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Algérie : Regain de répression policière contre les manifestations

Le droit de rassemblement pacifique doit être respecté

Des policiers algériens face à des manifestants lors d'un rassemblement massif contre le gouvernement à Alger, le 12 avril 2019. © 2019 AP Images/Mosa'ab Elshamy

(Beyrouth) – Les autorités algériennes se sont remises à disperser de force les manifestations pacifiques et arrêter arbitrairement des manifestants dans la capitale, Alger, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. La répression de la part du gouvernement semble avoir pour but d’entraver les énormes marches prodémocratie qui ont lieu chaque semaine depuis février 2019 et qui ont forcé la démission du président Abdelaziz Bouteflika le 2 avril.

Les autorités algériennes devraient annuler le décret datant de 2001 qui interdit toute manifestation à Alger et laisser la population exercer son droit de rassemblement pacifique dans n’importe quel lieu en Algérie, a déclaré Human Rights Watch.

« Ces dernières semaines, les Algériens ont continué à revendiquer leur droit à se rassembler pacifiquement, en dépit des efforts croissants de la police pour les réprimer », a déclaré Sarah Leah Whitson, directrice de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch. « Des manifestants rapportent qu’ils sont arrêtés, fouillés au corps, malmenés et maintenus en garde à vue pendant des heures. »

Au départ le mouvement de protestation s’est constitué pour s’opposer à ce que Bouteflika, très affaibli, brigue un cinquième mandat présidentiel en étant candidat à l’élection qui à l’origine devait se tenir au mois d’avril. Le 9 avril, le parlement algérien a confirmé qu’Abdelkader Ben Salah, le président de la chambre haute, devenait président par intérim pour 90 jours. Ben Salah a annoncé qu’une nouvelle élection présidentielle aurait lieu le 4 juillet.

Les forces de sécurité ont réagi aux manifestations de façon inégale. Le 22 février et les jours suivants, elles ont dispersé des marches dans la rue et arbitrairement arrêté des dizaines de manifestants, les détenant pendant des heures avant de les libérer sans accusation. Puis en mars, les forces de sécurité ont laissé faire d’immenses marches dans la capitale chaque vendredi, intervenant à peine.

Durant le mois d’avril, elles ont bloqué de force des sit-in et marches de taille plus modeste qui se tenaient les autres jours de la semaine. Trois activistes ont déclaré à Human Rights Watch que le 6 avril, un samedi, les forces de sécurité avaient dispersé un petit rassemblement de vétérinaires, au centre-ville d’Alger, qui dénonçaient les conditions de l’allocation de fonds publics aux refuges pour animaux.

Abbane Meziane, journaliste au quotidien Al Watan, a déclaré à Human Rights Watch qu’il avait vu les forces de sécurité charger la foule et pourchasser les manifestants pour qu’ils quittent les marches de la Grande Poste. Les policiers arrêtaient immédiatement ceux qui résistaient et les forçaient à grimper dans les fourgons de police. Ils ont ordonné à Meziane de s’en aller, mais il a refusé, les informant qu’il était un journaliste en train de faire son travail. Ils l’ont alors arrêté, en compagnie de huit manifestants, et les ont tous embarqués au poste de police de Cavaignac, les gardant à vue pendant des heures.

Le 9 avril, d’après le récit des médias, la police s’est servie de canons à eau pour disperser une grosse manifestation d’étudiants près de la Grande Poste.

Le 13 avril, les policiers ont bloqué plusieurs activistes qui tentaient de rejoindre un sit-in prévu à 17h sur la place située en face de la Grande Poste. Djalal Mokrani, un activiste du Rassemblement action jeunesse (RAJ), une association culturelle et de défense des droits humains, a déclaré qu’il avait l'intention de se rendre au sit-in prévu, qui visait à empêcher les forces de sécurité de fermer les espaces récemment conquis par les manifestants pacifiques.

