Retronews

1936 : la France perd son escrime

RetroNews Sportsdossier
Après avoir été l'un des sports les plus populaires du pays, l'escrime française est tombée en désuétude après la défaite de l'équipe nationale aux Jeux olympiques de 1936.
par Matilde Meslin
publié le 20 avril 2019 à 16h49

Chaque samedi avec RétroNews, le site de presse de la BNF, retour sur un épisode de l’histoire du sport tel que l’a raconté la presse française. Aujourd’hui, comment la défaite de la France aux épreuves d’escrime des Jeux olympiques de 1936 a fait disparaître ce sport du quotidien des Français.

Depuis 1896, et les premiers Jeux de l’ère moderne, l’escrime est l’un des cinq sports à avoir toujours figuré au programme olympique. Les premières éditions des Jeux font la part belle à ce sport très populaire, et les Français raflent les médailles de presque toutes les épreuves, en particulier en fleuret, l’une des trois disciplines qui composent l’escrime avec le sabre et l’épée. L’escrime est enseignée dans presque tous les collèges, les lycées, et est même l’une des épreuves d’entrée dans certaines académies militaires et grandes écoles.

Un sport en crise

Mais dans les années 30, l'escrime séduit de moins en moins de jeunes. Dans l'Echo de Paris du 11 juin 1936, le maître d'armes de l'Ecole supérieure de guerre, M. Levasseur, tente d'expliquer les raisons du désamour des Français pour ce sport autrefois populaire : «En dehors de l'armée, et admettant que l'escrime s'y pratique plus que dans le "civil", ce sport ne peut suivre l'évolution des autres, car il n'est pas spectaculaire. D'autre part, l'escrime ne peut toucher la masse à cause des premiers frais à consentir et aussi, – faut-il l'avouer ? – d'une éducation solide.»

Les frais engendrés par l'achat du matériel et les leçons particulières nécessaires à une progression sont peut-être en partie responsables de l'abandon progressif de l'escrime comme sport national. Mais dans l'Echo de Paris du 9 juillet 1936, M. G. Masselin, maître d'armes au lycée parisien Janson-de-Sailly, développe une autre théorie : «Avant la guerre, il fut un temps où la France, en escrime, n'avait pas de rivale, l'Ecole de Joinville nous a fourni des tireurs […] et des maîtres civils […], qui battirent les plus réputés maîtres étrangers et étonnèrent le monde. […] Maintenant, tous ces maîtres ont vieilli, quelques-uns ont plus de 60 et 70 ans et continuent à donner des leçons dans les lycées, et c'est encore une des raisons pour lesquelles l'escrime est moins suivie dans ces établissements.»

L'Ecole militaire de gymnastique de Joinville, créée en 1852 pour former des cadres sportifs pour les armées, ferme ses portes pendant la Première Guerre mondiale, avant de rouvrir provisoirement. Elle forme des militaires et des civils, sportifs de haut niveau, qui portent les couleurs de la France dans les compétitions internationales. Ils enseignent souvent dans les écoles et les lycées, faisant entrer le sport dans la pédagogie française.

Mais beaucoup d'entre eux périssent pendant la guerre 1914-1918 et les salles d'armes ferment petit à petit, comme l'explique Roger Ducret, ancien champion olympique, dans le Journal, le 20 août 1936 : «A la fin de la guerre, il ne restait guère pour l'escrime que le souvenir de la brillante époque que troubla inopinément la sanglante épreuve de 1914. Les salles d'armes abondaient en province, à Paris, dans les collèges, dans les lycées, de même que dans l'armée, constituant un réservoir inépuisable d'escrimeurs de classe internationale. Pas une petite ville qui n'eût son maître d'armes civil ou militaire.» Avec l'interdiction du duel et la mort ou le vieillissement des grands maîtres d'armes, la discipline dépérit, malgré la création d'une Fédération française d'escrime en 1906 et de la mise en place d'une subvention d'Etat sous l'impulsion d'André Maginot, alors député.

La défaite de 1936

Les Jeux olympiques de 1936 sonnent le glas des belles heures de l'escrime française. «Les championnats olympiques d'escrime, qui ne nous furent pas favorables au fleuret, se terminèrent, tant à l'épée qu'au sabre, en une véritable déroute. Sur sept titres mis en jeu, en comprenant l'épreuve féminine, pas un ne nous échut […] Les moins avertis des choses de l'escrime se rendaient bien compte que, depuis des années, ce sport périclitait chez nous» explique Roger Ducret dans Paris-soir, le 19 août 1936, trois jours après la fin des Jeux de Berlin. Seul Edward Gardère parvient à sauver l'honneur français en remportant une médaille d'argent en fleuret. La France est humiliée, tandis que son ennemie jurée en escrime, l'Italie, triomphe sous l'impulsion de son Comité olympique national italien créé en 1927 par Mussolini.

En France, la défaite des escrimeurs contraste avec les nombreux fonds publics accordés à la Fédération pour former une équipe performante. L'Hexagone souffre d'une crise des vocations, on ne trouve pas d'escrimeurs assez bons pour prétendre à des médailles olympiques. Les fédérations régionales s'affolent, et réclament une meilleure formation des maîtres d'armes qui doivent susciter l'envie chez les jeunes : peu à peu l'armée a cessé de les former. La Fédération Française d'escrime convoque des Etats généraux de l'escrime. Le Petit Journal du 24 septembre 1936 rend compte des points qui y sont abordés : «a) Réhabilitation de l'escrime dans l'armée et, les grandes écoles préparatoires b) Intégration de l'escrime, et notamment à l'escrime scolaire, dans les projets sportifs & l'étude dans les ministères. c) Réorganisation du Comité directeur.»

Tous ces espoirs n’aboutiront pas. Les récits de cape et d’épée ne font plus rêver les petits français : les salles d’armes fermées ne rouvriront pas, et l’escrime ne sera bientôt plus enseignée à l’école. Malgré la modernisation du sport avec l’électrification de l’épée dès 1936 (le fleuret suivra en 1955), qui rend le sport moins violent et qui évite de nombreuses blessures, et la création dès 1937 des championnats du monde d’escrime, ce sport ne retrouvera jamais sa popularité d’avant-guerre.

Suite et fin de l'histoire. La déroute olympique aura été le signe de la fin d'une ère, où l'art noble de l'épée était encore populaire. Avec ce paradoxe : l'escrime a beau être le sport le plus titré de l'histoire des Jeux olympiques avec 118 médailles françaises, avec quelques figures qui deviendront même ministres, elle n'est guère plus enseignée dans les collèges et les lycées et compte moins de 60 000 licenciés.

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique

Les plus lus