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L'archéologue et historien dénonce la baisse des moyens consacrés au patrimoine et demande que l'on se donne le temps de la réflexion.
© Michel Stoupak / NurPhotoTemps de lecture : 5 min
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Alain Schnapp est un historien et archéologue français, ancien directeur de l'UFR d'histoire de l'art et d'archéologie de Paris-1, fondateur et ancien directeur de l'Institut national de l'art. Il a publié Une histoire des civilisations aux éditions La Découverte/Inrap et La Conquête du passé : aux origines de l'archéologie, éditions Carré et Le Livre de poche.
La catastrophe qui vient de s'abattre sur la cathédrale de Paris a suscité tant de réactions et d'inquiétudes qu'on en reste saisi. La place des monuments dans la sensibilité collective s'en trouve en quelque sorte magnifiée. Le combat pour la protection des patrimoines historiques est pourtant aussi ancien que la notion même de monuments. Il remonte aux premières décennies du XIXe siècle quand la voix de Montalembert associée à celle de Victor Hugo tonnait contre la « bande noire » des destructeurs qui pillaient les abbayes, les églises et les châteaux abandonnés après la Révolution : « La présence du passé ne devient importune que lorsque la conscience du présent est honteuse. » (1832).
Ce lien entre passé et présent, ce devoir de mémoire envers les édifices qui témoignent d'un passé proche ou lointain est le motif de toutes les politiques du patrimoine depuis le XIXe siècle. Elle a conduit à la création du service des monuments historiques en 1834 et au développement des institutions patrimoniales modernes. Leur histoire est la conséquence d'affrontements toujours actuels entre ceux qui privilégient la protection des vestiges et ceux qui plaident pour un développement économique auquel rien, pas même « la valeur d'ancienneté », ne saurait s'opposer.
Hypocrisie ministérielle
Face au désastre, les protecteurs des monuments, portés par une émotion collective d'une ampleur imprévue, ont l'occasion de faire entendre leur voix. Encore faut-il que le nécessaire débat ait lieu. Voilà des décennies que tous les spécialistes du patrimoine s'affligent d'une politique des monuments historiques qui privilégie la reconstruction face à la conservation préventive, les restaurations parfois somptueuses face à l'entretien régulier des bâtiments. Le ministère de la Culture dispose de ressources toujours plus réduites et, surtout, ses corps scientifiques sont la victime de la politique de suppression d'emplois de fonctionnaires qui réduisent leur capacité d'action sur le terrain. Devant la tragédie, il est un peu hypocrite de voir ministres et hauts fonctionnaires promettre une reconstruction rapide quand, pendant des décennies, les moyens n'ont cessé de baisser. L'ampleur de la catastrophe pourrait être l'occasion d'un sursaut comme celui qui animait Jack Lang et ses équipes en 1981, mais qui n'a pas été repris par ses successeurs. Il convient peut-être avant de prendre les nécessaires décisions pour sauver Notre-Dame de revenir sur le sens même des mots.
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Derrière le monument gît la ruine
Monument, du latin monumentum, se dit d'un édifice aussi bien que d'un poème, savoir une création architecturale ou verbale qui avertit, qui signale (monere). Un monument révèle une intention, une volonté de marquer la mémoire et les poètes de la Grèce et de Rome entendent bien que leurs œuvres accompagnent ou dépassent les monuments eux-mêmes. Aux rois et aux héros échoie la responsabilité d'édifier des monuments d'architectures, aux poètes celui de construire des monuments de mots. Comme on le voit, Notre-Dame brille autant dans le souvenir par ses pierres appareillées que par les vers d'Hugo et de Gérard de Nerval.
Car derrière le monument tôt ou tard gît la ruine comme un horizon final. Le mot ruine vient du latin ruere, quelque chose qui se défait par l'effet du temps et/ou de la catastrophe. La ruine en appelle à trois catégories de tensions qui la constituent et qui en font, tant sur le plan conceptuel que matériel, quelque chose de fragile et de résistant à la fois. Elle vient de la nature d'où les pierres et les bois qui la constituent ont été extraits et quand elle y retourne sous l'effet de l'érosion ou des accidents, elle perd sa forme et sa fonction monumentale. Mais la ruine est un équilibre entre mémoire et oubli, ce qu'une société concède au passé, la place qu'elle accorde aux monuments fragilisés. Les Grecs appelaient ainsi therapeia, le soin que l'on apporte aux œuvres du passé. Enfin, la ruine surgit aux frontières de l'immatériel et du matériel. Elle n'existe que par l'attention qu'on lui porte, les traditions qui l'identifient, les vers qui l'exaltent. Si la transmission est interrompue, la ruine devient vestige (du latin vestigium, trace d'un être sur le sol). Encore un peu de temps, encore plus de négligence, elle devient décombres. L'émotion qui a saisi le monde entier face à l'incendie de Notre-Dame provient de là : de ce moment vertigineux où le monument se fait ruine. Face aux ruines nous avertissent Chateaubriand et Volney, il importe de méditer, car elles parlent autant du futur que du passé comme le suggère ce dernier devant les vestiges de Palmyre :
« Qui sait me dis-je, si tel ne sera pas un jour l'abandon de nos propres contrées ? Qui sait si sur les rives de la Seine, de la Tamise et du Suiderzee (…), qui sait si un voyageur comme moi ne s'assoira pas un jour sur de muettes ruines et ne pleurera pas, solitaire, sur la cendre des peuples et la mémoire de leur grandeur. » (1791).
Prenons le temps de la réflexion
Toute décision sur la restauration d'un monument réclame une certaine distance, regard porté autant vers le passé que vers le futur. À la veille de la bataille de Platées (479 av. J.-C.), les Grecs coalisés décidèrent de ne pas relever les temples incendiés par les Perses et de les laisser en leur état de ruine pour témoigner de « l'impiété des barbares ». Périclès, quelques décennies plus tard, entreprit au contraire d'aménager à nouveaux frais l'Acropole et de confier le chantier à Phidias. Selon Plutarque, le miracle eut lieu :
« Chacun d'eux (les monuments de l'Acropole), à peine fini, était si beau qu'il avait déjà le caractère de l'antique, et si parfait qu'il a gardé jusqu'à notre époque la fraîcheur d'un ouvrage récent, tant il y brille toujours une sorte de fleur de jeunesse qui en a préservé l'aspect des atteintes du temps. »
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Si l'on veut aboutir à un pareil résultat, prenons le temps de la réflexion, et accordons aux services de l'État en charge des monuments historiques les moyens matériels et humains qui permettraient d'échapper à une longue série de désastres récents, tous provoqués par des chantiers de rénovation mal maîtrisés.
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... Mais quelle idée excellente, cher Vmax : depuis le temps que j'en rêve !... Amicalement, et peut-être, qui sait, à b...ientôt ?... Claudine...
Un vaste musée, heureusement il nous reste ça et l'histoire, d'où les touristes.
Il faudrait ne pas compter que sur ça..., le travail, l'innovation, l'industrie ce serait bien.
Voila ce que j'ai appris ce we, des randonneurs en forêt ont intimé l'ordre d'arrêter à quelqu'un qui débardait du bois en utilisant son cheval sous le prétexte qu'il faisait travailler son cheval.
Une autre personne s'est vue également fustiger parce que elle avait mis sur ses animaux des décorations trouvées en suisse au moment du départ aux alpages, lui c'était sa fin d'exploitation, le motif ici c'était sans doute le poids.
Voila ce qu'on trouve actuellement en France, sommes nous devenus fous ?
On parle accès aux soins avec le Sanglier : épargnez nous avec votre prose politicarde, merci.