De Marc Riboud à Martin Parr, quand Notre-Dame tapait dans l’œil des photographes

De la littérature à la peinture, la cathédrale parisienne est le sujet de nombreuses œuvres d’art. Dès le mitan du XIXe siècle, elle a aussi inspiré les photographes, attirés par ses arcs-boutants arachnéens et ses gargouilles facétieuses. De Baptiste Guérard à Martin Parr, retour sur cent cinquante ans de photographie avec pour sujet la pas encore blessée Notre-Dame.

Par Yasmine Youssi

Publié le 20 avril 2019 à 09h30

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 00h56

Voilà plus de huit cent cinquante ans qu’elle focalise tous les regards, et cent quatre-vingts ans que Notre-Dame attire les plus grands photographes, qui, depuis l’invention du médium, en 1839, n’ont cessé de braquer leurs objectifs sur sa façade, ses hauteurs ou ses entrailles. Au fil de leurs clichés, dont nous vous offrons une sélection, se dessine en fait une véritable histoire de la photographie. Certes, nous n’avons aucun daguerréotype à vous proposer, même s’il en existe. Mais des images des primitifs, ces pionniers qui exercèrent entre 1840 et 1870 et dont Charles Nègre (1820-1880), connu pour son célèbre « Stryge », est l’un des plus éminents représentants. Des tirages des pictorialistes, qui, tel l’Américain Alvin Langdon Coburn (1882-1966), évoluèrent entre 1880 et 1914, et pour qui la photo n’est pas la reproduction mécanique du réel mais un art à part entière qui leur permet d’interpréter la nature et de dire leurs sentiments. Des œuvres constructivistes réalisées au lendemain de la Grande Guerre, ces vues vertigineuses en plongée ou en contre-plongée signées Paul Arico (1896-1975), par exemple, avant que les humanistes, emmenés par Henri Cartier-Bresson (1908-2004), Robert Doisneau (1912-1994) ou Willy Ronis (1910-2009), ne prennent la suite autour de la Seconde Guerre mondiale. Les contemporains ne sont pas en reste, le Britannique Martin Parr en tête.

Mieux encore, Notre-Dame a permis aux maîtres de la photographie de sublimer leur style, comme en témoignent les images retenues pour ce portfolio. Tout l’art de Brassaï – qui sut comme nul autre photographier Paris la nuit – se retrouve dans cette vue nocturne de la cathédrale, masse sombre au cœur de la cité, à peine éclairée par la lumière nimbée des réverbères. Les amoureux de la Bastille résument la tendresse racée de Willy Ronis. Et que dire des facéties de Doisneau, qui cadre son portrait de la gargouille de manière qu’elle croque la tour Eiffel. Sans oublier Marc Riboud (1923-2016) et sa bonne sœur devant Notre-Dame, l’une de ses nombreuses icônes, qui rappelle combien cet homme délicieux savait être taquin. Oui, Notre-Dame a permis aux plus grands de donner le meilleur d’eux-mêmes.

“Bonne-sœur devant Notre-Dame”, 1953, Marc Riboud

Bonne-soeur devant Notre-Dame, 1953, Marc Riboud

Bonne-soeur devant Notre-Dame, 1953, Marc Riboud Photo: Marc Riboud

Formé par Henri Cartier-Bresson, qui avait un temps fréquenté sa sœur et l’avait pris sous son aile, Marc Riboud (1923-2016) est considéré comme l’un des plus grands photographes humanistes, dont plusieurs images sont devenues des icônes. Notre-Dame apparaît sur cette célèbre photo en décor, accentuant l’univers de cette bonne sœur bien dans son époque.


