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La révolution algérienne a un écho particulier en Kabylie, terre de révoltes

La Kabylie, éternelle région frondeuse, vit les moments historiques que traverse l’Algérie de manière singulière, alors que ce samedi 20 avril marque l’anniversaire du soulèvement kabyle de 1980
Manifestation le 24 mai 2001 à Tizi Ouzou, capitale de la région de Kabylie, contre la répression policière au cours d’émeutes provoquées par la mort d’un adolescent en détention en avril (AFP)

Bien que le mouvement de contestation que connaît le pays actuellement n’ait pris une tournure nationale qu’à partir du 22 février, il est utile de rappeler que la première grande manifestation pacifique contre le cinquième mandat de Bouteflika a eu lieu le 16 février à Kherrata, une localité à 60 km à l’est de Béjaïa, en Kabylie. 

Ce jour-là, plusieurs centaines de manifestants battent le pavé pour dire non au cinquième mandat, à la surprise générale.

Certains observateurs n’ont pas hésité à faire le parallèle avec les manifestations qu’a connues cette même localité en 1945, à la grande différence que celles-ci ont été matées dans le sang par les autorités coloniales françaises, constituant ainsi les germes de la guerre de libération nationale. 

Rapport conflictuel avec Bouteflika

Il faut dire qu’entre la Kabylie et Bouteflika, le moins qu’on puisse dire est qu’il y a une longue histoire de franche inimitié. 

Lors de ses déplacements ratés à Tizi Ouzou et à Bejaïa, quand il était en tournée en tant que candidat aux présidentielles de 1999, il a été accueilli avec les coupures du journal El Moudjahid datant de 1983 et contenant le fameux arrêt de la Cour des comptes à son encontre, le condamnant pour détournement de plus de 59 millions de dinars à l’époque, la crise du Printemps noir de Kabylie (avril 2001) a constitué le premier test majeur pour Bouteflika en tant que président. 

La gestion catastrophique de cette crise qui a vu l’assassinat de 130 personnes par la gendarmerie nationale a marqué au fer rouge la région de la Kabylie et scellé le rapport conflictuel qui l’a liée depuis à Bouteflika. 

 « La Kabylie a toujours été la matrice et le berceau des combats progressistes, démocratiques »

- Bouaziz Ait Chebib, ex-président du Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie 

C’est donc dans une suite logique des choses que sa candidature pour un deuxième mandat fut rejetée massivement en Kabylie en 2004. Et il en fut de même en 2009 et 2014. 

Ainsi, depuis le début de cette fronde citoyenne, les habitant(e)s de la Kabylie oscillent entre soutien franc pour le mouvement et appréhension à propos de la place de la région dans cette Algérie qui se (re)dessine.

Se définissant tous souverainistes kabyles avec des tendances et des visions différentes, les acteurs politiques non partisans de la région sont tous interpellés par l’accélération des événements, d’autant plus que l’on s’y apprête en ce moment, comme chaque année en cette période, à fêter le 39e anniversaire du printemps berbère de 1980, une date clé dans la longue histoire des luttes pour la démocratie en Algérie. 

Pour Bouaziz Ait Chebib, président du Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK) de décembre 2011 à novembre 2016, « la Kabylie participe activement à ce mouvement de protestation inédit parce qu’elle est en révolte depuis 1962. La contestation du cinquième mandat de Bouteflika a été la goutte qui a fait déborder le vase, mais la Kabylie n’a connu qu’un seul mandat : celui de la négation, du déni d’existence, de l’oppression, de la répression, de l’arabisation, de l’islamisation forcées et de l’assassinat individuel et collectif. » 

Il estime que la Kabylie « a toujours été la matrice et le berceau des combats progressistes, démocratiques ; ce qui a engendré son isolement politique permanent. Et c’est d’ailleurs elle qui est, encore une fois, à l’origine de ce mouvement de contestation avec les manifestations de Kherrata que beaucoup tentent de faire passer à la trappe. »

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Il ajoute que ces événements « ne peuvent être sans effet ou conséquence sur la Kabylie » et que « toutes [ses] structures politiques, culturelles, associatives et citoyennes sont tenues de s’entendre autour d’un compromis politique, social et culturel, un SMIG qui garantirait le respect des identités politiques de chacun tout en préservant les intérêts de la Kabylie et défendre ses idéaux de liberté, de justice et d’équité, et ce, en se préparant à tous les scénarios possibles ».

Pour Ahviv Mekdam, universitaire, journaliste et militant souverainiste kabyle, « le 39e anniversaire du Printemps berbère et le dix-huitième du Printemps noir coïncident cette année avec une mobilisation populaire sans précédent dans l’Algérie indépendante. C’est le 20 avril 1980 qui a brisé le mur de la peur imposée par la junte militaire au pouvoir et c’est le 20 avril 2001 qui a définitivement creusé le fossé entre la Kabylie et l’État algérien. Le 20 avril est le précurseur des luttes algériennes d’aujourd’hui et il devrait être célébré dans chaque coin du territoire algérien. »

L'avenir immédiat 

La Kabylie n’aspire plus à « démocratiser l’Algérie, encore moins à ‘’kabyliser’’ les Algériens. Depuis les tragiques événements du Printemps noir, une nouvelle revendication a émergé et un nouveau discours politique voit le jour. La Kabylie aspire dorénavant à la mise en place de ses propres institutions. » 

Il ajoute que « l’actualité politique et le bouleversement que vient de connaître l’Algérie offrent des données nouvelles avec lesquelles il faudra compter.

Ainsi, la classe politique et l’élite intellectuelle kabyle doivent plus que jamais concentrer leurs efforts sur l’avenir immédiat de la Kabylie, soit dans un cadre d’une nouvelle Algérie refondée sur la reconnaissance des uns et des autres, soit en dehors de celle-ci si la tentation fasciste et hégémoniste arabo-islamique prenait le dessus. »

Il est vrai que l’appréhension est palpable chez un grand nombre d’activistes et de militants politiques. Ainsi, Hamrani Mouloud, un jeune militant qui se définit lui aussi comme souverainiste, est plutôt inquiet sur la suite des événements. 

« Peuples algériens »

Bien qu’il se dise, « heureux, entant que militant des droits humains, de voir que les peuples d’Algérie se révoltent contre le pouvoir algérien » qu’il qualifie de « mal absolu », il ne peut cacher «[ses] craintes sur l’après régime actuel au regard de ce qui s’est passé dans les autres pays de la région après la chute des régimes en place ». 

Toute la région vit une effervescence politique inégalée depuis le début des années 2000

Tenant absolument à parler de « peuples algériens » au pluriel, Hamrani Mouloud pense que « la société algérienne est profondément imprégnée d’un islam rigoriste qui exclut l’autre et le contrat social est difficilement négociable dans de telles conditions ».

Ce qui est indiscutable, c’est que toute la région vite une effervescence politique inégalée depuis le début des années 2000. Des rencontres et des débats sont organisés dans tous les campus et toutes les localités et la population participe activement aux marches, aussi bien dans les villes de la région que dans la capitale. 

Tous les acteurs politiques, toutes tendances confondues, s’accordent à dire que le pays vit une période charnière et que la Kabylie ne peut se permettre de ne pas être à l’avant-garde.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Nourredine Bessadi est enseignant-chercheur à l'Université Mouloud-Mammeri de Tizi Ouzou, en Algérie. Il est en même temps traducteur et consultant indépendant. Il travaille sur les questions se rapportant au genre, aux politiques linguistiques, aux droits humains ainsi qu'à la gouvernance Internet. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @NourredineBess1
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