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Les Etats-Unis refusent de laisser passer une résolution de l’ONU contre le viol comme arme de guerre

Les Nobel de la Paix 2018 congolais Denis Mukwege et yazidie Nadia Murad ont dénoncé la posture des Etats-Unis, qui agitent la menace d’un veto devant le Conseil de sécurité.

Publié le 23 avril 2019 à 16h51, modifié le 24 avril 2019 à 08h28 Temps de Lecture 8 min.

Un projet de résolution pour combattre le viol comme arme de guerre, voilà qui pourrait paraître consensuel pour l’Organisation des Nations unies (ONU), dont le but premier est de « maintenir la paix et la sécurité internationales ». Ce n’est pourtant pas le cas. Comme le raconte The Guardian, les Etats-Unis menacent de mettre leur veto à ce texte, qui doit être examiné mardi 23 avril, au cours d’une session spéciale du Conseil de sécurité.

Le projet de résolution a déjà été amputé d’une de ses mesures phares : la création d’un mécanisme de surveillance et de recensement de ces violences, qui rencontrait l’opposition de Washington, ainsi que de la Russie et de la Chine. Mais les Etats-Unis continuent de se montrer hostiles à ce document en raison des termes employés, en l’occurrence, écrit le Guardian, « parce qu’il comprend un vocabulaire sur l’aide aux victimes issu de services de planification familiale ».

« Les Américains ont changé de camp »

Selon le quotidien britannique, une seule expression est litigieuse pour les Américains. Elle se trouve dans une clause qui « invite instamment les entités des Nations unies et les donateurs à offrir aux personnes ayant subi des violences sexuelles, sans aucune discrimination, une gamme complète de soins de santé, notamment sexuelle et procréative, un soutien psychosocial, une aide juridictionnelle et des moyens de subsistance, ainsi que d’autres services multisectoriels, compte tenu des besoins particuliers des personnes handicapées ».

L’administration Trump s’est déjà opposée par le passé à l’emploi du terme « genre » dans les documents de l’ONU

Ce passage figure déjà dans une résolution de 2013. Mais les Etats-Unis ne veulent plus du passage évoquant la « santé sexuelle et procréative ». D’après le journal britannique, Washington estime que ces termes sous-entendent un soutien à l’avortement. Signe d’un infléchissement idéologique de Washington sur ces questions, l’administration Trump s’est déjà opposée par le passé à l’emploi du terme « genre » dans les documents de l’ONU, le considérant comme une promotion déguisée des droits des personnes transgenres.

« Ce serait une énorme contradiction que de parler d’une approche centrée sur les survivants et de ne pas mentionner les services de santé sexuelle et reproductive, ce qui est pour moi essentiel », a souligné Pramila Patten, représentante spéciale des Nations unies pour les violences sexuelles dans les conflits. « Si nous laissons les Américains supprimer ce vocabulaire, tout sera édulcoré pendant longtemps », renchérit un diplomate européen cité par le Guardian, pour qui il s’agit rien de moins qu’une « attaque contre le cadre normatif progressif établi ces vingt-cinq dernières années ». Pour cette même source, « les Américains ont changé de camp » et se trouvent à présent dans une alliance « contre-nature avec les Russes, le Vatican, les Saoudiens et les Bahreïnis ».

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« L’impunité est toujours la norme »

C’est l’Allemagne, qui préside actuellement, pour un mois, le Conseil de sécurité de l’ONU, qui est à l’initiative de la résolution sur la prévention des crimes sexuels. « La violence sexuelle est répandue dans les zones de guerre. Nous devons agir », a écrit le ministre allemand des affaires étrangères, Heiko Maas, dans une tribune publiée lundi dans le Washington Post et signée avec l’actrice Angelina Jolie, qui milite de longue date contre les crimes sexuels.

« Le viol et d’autres formes de violence sexuelle sont utilisés comme tactique de guerre et de terrorisme dans les conflits du monde entier », constatent M. Maas et Mme Jolie, déplorant qu’en la matière, « l’impunité est toujours la norme ».

Tous deux proposent que l’effort international se concentre sur trois aspects : que les auteurs d’actes de violence sexuelle soient tenus responsables de leurs actes, et que la coopération internationale permette de réunir les preuves contre eux ; que le contrôle soit accru, alors que les résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU « restent lettre morte » et que des parties prenant part à des conflits « ne respectent pas du tout leurs obligations » ; enfin, Heiko Maas et Angelina Jolie suggèrent que les victimes soient entendues et aient accès à la justice ainsi qu’à des réparations financières.

La résolution portée à l’ONU « répond à ces trois préoccupations », écrivent-ils. « Son adoption serait une étape indispensable pour mettre fin à l’impunité des auteurs de violence sexuelle lors de conflits. (…) Cela enverrait également un message important à ceux qui veulent faire reculer les droits de l’homme : nous ne tenons pas les progrès pour acquis. Et nous nous battrons pour les garder en vie. »

Les Nobel de la Paix 2018 réclament justice

La lutte contre les violences sexuelles a été portée à la connaissance du grand public par le prix Nobel de la paix qui a récompensé en 2018 la jeune Yézidie Nadia Murad, persécutée par l’organisation Etat islamique, et le médecin congolais Denis Mukwege. Ces derniers ont appelé mardi le Conseil de sécurité de l’ONU à ce que justice soit rendue aux victimes de violences sexuelles dans les conflits.

« Pas une seule personne n’a été traduite en justice pour esclavage sexuel », a dénoncé Nadia Murad en évoquant sa communauté détruite par le groupe djihadiste Etat islamique en Irak et en Syrie. « Les espoirs d’une génération entière ont été détruits », a-t-elle ajouté, évoquant un « échec collectif » de la communauté internationale.

« Nous prononçons des discours à l’ONU mais aucune mesure concrète ne suit » en matière de justice et « rien n’a été fait », a-t-elle insisté. « Qu’attend la communauté internationale pour rendre justice aux victimes », s’est aussi interrogé Denis Mukwege, en demandant lui aussi l’établissement de tribunaux nationaux ou internationaux consacrés au jugement des coupables de violences sexuelles dans les conflits.

La France dénonce la menace de veto

La France a vivement dénoncé les Etats-Unis mardi au Conseil de sécurité de l’ONU. « Nous sommes consternés par le fait qu’un Etat ait exigé le retrait de la référence à la santé sexuelle et reproductive pourtant agréée » dans de précédentes résolutions en 2009 et 2013, a déclaré l’ambassadeur français à l’ONU, François Delattre.

« Nous déplorons que des menaces de veto aient été agitées par des membres permanents de ce Conseil pour contester vingt-cinq ans d’acquis en faveur des droits des femmes dans des situations de conflits armés. »

« Des concessions importantes ont été accordées sous la pression de plusieurs membres permanents qui n’ont pas permis au texte d’aller aussi loin que nous l’aurions souhaité », a poursuivi François Delattre. « Il est inexplicable que l’accès à la santé sexuelle et reproductive ne soit pas explicitement reconnu aux victimes de violences sexuelles, elles qui sont souvent la cible d’atroces exactions et de mutilations barbares », a-t-il aussi lancé.

Selon certains diplomates, l’opposition de l’administration conservatrice de Donald Trump a été déterminante pour empêcher un consensus à ce sujet. Depuis plus d’une semaine, Washington s’est efforcé de gommer dans le texte les mentions relatives aux femmes tombant enceintes après un viol, afin de ne pas favoriser les avortements.

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