Catherine Millet : « Accuser Hervé Di Rosa de racisme est totalement infondé »

Catherine Millet, écrivain et critique d’art.

Catherine Millet, écrivain et critique d’art. JOEL SAGET / AFP

Entretien  Deux universitaires demandent qu’un tableau de Di Rosa, qu’ils jugent raciste, soit retiré de l’Assemblée nationale. La fondatrice d’« Art press » trouve cela absurde et dangereux.

Quelle a été votre réaction lorsque vous avez appris que deux universitaires demandent que la grande fresque d’Hervé Di Rosa, qui évoque notamment la première abolition de l’esclavage en France en 1791, soit décrochée des murs de l’Assemblée nationale ?

Catherine Millet. J’ai eu la même réaction que lorsqu’un groupe de personnes a empêché la représentation à la Sorbonne des « Suppliantes », la pièce d’Eschyle mise en scène par Philippe Brunet : j’ai été stupéfaite. Dans les deux cas, ce sont des artistes que l’on attaque, c’est leur travail qui est mis en cause.

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Concernant Hervé Di Rosa cette accusation de racisme, totalement infondée, est d’autant plus mal venue quand on sait que le Musée international des Arts modestes qu’il a fondé à Sète en 2000 avec Bernard Belluc présente en ce moment « Kinshasa chroniques », une exposition qui met en valeur le travail d’artistes contemporains de la République démocratique du Congo. On sait aussi qu’il a travaillé à travers le monde, notamment en Afrique, avec des artisans et des artistes pour apprendre leurs techniques et dialoguer avec eux.

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Hervé a déjà répondu aux attaques dont il est l’objet en affirmant notamment que nombre des personnages de ses tableaux, de quelque origine qu’ils soient, ont des grosses lèvres. C’est une forme de caricature, et alors ? Il serait donc interdit de caricaturer des noirs ? L’autre jour, j’ai entendu à la radio un humoriste qui ridiculisait un homme politique, Jean-Pierre Raffarin il me semble, c’était vraiment très méchant, il le comparait à Quasimodo. Est-ce pour autant que toutes les personnes qui ont le dos voûté doivent se sentir concernées ?

Quant à décrocher l’œuvre d’Hervé Di Rosa, j’ai cru comprendre qu’elle était en place depuis des années, des députés de toutes tendances politiques l’ont vue. Personne n’a jamais émis la moindre récrimination.

Hervé Di Rosa puise une part de son inspiration dans les arts populaires…

Arts qui sont nourris de stéréotypes, comme on le sait. Cela me fait penser à ces féministes, et moi je suis féministe, qui s’en prennent à ces bandes dessinées où des femmes sont représentées avec des gros seins. Il se trouve qu’il existe des femmes qui ont des gros seins. La caricature, la déformation du trait, c’est une forme d’exutoire, une façon de marquer des différences. L’être humain parfait n’existe pas.

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Le peintre Hervé Télémaque nous a déclaré que Di Rosa « utilisait des éléments de caricatures racistes pour les retourner contre ceux qui les ont inventés ». A ses yeux , il y a donc un problème « d’interprétation de l’œuvre ». Pensez-vous qu’il faudrait expliquer au public le sens des œuvres qui peuvent susciter des réactions ?

On ne va quand même pas distribuer des petits manuels dans les écoles pour expliquer les œuvres d’art que certains estiment problématiques ! Depuis des années, un travail de sensibilisation ne cesse d’être mené, dans les musées ou les institutions culturelles. Il reste du travail à faire, je n’en doute pas. Mais ce qui me choque le plus dans ces accusations lancées contre Hervé c’est qu’elles sont le fait de personnes qui ont justement la capacité de décoder une œuvre. Ces gens sont d’une mauvaise foi totale. Ils mènent une entreprise fondée sur la culpabilisation et rien d’autre. Ce sont eux qui font des caricatures. Ce sont eux les racistes.

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Derrière leurs agissements, on perçoit une utopie dont la finalité serait un grand nettoyage du monde, débarrassé de tous les méchants qu’ils désignent à la vindicte. S’agissant du colonialisme, j’appartiens à une génération qui a fait un travail de relecture de cette période. Alors quand je lis par exemple, dans la postface du catalogue de l’exposition « Le modèle noir » présentée en ce moment au musée d’Orsay, que rien n’a changé depuis l’époque de la traite des noirs et de la colonisation, je suis sidérée. Ce courant d’idées est une importation américaine. Il faut que nous résistions à cette offensive.

C’est une déclaration de guerre ?

Pas du tout. Je dis simplement que ces personnes ou groupes qui se manifestent actuellement ne cessent de réclamer des interdictions. Ils prônent le retour de la censure. Quel retour en arrière ! S’il y a des conflits, il faut ouvrir un débat, ce n’est pas compliqué.

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Propos recueillis par Bernard Géniès

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Catherine Millet, bio express

Catherine Millet est écrivain, critique d’art. Fondatrice et directrice de la revue « Art Press », elle a été commissaire de plusieurs expositions importantes. Elle est l’auteur de nombreux ouvrages sur l’art dont une monographie sur Yves Klein, de « l’Art contemporain. Histoire et géographie ». Son livre « la Vie sexuelle de Catherine M. » a rencontré un succès mondial (47 traductions). Elle a notamment publié chez Flammarion « Jour de souffrance », « Une enfance de rêve » (prix La Coupole 2014) et « Aimer Lawrence ».

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