtenir de l’éthane, particulièrement adapté à la production de polymères de plastique ; le problème climatique fait que les entreprises cherchent d’autres débouchés que les carburants ; et c’est rentable, par exemple, la pétrochimie représente 10 % du chiffre d’affaires d’ExxonMobil mais 23 % des bénéfices ! »

Un boom qui arrive en Europe, alors que la Norvège, notamment, importe de l’éthane américain destiné à la production de plastique.

L’extraction du gaz de schiste permet d’obtenir de l’éthane, particulièrement adapté à la production de polymères de plastique.

Le rapport se centre sur les conséquences sanitaires de l’extraction des gaz de schiste, bien documentées ces dernières années. « Sur les 353 produits chimiques associés à la production de gaz et de pétrole, 75 % peuvent affecter la peau, les yeux (…), le système respiratoire, le système gastro-intestinal et le foie. Près de la moitié de ces produits pourraient affecter aussi le cerveau ou le système nerveux, immunitaire ou cardiovasculaire, et les reins », ceci alors que « rien qu’aux États-Unis, on estime que 12,6 millions de personnes vivent à moins de 800 mètres d’une installation pétrolière ou gazière. » Ils se répandent, notamment, via l’air ou l’eau.

L’étape suivante est celle de la fabrication du plastique, dans les usines chimiques. Celles-ci sont souvent implantées dans des lieux habités par des « communautés de couleur, aux revenus modestes, ou marginalisées », relèvent les auteurs, ces communautés étant supposées moins aptes à protester contre une industrie polluante. Une usine arrive d’ailleurs rarement seule : « Elle ouvre la voie à d’autres installations et raffineries, et aux infrastructures associées. »

La liste des polluants relâchés par cette industrie est aussi poétique qu’une formule de chimie. Au hasard, prenons le benzène, dont on sait « depuis le 19e siècle que c’est un poison pour la moelle osseuse ». Ou le styrène (utilisé, logiquement, pour fabriquer le polystyrène), et qui, si l’exposition est prolongée, peut provoquer des cancers. Le rapport nous rappelle également que les accidents sont fréquents dans ces usines, et que les travailleurs de la chimie sont les premiers exposés.

Les plastiques contiennent des additifs, eux aussi nocifs

Les consommateurs sont eux aussi largement exposés. La principale source d’exposition serait « la migration des produits chimiques contenus dans les emballages vers la nourriture ou la boisson ». Concernant les molécules de plastiques elles-mêmes, en particulier les micro et nano-plastiques, la recherche n’en est qu’aux début de l’étude des impacts sur la santé humaine (alors que les impacts sur la biodiversité marine sont mieux documentés).

En revanche, les plastiques contiennent aussi d’autres produits donc on connaît mieux les conséquences. Tout d’abord les plastiques sont en fait de grosses chaînes (polymères) issues d’un assemblage de plus petites molécules (monomères). Or, certains monomères sont piégés dans les mailles des chaînes de plastique. Certains sont cancérigènes et peuvent être ensuite relâchés par nos emballages alimentaires, les mousses des matelas, les câbles et coques plastiques de nos appareils, etc.

La principale source d’exposition plastique : « la migration des produits chimiques contenus dans les emballages vers la nourriture ou la boisson »

Par ailleurs, les plastiques contiennent eux aussi des additifs. Ceux-ci servent à les rendre solides ou souples, transparents ou opaques, sont des retardateurs de flamme, des stabilisants, etc. Ils représenteraient 7 % de la masse, en moyenne, des plastiques non fibreux (les fibres se retrouvent par exemple dans les vêtements). Mais les proportions peuvent être plus élevées, par exemple pour le PVC, qui contient « la plus grande diversité d’additifs ». Or, c’est le matériau désormais privilégié pour nos conduites d’eau… Certains sont cancérigènes, d’autres problématiques pour la reproduction. Parmi les additifs les plus connus ayant ces réjouissantes propriétés, les phtalates ou le Bisphenol A.

Mais obtenir la liste précise des produits dangereux contenus dans chaque plastique reste aujourd’hui une gageure. « Il est quasiment impossible de connaître les types de substances utilisées dans les processus industriels, relate David Azoulay. Les fabricants se cachent derrière le secret industriel pour empêcher l’émergence d’une réglementation en la matière. »

« Je n’ai jamais vu un sujet environnemental ou de santé publique émerger aussi rapidement »

Et après ? Le rapport est clair : on ne sait pas quoi faire de tous les déchets de plastique accumulés. Seule une toute petite partie est incinérée ou recyclée. Et même ces solutions sont loin d’être la panacée. Les incinérateurs ajoutent une nouvelle salve de polluants dans l’air, l’eau et les sols. Le recyclage a lui pour inconvénient de perpétuer tous les produits dangereux contenus dans les plastiques. Une étude sur les plastiques recyclés a ainsi montré que « des produits de consommation, y compris des jouets, sont contaminés avec des produits toxiques ».

Outre toutes ces expositions directes, le dernier chapitre s’attache aux expositions dues à la présence de plastique partout dans notre environnement. « Du plastique a été trouvé même dans les plus profonds océans », nous rappelle-t-il. Les microplastiques se glissent dans notre sel, l’eau du robinet ou en bouteilles, la bière, le miel, le sucre… Ils s’accumulent dans la chaîne alimentaire, comme l’ont montré les études sur la faune marine. Des études chez les souris les ont retrouvés, une fois ingérés, concentrés dans le foie, les reins et le tube digestif. Via l’air, ce sont les plastiques sous forme de micro-fibres qui peuvent se loger au fond des poumons et provoquer des inflammations. Enfin, « le plastique est largement répandu dans les sols agricoles », ajoute le document.

L’ensemble, même avec des données encore manquantes, forme un constat accablant. Le Ciel appelle à une réponse globale à ce problème complexe, alors que « des enjeux financiers considérables incitent au statu quo » et que « l’industrie nie les impacts sur la santé. » L’ONG, qui agit pour l’émergence de régulations mondiales, a deux pistes. « La première s’appuierait sur la Convention de Bâle qui réglemente les transports de déchets dangereux, détaille David Azoulay. Nous voudrions que les plastiques aient le statut de déchets requérant une attention spéciale, ce qui limiterait les transferts. Par ailleurs, depuis deux ans, des discussions ont lieu pour établir un traité mondial qui viserait la réduction de la production de plastique. » L’avocat est confiant, car il estime que les discussions avancent vite. « Je n’ai jamais vu un sujet environnemental ou de santé publique émerger aussi rapidement que celui-ci. L’intérêt du public, porté par le scandale du Bisphénol A par exemple, se retrouve dans les discussions internationales. »

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