New York

L’improbable collection d’Andres Serrano sur Donald Trump

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Publié le , mis à jour le
Dans un ancien night-club reconverti en espace d’exposition, Andres Serrano, qui n’en est pas à son premier coup d’éclat, dévoile une impressionnante collection d’objets autour de Donald Trump, glanés sur le Net. Temple en l’honneur du président des États-Unis ou critique latente d’un homme à l’égo démesuré ? À vous de trancher.
Vue de l’exposition “The Game : All Things Trump” d’Andres Serrano
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Vue de l’exposition “The Game : All Things Trump” d’Andres Serrano

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Photo a/political et ArtX

11 avril 2019, il est 17 heures dans le Meatpacking District de New York. Un service d’ordre filtre les entrées dans un immeuble sur lequel flotte une enseigne inhabituelle, en lettres majuscules : « The Game : All Things Trump  ». La scène surprend lorsque l’on connaît l’inimitié entre la ville, largement démocrate, et le président américain ! Il s’agit du vernissage de la dernière installation d’Andres Serrano, artiste américain connu pour ses œuvres polémiques telles que Piss Christ (1987), qui avait fait scandale lors de son exposition au musée de l’État de Virginie en 1989. La crise avait entraîné la coupe du budget du Fonds national pour les Arts (National Endowment for the Arts ou NEA), ce dernier ayant partiellement financé l’œuvre controversée. L’artiste était alors devenu un des protagonistes clés d’un débat historique sur la liberté d’expression artistique, intitulé « Les Guerres Culturelles » (Culture Wars), questionnant l’interventionnisme de l’État dans le financement des arts. Ironie du sort : trente ans plus tard, Donald Trump, peu aimé des artistes de son temps, songe aujourd’hui à éliminer tout financement du NEA par l’État. Comment alors expliquer qu’un artiste comme Andres Serrano dédie un espace d’exposition au personnage ?

Boîte de Trump Steaks de la collection d’Andres Serrano
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Boîte de Trump Steaks de la collection d’Andres Serrano

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Photo a/political et ArtX

« Avant d’être le président des États-Unis, Donald Trump était déjà… Donald Trump. » Ainsi Andres Serrano explique-t-il ce qui l’a conduit à faire le portrait d’un des personnages les plus controversés du monde actuel, il y a exactement un an. « Je me suis demandé quel était le sujet qui occupait l’esprit de tout le monde, et j’ai réalisé que c’était Donald Trump. » Andres Serrano décide alors de brosser le portrait du président américain en rassemblant, dans une grande installation, des objets associés au politicien et homme d’affaires : des couvertures de journaux ou casquettes dédicacées par lui, une collection de cravates emblématiques, des objets portant la marque de ses hôtels, un jeu de société à son nom… Une collection soigneusement disposée derrière des vitrines muséales, qui comprend également un diplôme de la Trump University – aujourd’hui disparue – et des collaborations avec diverses marques comme The Sharper Image, avec qui Donald Trump lança les « Trump Steaks : les meilleurs steaks du monde »… Plus de 1 000 objets ont ainsi été acquis par l’artiste lui-même, principalement sur eBay, pour environ 200 000 dollars.

Couverture du Time Magazine du 2 juillet 2018 de la collection d’Andres Serrano
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Couverture du Time Magazine du 2 juillet 2018 de la collection d’Andres Serrano

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Photo a/political et ArtX

La capacité de Donald Trump à apposer son nom partout apparaît fascinante, en témoigne la quantité d’objets dédicacés par le Président. Cela même lorsqu’il s’agit de couvertures de magazine peu flatteuses, comme ce montage à la Une du Time Magazine, le figurant dressé face à une petite fille migrante en larmes, séparée de sa famille à la frontière mexicaine. Sa signature semble écraser la tête de l’enfant et, ironie suprême, le Président n’hésite pas à y ajouter son slogan de campagne : Make America Great Again ! Pour Andres Serrano, Donald Trump vit selon l’adage : « Il n’existe pas de mauvaise publicité », et décline sa marque à l’envi, tel un chien marque son territoire. L’objet acquis à plus fort prix par Andres Serrano est un panneau figurant verticalement le mot « EGO » en majuscules gigantesques, lequel se trouvait au centre d’un bar éponyme, dans un hôtel du Président. Le panneau a été placé au centre de l’installation, juste devant un large tirage du portrait photo de Donald Trump qu’Andres Serrano réalisa il y a quinze ans.

