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Anniversaire du soulèvement du ghetto de Varsovie : Zivia Lubetkin, l’insurgée méconnue

Anniversaire du soulèvement du ghetto de Varsovie : Zivia Lubetkin, l’insurgée méconnue

Histoire

Par Pierre Raiman

Publié le

Il y a 75 ans, le 19 avril 1943, le Ghetto de Varsovie se soulevait contre l’occupant nazi.

Les insurgés ont de 13 à 23 ans et vont tenir 1 mois. Parmi eux, Zivia Lubetkin, une jeune femme brune dont le regard exprime une volonté implacable.

Décembre 1939, Zivia est à Lvov en zone soviétique avec une communauté du Dror, mouvement sioniste de gauche, dont le nom signifie liberté en hébreu. Zivia et les siens sont en sécurité, malgré le pacte germano-soviétique et le dépeçage de la Pologne entre l’Allemagne d’Hitler et l’U.R.S.S de Staline.

A Varsovie, en zone allemande, les nazis imposent aux Juifs, le port de l’étoile et de multiples exactions, travaux forcés, et meurtres avec le concours de bandes de voyous polonais antisémites. Les écoles fermées, des milliers de jeunes Juifs, sont désormais sans éducation, privés souvent de nourriture et parfois de leurs parents.

À Lvov, la nuit du réveillon, alors que dans les rues on fait la fête, se tient un congrès clandestin du Dror, où Zivia est volontaire pour aider les jeunes de Varsovie, volontaire pour retourner vers l’enfer nazi.

Un soir de janvier 1940, elle part avec un passeur et des étudiants polonais. En zone soviétique, ceux-ci sont aimables envers la seule femme de l’équipée, mais sitôt en zone allemande leur ton change. Zivia n’est plus qu’une youpine qu’ils veulent exclure, malgré le froid, de la gare où ils attendent le train pour la capitale, quitte à la dénoncer aux feldgendarmes. Zivia ne bouge pas, ils céderont. Comme le train s’ébranle, remarque-t-elle l’embranchement qui indique une bourgade proche, Treblinka ?

À Varsovie, avec Frumka, une amie, Zivia a tôt fait de créer une commune pour enfants et ados. Les besoins sont immenses et elles réclament de l’aide. À Lvov, un jeune homme, Yitzhak Zuckerman, est volontaire à son tour. Grand blond, il fait un aryen acceptable. Ce qu’il ne dit pas à ses compagnons, c’est son penchant pour Zivia. Ces deux-là se sont fréquentés chastement et à Varsovie ils deviennent un couple, en un temps et un lieu pour d’autres priorités.

D’abord nourrir et éduquer les jeunes. Le ghetto créé en octobre 40, emmuré, ne manque pas de profs désœuvrés et de conférenciers de talent. Jusqu'à l’été 42, ces jeunes auront une éducation exceptionnelle. Ils ne savent pas encore qu’il leur faudrait apprendre le maniement des armes. Mais nourrir, éduquer, n’est-ce pas aussi résister ?

La Résistance ? Ses débuts sont difficiles. Malgré les rumeurs de massacres en Lituanie, personne, hormis les jeunes militants, ne croit à l’inimaginable, la destruction prochaine de la plus grande communauté juive de Pologne. Zivia et Yitzhak essayent en vain de persuader les dirigeants spirituels et politiques du ghetto, sans parler de la Résistance polonaise qui les toise de haut et refuse de les aider.

Printemps 42, une première organisation est crée avec l’appui des communistes, hélas la chute d’une cellule du PC dans la partie aryenne met la Gestapo sur leur piste et les arrestations se succèdent dans le ghetto. Quand, en juillet 1942, les nazis commencent l’Aktia, la grande déportation vers Treblinka de 300 000 Juifs, ils ont 2 pistolets et 2 grenades, saisis par les Allemands lors d’un contrôle, avant d’avoir pu servir.

Zivia indique la seule issue. Sortir dès le lendemain, avec des bâtons et des couteaux, attaquer les sentinelles, mettre le feu pour que le monde voit et mourir, mais debout

Chaque jour, des milliers de Juifs sont poussés par la force ou la faim vers l’Umschlagplatz, la place d’embarquement et gare la plus fréquentée de Pologne, au départ s’entend, au retour de Treblinka, les trains sont vides.

En septembre, le Ghetto est une ville fantôme, il reste 1 habitant sur 10. Une nuit, Zivia, Yitzhak et deux ou trois dizaines se réunissent dans un immeuble vidé de ses occupants. Ignorés par les Alliés, méprisés par la Résistance polonaise, désespérés, ils ont honte de n’avoir su empêcher le massacre des leurs.

Zivia indique la seule issue. Sortir dès le lendemain, avec des bâtons et des couteaux, attaquer les sentinelles, mettre le feu pour que le monde voit et mourir, mais debout.

