ENTRETIEN. « On voit de mieux en mieux le lien entre les micro-organismes de l’intestin et la santé humaine »
Mieux protéger la santé des plantes mais aussi celle de l’homme en s’appuyant sur les ressources de la nature. L’exploration des micro-organismes du sol et de l’intestin avec le microbiote fait partie des ressources explorées par les chercheurs de l’Inra (Institut national de la recherche agronomique) pour moins dépendre de la chimie et des produits phytosanitaires. Explications avec Philippe Mauguin, président de l’Inra.
Philippe Mauguin, président de l'Inra, revient sur l'avancée des recherches sur les microbiotes et particulièrement sur les micro-organismes du sol et de l'intestin. Dans un futur proche, ils pourraient nous permettre d’entrevoir des solutions dans le domaine de la santé humaine avec des perspectives positives sur les maladies inflammatoires intestinales.
En arboriculture, vous voulez tester des vergers 100 % bio ?
À la station expérimentale de Gotheron dans la Drôme, nous nous passerons complètement des produits phytopharmaceutiques, y compris en nous passant du cuivre autorisé en culture biologique. Cela passe par une nouvelle organisation spatiale du verger, en cercles concentriques, avec un choix de variétés résistantes et implantées de façon à lutter de façon préventive contre les bio agresseurs mais sans perturber pour autant le travail des arboriculteurs. Cette expérimentation est conçue avec eux. Mais cela implique aussi plus de main-d’œuvre.
Un peu comme ce qui commence à se faire dans les rizières chinoises ?
Oui, pour lutter contre les champignons dans les rizières, les agriculteurs chinois utilisent beaucoup de fongicides. Les solutions développées dans un laboratoire associant l’INRA et l’Université du Yunnan ont montré qu’il était possible de cultiver dans une rizière près de quarante variétés avec des gènes de résistance différents, sans nuire pour autant à l’homogénéité du riz qui peut ainsi être récolté et commercialisé sans problème. La diversité des gènes de résistance empêche les champignons de s’adapter et de se développer.
Pourquoi l’engagement pris en 2008 de réduire de 50 % l’utilisation des pesticides n’a-t-il pas été tenu ?
Ayons conscience de la complexité de ces changements ainsi que des risques pris par les agriculteurs quand ils changent de modèle. Si on leur donne les moyens de changer, ils le feront.
C’est ce que prouve le réseau des 3 000 fermes Dephy. Les membres de ce réseau ont prouvé qu’on pouvait réduire l’utilisation des produits phytopharmaceutiques de 14 % en grandes cultures en maintenant le même niveau de rentabilité mais pas toujours le même niveau de rendement. Dans le réseau Dephy Ferme, la réduction d’usage des produits phytopharmaceutiques varie de 14 % en grandes cultures à 43 % en horticulture.
Comment aller plus loin ?
Toute la question est en effet de savoir comment on passe de 3 000 à 30 000 puis 300 000 fermes. Il faut arriver à faciliter le transfert et favoriser l’adoption des bonnes pratiques, faire diffuser les progrès en échangeant entre exploitations agricoles « par-dessus la haie ».
C’est ce que s’emploie à favoriser la cellule transfert innovation qui regroupe l’Inra, l’APCA et l’ACTA. Parallèlement, les chambres d’agriculture revoient la formation de leurs conseillers. Je crois beaucoup au collectif, au croisement des démarches de territoires et de filières.
Pourquoi ne pas complètement basculer en bio si c’est la demande des consommateurs ?
De manière théorique, les chercheurs de l’IDDRI (Institut du développement durable et des relations internationales) ont modélisé ce que pourrait être l’agriculture européenne si elle devenait entièrement bio en 2050. C’est une approche intéressante même si elle reste théorique. Ceci conduirait par exemple à importer moins de soja d’Argentine et du Brésil, développer une auto production de fourrage et de légumineuses en facilitant ainsi le stockage du carbone dans les sols. Et impliquerait de remettre de l’élevage, des haies dans les zones de grande culture et avoir un bouclage des cycles de fertilité (azote).