Hebdomadaires de la collection d’Andres Serrano
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Hebdomadaires de la collection d’Andres Serrano

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Photo a/political et ArtX

Car Andres Serrano n’a rencontré Donald Trump qu’une fois, en 2004, alors qu’il réunissait une série de photographies intitulée America. Ce projet visait à dresser un portrait de l’Amérique post 11 septembre 2001, et juxtaposait les photos de nombreux anonymes à celles de célébrités. Donald Trump, businessman accompli et star de la téléréalité, était déjà une importante figure médiatique. Si l’interaction entre les deux hommes se limite aux trente minutes de cette séance photo, Andres Serrano reconnaît que le travail de collectionneur qu’il a mené pendant un an, depuis le 7 avril 2018, a d’une certaine manière renforcé sa connexion au Président, et lui a permis de mieux saisir celui qu’il considère comme « le plus grand showman depuis P.T. Barnum », célèbre entrepreneur de cirques. Andres Serrano estime même, à la manière dont Donald Trump appose sa signature sur ces objets et gère son image, qu’il est une sorte d’artiste : « un artiste escroc ou bonimenteur », certes, mais un artiste malgré tout.

Vue de l’exposition The Game: All Things Trump d’Andres Serrano
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Vue de l’exposition The Game: All Things Trump d’Andres Serrano

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Photo a/political et ArtX

Cette installation pourrait-elle être interprétée comme un temple dédié au Président ? « Trump représente des choses différentes pour des gens différents », répond Andres Serrano, « et mon rôle n’est pas de donner mon avis, mais de laisser les gens interpréter l’installation à leur guise. » L’artiste aime cultiver l’ambiguïté : l’exposition est d’ailleurs intitulée « The Game », en référence au jeu de société Trump, tiré de son show télé, The Apprentice, dont le slogan résume bien le personnage : « La question n’est pas de savoir si vous allez gagner ou perdre, mais si vous allez gagner ». Car ce portrait de Donald Trump est aussi celui d’une Amérique obsédée par la réussite médiatique et la célébrité, quels qu’en soient les fondements.

Livre de coloriage Trump et affiche de “Lord of the Financial Jungle”, invitation à l’anniversaire de Donald Trump (1994) de la collection d’Andres Serrano
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Livre de coloriage Trump et affiche de “Lord of the Financial Jungle”, invitation à l’anniversaire de Donald Trump (1994) de la collection d’Andres Serrano

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Photo a/political et ArtX

« Notre société a créé le monstre », explique Andres Serrano. Les médias se sont passionnés très tôt pour ce personnage haut en couleur, qui maîtrise l’art du buzz, bon ou mauvais, comme personne. Et la quantité d’objets sur Donald Trump, qui s’échangent sur eBay, est elle-même emblématique de la fascination de la société pour les célébrités, élevées au rang d’idoles. L’étrange collection amassée par Andres Serrano est d’ailleurs à vendre, mais dans son intégralité. Difficile de prédire qui, d’un fan ou d’un détracteur, cherchera à en faire l’acquisition. Pourrait-elle terminer dans une des propriétés du Président ? « Pourquoi pas, répond l’artiste avec un sourire espiègle, mais j’en doute car il y a un prix à payer – et Trump est un peu radin. » En attendant, la visite de ce drôle de voyage au cœur de l’égo est ouverte à tous jusqu’au 9 juin.

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The Game : All Things Trump

Du 12 avril 2019 au 9 juin 2019

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