Lynchage de Roms après des rumeurs d’enlèvements : jusqu'à 10 mois de prison ferme pour les prévenus

Publié le 17 avril 2019 à 21h19, mis à jour le 17 avril 2019 à 21h32

Source : La matinale

PROCÈS - Ce mercredi 17 avril se tenait au tribunal de Bobigny le procès de quatre jeunes hommes, soupçonnés d’avoir pris part au lynchage de Roms à Montfermeil (Seine-Saint-Denis), dans le cadre de rumeurs persistantes et infondées d’enlèvements d’enfants en Ile-de-France. Deux d’entre eux ont écopé d’une peine de prison ferme.

Il y a les rumeurs qui enflamment les foules. Et puis il y a la froideur de la vérité judiciaire. Ce mercredi 17 avril, trois jeunes hommes ont été condamnés par le tribunal de Bobigny (Seine-Saint-Denis), à des peines d’emprisonnement de dix mois ferme, six mois ferme et huit mois avec sursis, pour des faits de violences contre des personnes issues de la communauté rom, dans le contexte d’allégations infondées d’enlèvements d’enfants, en Île-de-France.

 

Au départ, ils sont quatre à la barre. Cheveux bouclés et duvet au-dessus des lèvres, les jeunes hommes sont âgés de 18 à 22 ans. Ils sont soupçonnés d’avoir pris part au lynchage d’un homme, à Montfermeil, le 25 mars dernier. Ce jour-là, en début de soirée, une réunion spontanée d’habitants se termine devant la mairie de Clichy-sous-Bois, en présence du maire et du commissaire de police. Ces derniers ont tenté de calmer les esprits alors que les réseaux sociaux, partout en Île-de-France, bruissent d’appels à la violence envers des Roms qui se promèneraient en camionnette blanche, dans les rues, à la recherche d’enfants à kidnapper. Rien, rappellent alors les autorités, ne permet d’étayer cette rumeur irrationnelle. Pourtant, ils sont une cinquantaine, à l’issue de cette réunion, à s’armer de bâtons, direction le premier squat de familles roms en vue, jouxtant le parking d’un supermarché d’Auchan.

 

Lorsque la police arrive sur les lieux, des individus sont en train de "s’acharner", selon les mots employés dans les procès-verbaux, sur un homme à terre. Quelques-uns s’écartent, au signal des gyrophares. Mais une dizaine d’entre eux poursuivent, imperturbables, leur pluie de coups de pieds et de bâtons. 

 

Hasard ou curiosité

Alors que faisaient là les prévenus du jour ? A les écouter, pas grand-chose. Ils se seraient trouvés au mauvais endroit, au mauvais moment. Le plus âgé des quatre, pull rose à rayures et nuque longue, est celui sur lequel pèsent les charges les plus lourdes, en l’occurrence "préparation d’attroupement en vue de commettre des violences en raison de la race" puis "violences envers une personne dépositaire de l’autorité publique". Il est soupçonné d’avoir activement pris part au lynchage à l’aide de pierres. Chauffeur-livreur, il indique qu’il venait de se garer sur le parking du supermarché pour aller manger un bout, lorsqu’il s’est retrouvé "au milieu du chaos". Par hasard, "ou par curiosité", ajoute-t-il, laissant le tribunal apprécier. Quant à la folle rumeur, il assure ne pas en avoir entendu parler. De toute façon, en ce qui le concerne, "il ne croit que ce qu’il voit". 

 

Dans ce dossier, il est le premier à être interpellé, dans un contexte plus que mouvementé. Les forces de l’ordre viennent alors de lancer une grenade de désencerclement pour disperser la foule. La victime au sol, en sang et la chemise déchirée, en profite pour se réfugier en titubant derrière les policiers, alors que le reste du campement - une trentaine de personnes environ - se replie à l’intérieur du supermarché. A cet instant, selon les policiers, les individus armés se retournent contre les forces de l’ordre. Notre jeune prévenu, une pierre à la main, est interpellé. Et pour éviter qu’il ne prenne la fuite, un policier entreprend de se menotter à lui. La tension monte encore d’un cran. Alors que plusieurs camarades tentent de dégager le jeune homme de l’emprise des policiers, ces derniers tirent leur collègue de leur côté. Le scène est ubuesque : le fonctionnaire de police s’en tire avec deux jours d’ITT, le prévenu avec quatre jours. 