« Je marchais dans la rue qui mène à la place lorsqu’un officier, qui ma reconnu, a ordonné aux policiers de marrêter », a-t-il rapporté. « Une quinzaine dagents mont encerclé, poussé par terre puis mont frappé les jambes. Ensuite ils mont forcé à monter dans un fourgon en minsultant et en me donnant des coups de pied. »

D’après son récit, les agents ont également poussé dans le fourgon neuf autres personnes, et confisqué les téléphones de tout le monde, avant de les embarquer au poste de police de Baraki, à 20 kilomètres d’Alger. La police les y a gardés de 17h à 1h du matin, puis les a libérés.

Dans ce groupe de personnes arrêtées figurait Amal, une activiste de 27 ans qui a demandé qu'on ne divulgue pas son véritable nom. La jeune femme a déclaré que des policiers en uniforme l’avaient arrêtée avec neuf autres militants du RAJ et du parti politique Mouvement démocratique et social (MDS). Elle a rapporté qu’à 21h, les policiers avaient ordonné aux femmes d’entrer une par une dans une pièce. Là une femme, qui s’est présentée comme policière, a averti Amal qu’elle allait la fouiller au corps.

« Elle ma demandé de me déshabiller complètement », a-t-elle rapporté. « Elle ma dit que si je nenlevais pas tous mes vêtements, y compris mes sous-vêtements, je ne serais pas libérée ce soir-là. Jétais choquée mais je ne voulais pas trop résister car javais peur de la prison. Une fois que jai été nue, elle ma touché le corps de façon brutale, y compris les seins et les parties intimes. »

D’après elle, les autres femmes lui ont confié qu’elles avaient été elles aussi obligées de se déshabiller et de subir cette fouille corporelle. Le 15 avril, une autre activiste du MDS, Hania Chaâbane, a publié une vidéo sur son profil Facebook où elle relate qu’au poste de Baraki, une policière l’avait forcée à enlever ses sous-vêtements avant d’inspecter son corps.

Les services de sécurité du gouvernorat d’Alger ont déclaré que la fouille corporelle était une opération de routine visant à vérifier la présence d’objets susceptibles d’être utilisés pour porter atteinte à soi-même ou à autrui. Pourtant, Chaâbane et Amal ont témoigné que les policiers avaient fouillé toutes les femmes, mais aucun homme. Mokrani a confirmé que ni lui ni les cinq autres hommes n’avaient subi de fouille corporelle.

Abdelghani Badi, un avocat qui a défendu des manifestants des deux sexes arrêtés arbitrairement par la police lors de la dernière vague de manifestations, a déclaré que les policiers n’avaient l’habitude d’effectuer de fouille corporelle que pour certains types de crimes, comme le trafic de drogue ou les agressions violentes.

Les règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus (dites règles Nelson Mandela) prévoient que « les fouilles ne doivent pas être un moyen de harceler ou dintimider un détenu, ou de porter inutilement atteinte à sa vie privée ». Ces mauvais traitements présumés ciblant les femmes en garde à vue, notamment les attouchements corporels non justifiés, peuvent être considérés en droit international comme une forme d’agression sexuelle.

Lors des manifestations de vendredi dernier, le 12 avril, de nombreux manifestants se sont rassemblés et sont restés une bonne partie de la journée sur l’avenue Didouche-Mourad, une des plus grandes du centre-ville, et sur les avenues menant à la Grande Poste. Vers 17h, les forces de sécurité ont commencé à employer des gaz lacrymogènes et des canons à eau pour disperser les manifestants réunis sur Didouche-Mourad.

Abdelwahab Farsaoui, le président du RAJ, a rapporté qu’à ce moment, il se trouvait au milieu de la manifestation, sur l’avenue, où des milliers de personnes scandaient des slogans hostiles au gouvernement. Selon son récit, il a alors entendu des explosions et compris qu’il s’agissait de grenades lacrymogènes, puis commencé à inhaler le gaz irritant. De là où il se trouvait, a déclaré Farsaoui, il n’observait pourtant aucune violence de la part des manifestants à ce moment-là.

Les vidéos filmées par Khaled Drarni ce jour-là montrent que la police a fait largement usage des gaz lacrymogènes sur Didouche-Mourad et sur la place Audin, non loin de là. Les médias ont par ailleurs rapporté que des affrontements entre manifestants et policiers avaient eu lieu plus tard dans la journée.

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