Ensuite, reste à savoir comment de très grands territoires se comporteraient s’ils étaient uniquement bio. Aujourd’hui, la présence de cultures conventionnelles à proximité de cultures bio limite probablement la pression des bio agresseurs.
La chimie est contestée mais il faut continuer à se défendre contre les champignons, les insectes. Où trouver les ressources ?
La nature nous offre un panel de solutions que nous commençons à explorer. C’est le rôle de l’agro-écologie qui consiste à mobiliser au maximum les ressources de la nature comme on le voit avec le biocontrôle : des coccinelles pour manger les pucerons, un champignon des racines (oomycète) pour lutter contre l’esca, la maladie du bois des vignes.
C’est une approche globale qui insiste sur l’importance de l’agronomie en s’appuyant sur des pratiques permettant d’enrichir la matière organique des sols, développe des techniques de couverture des sols, l’agro-foresterie…
Avec les ciseaux moléculaires (Crispr Cas 9), on peut intervenir plus facilement sur les gènes. Une pratique que certains voudraient interdire. Quelle est la position de l’Inra ?
Sur le plan scientifique, nous sommes clairs. Nous devons pouvoir utiliser ces outils en recherche et en production de connaissances. Ils sont incontournables pour la compréhension du vivant. On le fait dans nos laboratoires comme l’ensemble des grands organismes de recherche mondiaux et c’est extrêmement utile.
La question la plus sensible en Europe et dans le monde concerne le cadre réglementaire pour la commercialisation de plantes dont le génome aurait été modifié par ces techniques.
Le bien commun me semble un bon élément d’arbitrage. En quoi cette modification est utile et contribue au développement durable ? Si les sélectionneurs proposent des variétés avec des résistances à des maladies qu’on ne sait pas prévenir ou traiter en Europe ou dans le monde, des plantes adaptées au dérèglement climatique (résistance au stress hydrique, ou amélioration du stockage du carbone), ou encore des plantes avec un intérêt nutritionnel ou santé très fort, cela peut valoir le débat.
On découvre aujourd’hui l’importance du microbiote intestinal pour notre santé. Quel rôle jouent les micro-organismes pour les plantes ?
C’est un levier aussi important que l’édition des génomes. Sur le microbiote intestinal, les recherches menées notamment à l’Inra depuis une quinzaine d’années permettent d’entrevoir des solutions dans le domaine de la santé humaine avec des perspectives positives sur les maladies inflammatoires intestinales comme la maladie de Crohn, les maladies cardiovasculaires, l’obésité mais aussi certaines formes d’autisme.
Il y a une effervescence de la recherche bien au-delà de l’Inra. On voit de mieux en mieux le lien entre les micro-organismes de l’intestin et la santé humaine. La même logique est à l’œuvre pour les plantes et les animaux avec les micro-organismes du sol. On est en train de montrer que contrairement à ce qu’on pensait, une plante saine n’est pas une plante stérile.
C’est-à-dire ?
Une plante saine n’est pas une plante sur laquelle il n’y a pas de micro-organismes. Au contraire, elle abrite un écosystème microbien riche et riche d’enseignements. C’est vrai pour la feuille, l’appareil végétatif et les racines. Certains de ces micro-organismes ont un rôle protecteur. C’est quelque chose qu’on a très peu travaillé. Ce qui était logique dans une perspective chimique qui ne s’encombrait pas de savoir si certains de ces micro-organismes pouvaient avoir une utilité.
On est en train de séquencer comme on l’avait fait pour les micro-organismes de l’intestin ceux des feuilles ou des racines. On va caractériser leurs effets positifs et négatifs. À moyen terme, on pourrait envisager de commercialiser des semences, correspondant à des variétés ayant les caractères agronomiques recherchés, et enrobées d’un microbiote contribuant à la croissance et à la protection naturelle des plantes.