TRIBUNE. Au début des années 1980, Jean Thiriart (1922-1992), un idéologue néofasciste belge d’après-guerre, appelait de ses vœux la création d’un empire eurosoviétique, un super-Etat fascisto-communiste qui s’étendrait de Vladivostok à Dublin. Il était convaincu que Moscou pouvait « faire l’Europe européenne » comme antithèse à ce qu’il jugeait être l’Europe américanisée, et prônait « la collaboration totale » avec l’Union soviétique.
La collaboration totale, il connaissait, puisqu’il s’était enrôlé dans la Waffen SS dans les années 1940, ce qui lui avait valu d’être condamné à la Libération. Dans les années 1980, il allait prêter allégeance à un autre régime totalitaire : « Je serai alors le premier à mettre une étoile rouge sur ma casquette. L’Europe soviétique, oui sans réticence ».
Les rêves de Thiriart ne se sont jamais concrétisés, mais l’homme a des disciples prêts à collaborer avec le régime autoritaire de Vladimir Poutine qui, selon eux, veut aussi « faire l’Europe européenne ». Ce sont des militants et politiciens d’extrême droite qui voient dans la Russie de Poutine « un bastion des valeurs traditionnelles » et une « lueur d’espoir » dans leur combat contre le libéralisme et l’Europe unie.
Calcul cynique
Le régime de Poutine, de son côté, se sert de ses alliés d’extrême droite pour affaiblir l’Union européenne (UE) et fragiliser la paix sociale dans les sociétés européennes. Poutine sait parfaitement que mouvements nationalistes sont un danger pour la cohésion sociale et politique des Etats – son régime réprime du reste non seulement l’opposition démocratique, mais aussi les mouvements ultranationalistes déloyaux à l’égard du pouvoir. Cela paraîtra peut-être surprenant à ses alliés européens d’extrême droite mais Poutine a conseillé aux nationalistes russes de « se souvenir que la Russie s’est formée dès le départ comme un Etat multiethnique et multiconfessionnel », et affirmé que le nationalisme détruit le « code génétique » russe.
Cela n’empêche pas Moscou d’apporter un soutien politique, médiatique et parfois même financier à des partis ultranationalistes, en faisant le calcul cynique que s’ils accédaient au pouvoir dans tel ou tel pays d’Europe, cela mettrait en péril l’unité européenne et rendrait de ce fait l’Etat plus vulnérable aux pratiques corrompues des oligarques russes, ce qui aggraverait les inégalités sociales et affaiblirait la position de l’Europe face à des grandes puissances telles que les Etats-Unis, la Chine et l’Inde.
Si les partis européens d’extrême droite comprenaient que l’Europe doit beaucoup de sa stature internationale à l’unité occidentale, ils éviteraient à tout le moins de se qualifier de « patriotes », car qu’y a-t-il de patriotique à tenter de se suicider en sciant la branche sur laquelle on est assis ? Et pourtant, les mouvements qui se disent « patriotes » tels que le Parti de la liberté d’Autriche (FPÖ), la Ligue du Nord en Italie, le mouvement bulgare Ataka, l’Alternative pour l’Allemagne (AfD) et le Front national en France font preuve d’une grande naïveté en s’employant tacitement à mettre à mal la sécurité de l’Europe et en montrant clairement pour le compte de qui ils le font : la kleptocratie autoritaire de Poutine.
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