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Animaux

Le cheval de trait est de retour dans les villes bretonnes

En Ille-et-Vilaine, à La Bouëxière, deux chevaux de trait breton ont remplacé les tracteurs pour arroser les fleurs et désherber les allées. Cette commune de 4.300 habitants a opté pour cette solution écologique qui permet aussi de préserver la race d’équidé bretonne, en déclin depuis les années 1960.

  • La Bouëxière (Ille-et-Vilaine), reportage

Dans la campagne en Ille-et-Vilaine, comme partout en Bretagne, à chaque fois que les souvenirs d’enfance reviennent à la mémoire des moins jeunes, le cheval de trait breton est évoqué. Avant les années 1960, l’agriculture recourrait à cette race de chevaux. À l’issue de cette époque, les engins motorisés ont remplacé les animaux dans la grange.

Une époque révolue ? La mairie de La Bouëxière en a décidé autrement. En 2009, cette commune de 4.300 habitants a acheté Oscar de la chaussée, un hongre de 9 ans, pour des raisons environnementales. « On souhaitait diminuer la traction thermique », dit Gérard Bécel, adjoint à la vie associative et sportive, l’un des initiateurs de l’expérience.

Les élus cherchaient à ce moment-là des solutions écologiques à mettre en place dans les espaces verts. Ils ont alors arrêté l’épandage de produits phytosanitaires et, pour remplacer le tracteur, un habitant a conseillé de s’orienter vers le cheval breton. Une solution garantie à très basses émissions de gaz à effet de serre ! « Son bilan carbone est moindre par rapport à un camion, explique Hélène Morel, du réseau armoricain du cheval utilitaire Faire à cheval. Ce n’est que s’il est nourri avec de l’alimentation industrielle, autre que le foin et l’herbe, qu’il a un effet sur le climat. »

« Notre idée, c’est de faire sortir le cheval de l’écurie et de l’amener en ville » 

L’unique salariée de l’association bretonne Faire à cheval promeut, depuis sa création en 2012, l’utilisation du cheval territorial utilisé pour des missions de service public : « L’association est née de deux mondes. D’un côté, il existe un enjeu lié aux problématiques environnementales : aujourd’hui, on souhaite que l’énergie soit propre et sans conséquence climatique. De l’autre, les chevaux de trait se cherchent un avenir avec d’autres débouchés. »

Depuis les années 1960, le cheval de trait breton décline. « Avec la motorisation, les haras nationaux ont destiné la filière de chevaux de trait à la boucherie, dit Hélène Morel. Ils sont envoyés en Espagne, en Italie et au Japon pour être mangés. Notre idée, c’est de faire sortir le cheval de l’écurie et de l’amener en ville. » Arrosage des fleurs, transport scolaire, désherbage, collecte des déchets, labeur en agriculture biologique… L’animal redevient petit à petit utilisé pour des missions variées.

L’agent communal Lionel Bouvet raccompagne Vezec’h dans son enclos où loge également Oscar. Sur ce terrain qu’elle a acheté, la commune a installé un abri, une mangeoire et un abreuvoir.

La professionnelle a fait les comptes : dans la région, 14 collectivités, dont La Bouëxière, se servent de chevaux toute l’année, sans compter le pic d’activités l’été. C’est la ville de Rennes qui, en 1993, a innové en utilisant les chevaux bretons pour la collecte des déchets dans le plus grand parc de la capitale régionale, les Gayeulles. Jusqu’en 2005, seules trois communes avaient suivi l’exemple rennais. Depuis, l’association a remarqué une augmentation progressive du nombre de collectivités à se lancer chaque année.

La région Bretagne fournit une aide à hauteur de 40 % la première année pour le projet d’étude et les investissements, comme l’achat du cheval et du matériel. Depuis 2013, elle lance aussi un appel à projets tous les ans destiné aux collectivités. Une dizaine de dossiers est déposée à chaque fois. « Certaines propositions ne sont pas retenues », dit le chargé de mission à la bioéconomie, Alexandre Mamdy. Et d’autres ne verront jamais le jour. « On aimerait que le nombre augmente plus rapidement mais des freins existent », explique Hélène Morel, qui ajoute : « Ce type de projets est compliqué à mettre en place et difficile à maintenir dans la durée. » Il suffit d’une fusion de communes ou d’un changement de l’équipe municipale pour que tout s’arrête.