Tous l’approuvent, sauf Yitzhak. La rumeur dit que les Allemands vont faire une pause, il propose d’attendre et en profiter pour s’organiser, s’armer pour une insurrection sans espoir, mais plus efficace. Tous s’opposent à lui, Zivia surtout ne mâche pas ses mots, temporiser c’est trahir. Le couple se déchire devant leurs camarades, puis le point de vue d’Yitzhak prévaut et une énergie nouvelle les gagne, l’Organisation Juive de Combat (O.J.C) est constituée.

C’est Mordechaï Anielewicz de l’Hashomer Hatzaïr qui est choisi comme chef avec Yitzhak et Zivia pour adjoints, bientôt rejoints par Marek Edelman du Bund.

Ils s’arment à prix d’or et mènent des attentats contre les chefs de la police juive. Après une escarmouche victorieuse en janvier, les Allemands désertent le ghetto et l’O.J.C est le nouveau pouvoir. Tous les partis y sont associés, même le Betar, qui la quittera, en acceptant une répartition des zones de combats.

Ils n’avaient prévu ni de survivre aux combats, ni de plan d’évacuation

Le 19 avril au matin, 2000 policiers et SS pénètrent le ghetto. À l’angle des rues Nalewki et Gensa, c’est le groupe de Zivia qui les “accueille” en premier. Les nazis refluent en désordre abandonnant morts et blessés, aux cris de “Les Juifs ont des armes !”

La nuit, les nazis quittent le ghetto et Zivia mène, embuscades et missions de contact entre les différents bunkers de l’OJC. Mais chaque jour, les SS reviennent avec chars, lance-flammes, puis des Stukas et incendient systématiquement les immeubles. Zivia et les siens se battent autant contre le feu que contre les SS.

Yitzhak n’est pas avec elle. Surpris en zone aryenne quand les combats commencent, il scrute le ghetto en flammes, inconsolable de ne pouvoir se battre. Une fête foraine où se pressent les indifférents, est installée non loin. Le poète polonais Czeslaw Milosz, présent, la compare, dans les vers rageurs de Campo di Fiori, au supplice de Giordano Bruno, brûlé vif pour athéisme par l’Inquisition à Rome en 1600, devant une foule de pèlerins au spectacle.

“Un printemps à Varsovie.

Près des gaies balançoires

La vive mélodie faisait taire

Les coups de canon au ghetto ;

Très haut s’envolaient les couples,

Jusqu’au milieu du ciel clair…

Le vent des maisons en feu

Levait les robes des jeunes filles

Et riaient les foules insouciantes

Du beau dimanche de Varsovie".

Ils n’avaient prévu ni de survivre aux combats, ni de plan d’évacuation. Le 7 mai au soir, Zivia quitte le bunker du 18 rue Mila pour coordonner une sortie avec le groupe de Marek Edelman. Mais le lendemain a son retour, Mila 18 a été détruit et ses occupants, dont Anielewicz, gazés par les SS.

Le seul espoir, ce sont les égouts où Zivia envoie des éclaireurs qui, miracle, rencontrent un des leurs, dépêché par Yitzhak. Dans les immondices, les survivants patienteront 3 jours qu’un camion puisse les évacuer. Lorsqu’ils émergent, hagards et sales, il faut faire vite car des passants ont prévenu la police, mais un groupe éloigné dans le dédale souterrain tarde à les rejoindre. Zivia ordonne au chauffeur d'attendre et le menace de son pistolet.

-“Je te tue si tu démarre !

-Je vous amène dans les bois, tu me tueras après si tu veux.”

Le camion s’ébranle avant l’arrivée des SS, mais Zivia gardera toute sa vie cette blessure.

Cachés dans des planques, ils attendent la Libération et lorsqu’en août 44, Varsovie s’insurge à l’approche de l’Armée Rouge, les survivants du ghetto choisissent de se battre aux côtés de ceux qui les ont si peu aider. Ils voudraient aussi préserver quelques uns des leurs pour témoigner, mais personne, surtout pas Zivia ne veut être une pièce de musée à l’heure des combats. L’insurrection est brisée quand Staline ordonne à son armée de laisser les nazis détruire une Résistance polonaise, trop indépendante.

S’en suit une nouvelle fuite par les égouts où une crue emporte Zivia épuisée vers le collecteur principal mais Marek parvient à la saisir par les cheveux et la hisser vers la sortie.

Quelques jours plus tard, leur groupe parvient à franchir les lignes soviétiques, le cauchemar est fini.

En 1946 Zivia émigre en Palestine, Yitzhak la rejoindra, ils fondent une famille et, avec d’autres, au nord d’Israël un kibboutz et le Musée des Combattants du Ghetto. En 1961, Zivia est appelée au procès Eichmann. Hannah Arendt, présente, parle du “témoignage le plus pur et le plus clair, celui d’une femme dans la quarantaine, encore très belle.”

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne