Après l’émotion, les sanctions. La Commission de discipline de la Ligue de football professionnel (LFP) se réunit ce mercredi 17 avril, pour se pencher sur le dossier des insultes racistes proférées lors d’un match de Ligue 1 entre Amiens et Dijon, le 12 avril. Visé par des cris de singe proférés par un supporteur en tribune, le capitaine amiénois, Prince Gouano, en avait informé l’arbitre et la rencontre avait été interrompue pendant six minutes. L’auteur des faits, identifié et interpellé après le coup de sifflet final, n’a pas été mis en examen, mais placé sous le statut de témoin assisté.

D’une dignité exemplaire, Prince Gouano a expliqué avoir voulu « marquer le coup », mais a décidé de ne pas porter plainte contre l’individu. La LFP, de son côté, doit se constituer partie civile dans le cadre d’une instruction qui pourrait durer deux semaines et déboucher sur des sanctions à l’encontre du club de Dijon.

Cette affaire n’est pas la seule qui devrait occuper les débats de la commission de discipline de l’instance. Car ce même 12 avril, d’autres dérives dans les tribunes ont été constatées, cette fois lors du match de Ligue 2 entre Lens et Valenciennes. Une vidéo postée sur les réseaux sociaux montre le « capo » (chauffeur d’ambiance) du groupe ultra des Red Tigers de Lens lancer des insultes homophobes en direction des Valenciennois – des insultes reprises en chœur par le kop des supporteurs.

Deux poids deux mesures ?

Les propos grossiers ont été relevés par Rouge Direct, un collectif né sur les cendres de l’association Paris Foot Gay qui se veut lanceur d’alerte contre l’homophobie dans le football. « Sans notre intervention, cette affaire serait passée sous les radars et c’est inadmissible, s’emporte Julien Pontes, porte-parole de Rouge Direct. Nous avons dû tordre le bras de la LFP pour qu’elle se saisisse du dossier pendant sa commission de discipline. Il s’agit d’un délit au regard de la loi. Le règlement de la LFP existe et nous attendons des sanctions, les mêmes que celles prises contre les actes racistes. Il ne peut pas y avoir deux poids deux mesures. »

« Nous allons étudier les suites judiciaires à donner à ces événements », a promis Nathalie Boy de la Tour, la présidente de la LFP. Pour quel résultat ? « Force est de reconnaître que les instances du football, nationales et internationales, sont très fermes dans leur volonté d’annihiler le racisme dans les stades. Moins sur les questions d’homophobie, constate le professeur Pierre Rondeau, codirecteur de l’Observatoire sport et société et auteur des Tabous du foot (1). Le racisme touche directement la dignité et l’intégrité des joueurs, qui réagissent et le condamnent. L’homophobie les concerne moins. Jamais un joueur n’a demandé l’arrêt d’un match en entendant ce genre d’insultes. Ce serait comme faire son “coming out”, impensable dans un sport très hétéronormé. Demeure donc une certaine banalisation de l’homophobie dans les tribunes, assimilé à un folklore sans conséquence. »

L’éducation pour renforcer les mécanismes d’autocensure

La présidente de la LFP elle-même a récemment évoqué ce « folklore de stade », propos pour le moins maladroits qu’elle affirme aujourd’hui « mal interprétés ». Chez les supporteurs, les réactions à l’affaire Lens-Valenciennes sont partagées.

Sur les réseaux sociaux, certains déplorent et parlent de « honte », d’autres défendent un simple « chambrage entre supporteurs ». « Il existe un substrat culturel sur lequel on persiste à jeter un voile, analyse Sylvain Ferez, sociologue à l’université de Montpellier.Un vrai travail d’éducation et de prévention pour renforcer les mécanismes d’autocensure reste à faire. Je pense toujours aux enfants, présents dans les tribunes, à ce qu’ils entendent. Il faudrait être beaucoup plus vigilant collectivement. »

Rouge Direct, qui doit rencontrer la ministre des sports le 14 mai prochain, entend demander « des choses simples, explique Julien Pontes : la nomination d’observateurs dans tous les clubs pour rapporter les faits délictueux, la réunion des présidents de clubs par la LFP, mais aussi un dialogue avec les associations de supporteurs. »

Une mobilisation générale en somme, mais qui s’avère délicate dans un contexte où les relations entre les clubs et les groupes de supporteurs restent tendues. « À l’heure du football business et mondialisé, les associations de supporteurs ont le sentiment d’être les dépositaires de l’identité des clubs face à des dirigeants souvent venus d’ailleurs. Elles prennent de plus en plus d’importance, et c’est difficile pour les clubs d’arriver à faire le ménage en leur sein. Cette dimension est à prendre en compte. Un sursaut général est nécessaire. »

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Une convention et une journée de lutte

Le 26 mars dernier, la LFP annonçait la signature d’une convention de mécénat avec la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra), « pour intensifier la lutte contre toute forme de discrimination ». La Licra doit notamment concevoir un formulaire de signalement des dérives, à transmettre à la LFP en lui notifiant les actions à mettre en œuvre en fonction des faits révélés.

Concernant plus spécifiquement l’homophobie, la LFP prévoit d’organiser une journée de lutte le 17 mai prochain à l’occasion de l’avant-dernier rendez-vous de Ligue 1, avec ses partenaires, notamment Foot Ensemble et SOS Homophobie.

(1) Éditions Solar, 2019.