C'était en 2003. Après une mobilisation débutée en 1997 et une pétition ayant recueilli plusieurs millions de signatures, le Comité de défense de la gynécologie médicale (CDGM) obtenait gain de cause : le rétablissement de la spécialité de Gynécologie médicale, supprimée en 1986, soit 17 années d'interruption. De quoi crier victoire. De nouveau, le champ de la médecine dédié aux femmes et à leur santé sexuelle se retrouvait étudié dans sa spécificité. De nouveau, les gynécos allaient s'installer dans les villes et les campagnes, pouvant ainsi suivre les femmes tout au long de leur vie. Las, aujourd'hui, se rendre chez un de ces spécialistes relève du parcours de la combattante pour nombre d'entre nous. En cause, les déserts médicaux qui créent de véritables inégalités territoriales de santé.

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Vers une pénurie de gynécologues ?

Car, comme le révèle une enquête du Monde (1), "entre 2007 et 2017, le nombre de ces spécialistes a chuté de 41,6 % à 1 136 et il pourrait tomber à 531 en 2025". Cette baisse est directement liée à la suppression de la spécialité pendant des années. Certes, d'autres professionnels de santé peuvent assurer une partie du suivi gynécologique des femmes : les médecins généralistes peuvent par exemple prescrire les pilules contraceptives, les sages-femmes peuvent assurer des actes liés au suivi de la contraception comme les frottis ou les poses de stérilet... Certes aussi, de nouveaux gynécos ont été formés depuis la réintroduction de la spécialité.

Il n'empêche, une grande partie de ceux déjà installés atteignent désormais l'âge de la retraite et ne pourront pas toujours être remplacés. Ils seraient près de deux tiers aujourd'hui en activité à avoir plus de 60 ans et à cesser leur pratique dans les prochaines années. Ainsi, de plus en plus de spécialistes assurent déjà un maximum de consultations et ne peuvent accueillir de nouvelles patientes, ballottées entre le départ à la retraite de leur ancienne gynéco et leur recherche souvent infructueuse d'une remplaçante.

Comment faire ? Dans certains territoires, on parle carrément de pénurie de gynécologues. "On en compte 4,2 pour 100.000 habitants dans la Creuse, 4,32 en Dordogne ou 4,37 dans l’Ain, contre 28,6 à Paris ou 67,4 à Neuilly-sur-Seine, la ville la mieux dotée de France", note Le Monde. D'après les chiffres de l'Ordre des médecins, une quarantaine de départements serait ainsi concernés, notamment la Dordogne, le Lot, l'Aveyron, la Haute-Loire, l'Ain, le Jura, l'Yonne, l'Eure, la Nièvre, la Mayenne et la Creuse. Sans autre solution, de nombreuses habitantes renoncent à leur suivi ou espacent leurs rendez-vous de loin en loin. D'autres avalent des kilomètres de trajet.

La fin des maternités de proximité

Et elles ne sont malheureusement pas les seules. Les femmes en train d'accoucher aussi se préparent de plus en plus à une route longue et douloureuse jusqu'à la délivrance. Au sens propre. Maternités du Blanc, de Die, de Bernay, de Creil... Pour tous ces établissements, la population s'est mobilisée, luttant pour leur maintien et pour assurer aux parturientes une prise en charge plus rapide, plus proche de chez elles. En vain. "En vingt ans, la moitié des maternités a fermé en France. Il n'en restait que 498 en 2018 selon un rapport de la Cour des comptes", rappelle France Culture (2). Et qui dit moins de maternités, dit moins de lieux où accoucher à proximité.

Or, l'éloignement entraine fatalement un allongement du temps de trajet, dans un moment où justement il vaudrait mieux arriver le plus rapidement possible. Une étude menée en Bourgogne et citée par la Coordination nationale du comité de défense des hôpitaux et maternités de proximité (3) rappelle d'ailleurs : "On observe pour les temps [d'accès à la maternité] supérieurs à 30 minutes, une augmentation des taux d’accouchements hors hôpital, (...) de césariennes et d’hospitalisations anténatales. (…) Nos résultats montrent qu’en Bourgogne l’augmentation de la distance à la maternité la plus proche retentit sur les résultats de santé périnatale."

À Die, dans la Drôme, cette situation catastrophique a eu des conséquences tragiques. Le 2 mars dernier, une marche blanche y était organisée en hommage à Aimé, bébé mort in utero lors du transfert de sa mère à la maternité de Montélimar, à 74 kilomètres. Selon le père de l'enfant, ce drame est en partie dû à la fermeture de la maternité de Die, en décembre 2017. Car l'établissement désormais clos se situait bien plus près de leur maison et son épouse aurait pu y être prise en charge plus tôt. En février dernier, c'est d'ailleurs dans la même ville qu'une dame a été obligée d'accoucher dans sa voiture (4).

Un inégal accès à l'IVG 

Comme si le tableau n'était pas assez noir, il nous faut aussi rappeler que les déserts médicaux empiètent sur l'accès à l'IVG. Évidemment, avec moins de spécialistes de la santé sexuelle des femmes et moins d'établissements de proximité, il fallait bien s'y attendre. À l'occasion de la journée mondiale pour l'avortement, le 28 septembre dernier, la DREES (Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques) publiait même un rapport (5) sur le sujet.

On peut y lire que "les écarts régionaux perdurent, les taux de recours allant du simple au double selon les régions. En Métropole, ils varient de 10,2 IVG pour 1 000 femmes en Pays de la Loire à 21,4 IVG en Provence-Alpes-Côte d’Azur. Ils sont souvent plus élevés dans les DROM et atteignent 33,6 en Guadeloupe".

Pour Véronique Séhier, la coprésidente du Planning familial, alors interrogée par l'AFP, il existe encore "des territoires en difficulté", où l'IVG semble tout simplement impossible. En cause, la clause de conscience brandie par certains praticiens refusant de pratiquer les avortements et, à nouveau, le manque de spécialistes.

Comme le notait la Commission sur les données et la connaissance de l’IVG en juillet 2016 : "Les difficultés d’accès à l’IVG peuvent être périodiques (exemple du mois d’août ou de la période de Noël) ou locales, du fait d’une offre inégale d’une région à l’autre, qu’il s’agisse de l’offre hospitalière ou de celle de la ville. (...) L’évolution du paysage hospitalier, du fait d’un nombre non négligeable de restructurations, a pu modifier de manière substantielle le nombre et la localisation des établissements de santé pratiquant des IVG dans certaines régions." Et, comme toujours, les femmes sont les premières victimes des inégalités d'accès à la santé.

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(1) Le Monde, "Consulter un gynécologue : la grande galère", 27 décembre 2017

(2) France Culture, "Fermeture de la maternité de Bernay, en Normandie : tout un pan du service public s'en va", 11 mars 2019

(3) Adelf-Emois 2012, "Territoires de vie, santé périnatale et adéquation des services de santé : influence des temps d’accès à la maternité la plus proche sur les résultats de santé périnatale en Bourgogne"

(4) France 3, "Drôme : la fermeture de la maternité de Die a-t-elle mis des vies en danger ? Plusieurs parents témoignent", 26 février 2019

(5) DREES, "216 700 interruptions volontaires de grossesse en 2017", 28 septembre 2018

(6) Commission sur les données et la connaissance de l’IVG, "IVG : Etat des lieux et perspectives d’évolution du système d’information", juillet 2016