 

Tirage sur papier au gélatino-bromure d’argent, vers 1935, Paul Arico

Paul Arico, vers 1935. Tirage sur papier au gélatino-bromure d'argent

Paul Arico, vers 1935. Tirage sur papier au gélatino-bromure d'argent © Paul Arico/collections musée Nicéphore Niépce/Ville de Chalon-sur-Saône

Mais où donc ce photographe d’origine italienne immigré en France est-il allé se percher pour photographier ainsi les arcs de la cathédrale ? Diplômé en science, enseignant, Paul Arico (1896-1975) était proche des avant-gardes, ce qui l’amène à cette vue vertigineuse en contre-plongée, presque abstraite. Photographe professionnel entre 1936 et 1939, il avait dû s’arrêter pendant la guerre, reprenant son métier à la libération de Paris, en août 1944, qu’il a documentée, tout comme le procès du Maréchal Pétain un an plus tard.


 

Vue depuis le sommet de la cathédrale Notre-Dame, années 1950, Janine Niépce

Vue depuis le sommet de la cathédrale Notre-Dame. Paris, années 1950. Photographie de Janine Niépce (1921-2007).

Vue depuis le sommet de la cathédrale Notre-Dame. Paris, années 1950. Photographie de Janine Niépce (1921-2007). © Janine Niepce / Roger-Viollet

Qu’est-ce qui intéresse Janine Niépce dans cette image ? Autant le photographe de dos, perché sur la toiture de la cathédrale pour en immortaliser la flèche – et qui apparaît comme son double –, que la vue de la ville qui s’étire le long de la scène. Janine Niépce (1921-2007) est l’une des rares photographes humanistes femme (avec Sabine Weiss) à avoir pu vivre de son métier.


 

Notre-Dame-de-Paris, vers 1950, Roger Parry

Notre-Dame de Paris, vers 1950, Roger Parry.

Notre-Dame de Paris, vers 1950, Roger Parry. © Ministère de la Culture - France / Médiathèque de l'Architecture et du Patrimoine, Dist. RMN - Roger Parry

D’abord assistant de Maurice Tabard, l’un des inventeurs de la solarisation dans les années 1930, Roger Parry est surtout connu pour son travail dans l’édition comme illustrateur. Ce qui ne l’empêche pas de rendre ici un magnifique hommage aux trouvailles médiévales de l’architecte Viollet-le-Duc, qui installa ces étranges créatures sur le toit de Notre-Dame au XIXe siècle. Elles apparaissent ici plus vivantes que jamais.


 

“Notre-Dame Camera Work n° 21”, 1908, Alvin Langdon Coburn 

Notre-Dame Camera Work n° 21, janvier 1908, planche VIII, Alvin Langdon Coburn.

Notre-Dame Camera Work n° 21, janvier 1908, planche VIII, Alvin Langdon Coburn. © R.M.N./ Hervé Lewandowski

Né à Boston au sein d’une famille d’industriels, Alvin Langdon Coburn (1882-1966) est l’un des plus grands représentants du pictorialisme tardif. Avec ces branches au premier plan derrière lesquelles apparaît une Notre-Dame estompée, comme si elle avait été dessinée au pastel, cette image rappelle les principes même du pictorialisme, un courant artistique qui se refuse à simplement documenter le réel, préférant interpréter la nature et laisser affleurer les sentiments des photographes.


 

“Notre-Dame”, vers 1932, Brassaï

Notre-Dame vers 1930-1932, Brassaï.

Notre-Dame vers 1930-1932, Brassaï. © Photo CNAC/MNAM, Dist.RMN - Adam Rzepka

C’est un Paris éternel qui apparaît sur ce cliché : depuis, rien n’a vraiment changé. Et pourtant, c’est une image éminemment moderne que réalise Brassaï (1899-1984), piquée de points de lumière, qui transforme la capitale en un paysage presque fantastique. Le photographe refusait cependant de considérer son travail comme un art, tenant la réalité pour « surréelle ».


 

“Le Stryge”, de Charles Nègre

Le Stryge, de Charles Nègre.