« C’est difficile d’aller dire à quelqu’un de travailler avec un cheval s’il n’y a pas d’intérêt de la part de l’employé » 

À l’achat, un cheval de trait breton coûte 5.000 € minimum sans l’avant-train hippomobile, essentiel pour le mener, ni les outils pour le faire travailler. Ce coût peut être un frein pour les collectivités, d’après Alexandre Mamdy. Hélène Morel ne partage pas cet avis : « Le coût n’est pas si énorme que ça comparé à d’autres investissements que peut faire une collectivité. »

Les élus majoritaires bouexièrais, de « sensibilité à gauche », ont bien conscience de ces enjeux. « Pour cette raison, on professionnalise de plus en plus », répond le maire Stéphane Piquet, en place depuis deux mandats. À la suite à l’achat d’Oscar se sont posées des questions auxquelles personne n’avait pensé. Où le loger ? Qui va s’en occuper ?

De gauche à droite : la roulotte pour transporter enfants et adultes, l’avant-train et la cuve pour arroser fabriquée par les agents communaux.

La mairie a acheté un terrain et en loue un second juste à côté, à proximité de la salle polyvalente. Puis, la mairie a formé les employés. Les deux agents communaux en poste depuis plus de 15 ans, Cyril Jouault et Lionel Bouvet, ont été initiés à la conduite équine lors d’une formation. « Nous ne faisons pas partie de cette génération qui a connu les chevaux à la ferme », constate Cyril Jouault. La directrice générale des services de la mairie, Marie-Christine Sauvagère, le reconnaît : « C’est difficile d’aller dire à quelqu’un de travailler avec un cheval s’il n’y a pas d’intérêt de la part de l’employé. »

En plus des employés municipaux, l’adjoint Gérard Bécel a impliqué la population afin de créer un lien avec l’animal pour le rendre indispensable à la vie communale. Dès 2009, il a cherché des bénévoles pour mener le cheval lors de l’arrosage des fleurs. Une équipe d’une douzaine de personnes s’est constituée au fil des ans, dont un noyau de six habitants. Bernard Desaintjean, retraité de 69 ans, fait partie de ceux-là.

De début mai jusqu’à fin août, il guide une fois par semaine l’un des deux chevaux à travers le bourg pour arroser plus de 200 pots de fleurs. « Je commence en général à 14 heures et je termine en fin de journée. Quand tu fais ça, ton après-midi est foutue ! » s’amuse-t-il. Lors de cette sortie hebdomadaire, quatre personnes sont mobilisées : une mène le cheval, l’autre contrôle la circulation et deux autres arrosent les bacs.

« On explique simplement que l’animal est aussi efficace qu’un véhicule » 

Néanmoins, les agents municipaux utilisent toujours le tracteur une fois par semaine. « On ne peut pas demander aux bénévoles de travailler deux fois dans la semaine », dit Gérard Bécel. Bernard ne s’y montre pourtant pas opposé. Ce dernier adore les chevaux : « C’est un beau projet ! Il permet de mettre les chevaux un peu partout et de les remettre au travail. » En plus de cette activité, Oscar et Vézec’h, le deuxième cheval de trait acheté à l’automne dernier, travaillent avec un « rabot », une invention créée pour stabiliser le terrain de football et le vélodrome.

Autre nouveauté : un désherbeur mécanique à traction acheté en mars. Encore à l’essai, il va être utilisé dans les allées sablées par les deux agents communaux ainsi que les jeunes de l’institut médico-éducatif (IME) et des adultes en chantier d’insertion. La mairie a déjà d’autres projets en tête comme celui d’un ramassage scolaire exclusivement à cheval.

La mairie a acheté en mars dernier, avec l’aide de la région Bretagne, un désherbeur mécanique à traction qui a coûté 7.000 €.

La Bouëxière veut prouver par l’exemple qu’il est possible de travailler avec des chevaux. D’ici l’été, la commune montrera ses activités hippomobiles lors de deux comices agricoles puis pendant le concours départemental de cheval de trait breton, qu’elle organise fin août pour la première fois. Pour Hélène Morel, il s’agit de la meilleure façon de faire connaître cette pratique : « Le cheval n’a pas une image de progressisme et de modernité. On ne dit pas qu’on va retourner en arrière et remettre plein de chevaux partout, comme dans le temps, mais on explique simplement que l’animal est aussi efficace qu’un véhicule. »

Pour promouvoir ce mode de travail, le réseau va estampiller chaque produit et chaque bourg qui utilise le cheval utilitaire. À l’entrée de La Bouëxière, à côté de la plaque « ville fleurie » arborant deux fleurs, un autre panneau va être bientôt installé : une estampille commune « Faire à cheval ».

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