Une petite soeur kidnappée ?

C’est alors qu’entre en scène le deuxième prévenu. Celui-ci, âgé de 19 ans, est lui aussi poursuivi pour violences envers les personnes de la communauté rom, mais également pour complicité de violence envers les forces de l’ordre. Il serait venu en aide au premier prévenu, menotté à un policier, en le tirant par le bras. Ce jeune préparateur de commandes, ancien livreur chez Amazon, nie les faits qui lui sont reprochés. "J’étais là parce que c’est la rue que je prends pour rentrer à la maison. Je me suis garé à Auchan, j’ai entendu des cris, j’ai vu la foule. Je suis resté cinq minutes par curiosité." L’homme se fait interpeller après les faits par des policiers qui le reconnaissent comme s’étant mêlé à la scène. 

 

En parallèle, deux autres jeunes individus sont arrêtés. L’un d’entre eux est aujourd’hui poursuivi pour violences avec arme… en l’occurrence son chien, "Simba", qu’il aurait lâché sur les Roms. A la barre, il indique qu’il était sorti promener l’animal, faisant un détour par la boucherie, lorsqu’un ami lui transmet le message de sa mère : sa sœur de 14 ans, qui faisait des courses à Auchan, aurait appelé à la maison en pleurs. La rumeur faisant son oeuvre, le jeune homme comprend qu’elle a été kidnappée par des Roms et décide de se rendre sur les lieux. Il nie toutefois avoir lancé son chien sur les personnes repliées dans le supermarché. "Je suis quand même pas bête au point de dire à mon chien d’attaquer devant 60 policiers !" Quant au dernier prévenu, âgé de 18 ans, il jure qu’il faisait des courses pour sa grand-mère lorsque "la bagarre" a commencé. 

 

Des actes racistes

Pour la procureure Juliette Gest, aucune de ces excuses ne tient la route. Et de dénoncer "l’irrationalité des comportements", liée à la rumeur, qui aurait conduit à une telle scène. "Le mythe des romanichels croque-mitaines date du Moyen-Âge. Il perdure mais, par moments, il se transforme en peur collective très tenace." Elle poursuit : "Cette rumeur était fausse, je peux vous l’assurer, toutes les vérifications ont été faites, même celles sur la base de mains courantes complètement farfelues. Même à supposer qu’elles aient été vraies, la seule solution, c’était de composer le 17 et de laisser faire la police." 

La procureure n’omet pas non plus la dimension raciste inhérente, selon elle, à de tels actes : "On va peut-être vous dire que cet acte est guidé non pas par le racisme mais pas l’idiotie. Je crois que le racisme et la bêtise vont toujours ensemble. Oui, ces gestes étaient xénophobes." Une argumentation qui va dans le sens de la Licra, représentée en tant que partie civile, au même titre que le policier blessé dans l’intervention. Les Roms, ou leurs représentants, ne sont ni présents, ni représentés. La victime n’a pas non plus souhaité porter plainte. 

Ce qui conduit la défense à souligner l’insuffisance d’un dossier très médiatisé, réalisé, selon maître Dyhia Chegra, dans l’urgence la plus complète. "Aucun témoin n’a été entendu", déplore-t-elle, "ils étaient pourtant trente dans le magasin!". Finalement, elle réussira à obtenir la relaxe du plus jeune prévenu. 

Mais les trois autres sont donc condamnés. Le jeune homme de 22 ans - dix mois ferme - s’en sort sans mandat de dépôt et pourra vraisemblablement bénéficier d’un aménagement de peine. Ce n’est pas le cas pour celui qui s’était déplacé avec son chien pour "venir en aide à sa soeur". En récidive légale, il est menotté dans la salle et dormira ce soir en prison. Peu avant le délibéré, son camarade avait lancé au tribunal : "J’espère qu’on sera pas les bouc émissaires de cette situation." En mai puis en juin prochains, huit autres personnes seront jugées pour des faits similaires. 


Tristan MICHEL

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