Le Stryge, de Charles Nègre. © Photo RMN - Hervé Lewandowski

Voici l’une des photos les plus célèbres réalisée par un primitif, un des pionniers de la photographie. Elle est signée Charles Nègre, qui y fait poser l’un de ses collègues, Henri Le Secq (1818-1882), en 1853. Il joue sur la verticalité du bâtiment, du Stryge et du haut-de-forme de Le Secq. Cette image appartenait au libraire André Jammes (né en 1927), qui avait commencé à collectionner la photo ancienne dans les années 1950, lorsqu’elle n’intéressait personne. Préemptée par le musée d’Orsay, Le Stryge a battu des records en 2002, lors de la vente de la collection Jammes. Elle s’est envolée pour la modique somme de 313 750 euros.


 

“Les Amoureux de la Bastille”, Willy Ronis

Les amoureux de la Bastille, Paris, Willy Ronis.

Les amoureux de la Bastille, Paris, Willy Ronis. © Ministère de la Culture - Médiathèque du Patrimoine, Dist. RMN-Grand Palais / Willy Ronis

Les humanistes ont toujours placé l’homme au cœur de leur travail, et cette photo en est le meilleur exemple. Certes, elle offre une vue imprenable sur Paris et ses monuments, parmi lesquels Notre-Dame. Mais ce sont ces amoureux qui retiennent toute l’attention de Ronis, perchés en haut de la colonne de la Bastille (que l’on pouvait alors visiter), se chuchotant des mots doux.


 

“Le Chevet de Notre-Dame”, de Daniel Masclet

Le chevet de Notre-Dame, Daniel Masclet.

Le chevet de Notre-Dame, Daniel Masclet. © Succession Daniel Masclet/ Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais / Samuel Kalika

Elle est étrange, cette vue de Notre-Dame par Daniel Masclet (1892-1969). Certes belle, mais presque datée au regard de ce que font ses contemporains. Car cette image tient davantage du pictorialisme, abandonné à l’orée de la guerre de 1914.


 

“Paris Notre Dame Cathedral”, 1995, Martin Parr

Paris. Notre Dame Cathedral. 1995.

Paris. Notre Dame Cathedral. 1995. ©Martin Parr / Magnum Photos

Ce n’est pas au monument que s’intéresse le photographe documentaire britannique Martin Parr (né en 1952), plutôt au tourisme de masse. Cette photo, certes moins ironique que beaucoup d’autres, illustre à merveille le propos et donne un vif aperçu du style du photographe, connu pour ses images aux couleurs et aux contrastes saturés.


 

“Cathédrale Notre-Dame”, 1952-1953, Henri Cartier-Bresson 

Cathédrale Notre-Dame, Henri Cartier-Bresson, 1952-1953

Cathédrale Notre-Dame, Henri Cartier-Bresson, 1952-1953 ©Henri Cartier-Bresson / Magnum Photos

Henri Cartier-Bresson (1908-2004) avait le don de ne jamais se faire repérer par les gens qu’il photographiait, parvenant ainsi à saisir des scènes, des postures insensées. Au point où cette image en est presque dérangeante. Car on perçoit le mouvement de recul de cette femme que tente d’embrasser l’homme à ses côtés. Tandis que le Stryge tire la langue, comme s’il signifiait ce que lui inspire la situation.


 

“Notre-Dame”, 1925, Eugène Atget

Notre-Dame, mars 1925, Eugène Atget

Notre-Dame, mars 1925, Eugène Atget © Collection Abbott-Levy. Don partiel de Shirley C. Burden

Eugène Atget (1857-1927), que de nombreux photographes considèrent comme le père de la modernité, a essentiellement documenté un Paris sur le point de disparaître.


 

“Notre-Dame”, années 1850, Baptiste Guérard

Notre-Dame, Baptiste Guérard, entre 1850 et 1860. Papier albuminé contrecollé sur carton format carte de visite

Notre-Dame, Baptiste Guérard, entre 1850 et 1860. Papier albuminé contrecollé sur carton format carte de visite © musée Nicéphore Niépce – Ville de Chalon-sur-Saône

Voici l’une des images les plus anciennes de notre sélection. L’une des rares aussi qui donnent à voir la façade de Notre-Dame dans sa totalité.

 

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