L'amour au temps des réseaux sociaux : "Une source de malentendus incroyable"

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L'amour au temps des réseaux sociaux : "Une source de malentendus incroyable"

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"Comme elle l'imagine", de Stéphanie Dupays, (Mercure de France)
"Comme elle l'imagine", de Stéphanie Dupays, (Mercure de France)
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Trouver l'âme sœur sur les réseaux sociaux est-il vraiment possible ? Qui rencontre-t-on par écran interposé ? Un autre ou soi-même ? Le roman de Stéphanie Dupays, "Comme elle l'imagine", pose la question avec délicatesse.

Dans Comme elle l'imagine (aux éditions "Mercure de France"), Stéphanie Dupays s'intéresse à l'amour au temps des écrans et des réseaux sociaux. Laure est une jeune femme pleine d'esprit, amatrice de littérature classique, elle vit avec son temps, c'est-à-dire le regard tourné vers l'écran de son smartphone et sa page Facebook. Elle y rencontre Vincent, jeune homme enthousiaste avec qui elle partage le goût de la littérature et du cinéma. De Roland Barthes à Romain Gary, en passant par Proust et Flaubert, Laure passe par tous les contours possibles des états amoureux. Pourtant, elle ne connaît Vincent que par ses échanges en ligne. Laure imagine. Likes ou messages privés, le jeu d'aller-retours la comble, presque. 

Comme elle l'imagine - Stéphanie Dupays (Mercure de France)

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"Cette tension est à la fois romanesque et perturbante" 

Stéphanie Dupays : "Ce qui m'a frappée c'est cette nouvelle modalité de présence, une présence de loin, sans les corps mais très effective. Mes personnages sont en direct, ensemble, sur messagerie instantanée, et pourtant ils n'ont pas d'espace commun pour se rencontrer. Cette tension est à la fois romanesque et perturbante. L'imaginaire vient s'engouffrer dans les vides que laissent l'absence réelle. Cette communication sans regard ni voix est en fait une source de malentendus incroyable".

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Avec l'interprétation des messages, l'amour au temps des réseaux sociaux voit flou. "Quand on fait signe sur internet, en général le message n'est pas adressé à quelqu'un en particulier mais à tout le monde. C'est très frappant et très perturbant pour l'esprit.  Ça rend difficile de savoir quelle place on a, et de nommer une relation. Est-ce une relation amoureuse, ou est-ce une chimère que mon personnage a créée de toutes pièces, à l'image de son propre désir ?" interroge Stéphanie Dupays.

"Les réseaux finalement entretiennent un sentiment de solitude"

Rencontre différée et hypothétique, l'amour au temps des réseaux sociaux fait mal. Vincent est très fort en discours amoureux, plein d'esprit, mais il est aussi très flottant, et c'est comme ça qu'il impressionne Laure. Facebook lui donne le moyen d'accentuer son emprise sur la jeune femme.

Certains grands amoureux de la littérature n'ont pas attendu l'invention du smartphone pour sur-interpréter le réel, se fourvoyer dans leur désir ou leurs fantasmes, mais s'ils avaient eu un téléphone en mains, ils seraient sûrement devenus fous.

Le medium n'est pas neutre, le fait de se rencontrer en ligne façonne la relation. 

"Les réseaux finalement entretiennent un sentiment de solitude. Cette présence à distance n'apaise pas. L'autre peut quitter une conversation d'un clic, alors que dans la réalité c'est impossible. Ça favorise des relations fantomatiques et morcelées", estime Stéphanie Dupays.

Il y a un type humain de Facebook, un être qui préfère la relation de loin, ça va de pair avec une peur de l'autre, et de l'engagement qui sont des peurs contemporaines.

"La littérature ne peut rien pour eux"

Références littéraires, culturelles, souvenirs en commun, jeux de mots identiques, l'amour au temps des réseaux sociaux surestime les appartenances et l'amour pour la littérature ne peut pas grand chose à la solitude qui s'empare de certains. Laure et Vincent sont en fait dans une forme de confusion sentimentale.

Stéphanie Dupays : "__Mes deux personnages ont beau avoir beaucoup lu ou beaucoup étudié (il sont des exégètes de la jalousie ou de l'illusion selon Proust ou Flaubert), quand il s'agit d'être lucides pour eux-mêmes, ils sont démunis. En fait, la littérature ne peut rien pour eux. Je ne pense pas que la littérature réconforte par le biais qu'on croit, je crois que la beauté de la littérature en elle-même réconforte, car s'exposer à la beauté fait toujours du bien, par contre j'ai quelque doute sur les enseignements que l'on peut en tirer pour sa propre vie. Est-ce que les romans nous rendent plus à même de décrypter le réel ? Je ne suis pas sûre"

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