Société

Avec la fondatrice du premier site de rencontres pour LGBT en Inde

Urvi Shah, fondatrice de l'International Marriage Bureau for Gays and Lesbians, nous parle de sa façon de briser les règles et d’en instaurer de nouvelles.
Pallavi Pundir
Jakarta, ID
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Photos publiées avec l'aimable autorisation de Urvi Shah

À 25 ans, Urvi Shah, originaire du Gujarat, est ce que l’on pourrait appeler un cupidon. En 2017, l’entrepreneure sociale qui vit à Ahmedabad est apparue sous les feux des projecteurs lorsque son agence matrimoniale pour les personnes LGBTQAI+, appelée International Marriage Bureau for Gays & Lesbians (IMBGL), a reçu une publicité incroyable en Inde et dans d’autres pays. IMBGL est sans doute le premier site matrimonial pour la communauté LGBTQIA+ au monde.

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Lancée en 2015, l’agence de Shah connaît un succès retentissant, alors que quelques mois auparavant seulement, les relations sexuelles entre deux adultes du même sexe étaient criminalisées en vertu de l’article 377 du Code pénal indien.

Mais cette année, l’agence de Shah continue de prospérer. Il est également intéressant de noter que même si l’agence a changé les règles de la communauté depuis au moins quatre ans, Shah est une traditionaliste dans l’âme, surtout en ce qui concerne sa vision de son entreprise. « Le mariage arrangé est une tradition purement indienne, dit-elle. Même si ma principale cible demeure le public indien, lentement et progressivement, j’ai commencé à recevoir des demandes de renseignements d’expatriés. Et c’est comme ça que nous avons commencé à inclure non seulement des Indiens, mais aussi d’autres nationalités. »

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Urvi Shah.

Tandis que la conversation sur la communauté queer évolue vers l’inclusion croissante de l’entreprise, qui va au-delà des mariages gays et inclue les mariages de personnes sur d’autres spectres de la communauté, Shah nous a parlé de l’évolution de son entreprise.

VICE : Comment tout cela a-t-il commencé ?
Urvi Shah : Quand j’ai décidé d’ouvrir ce site matrimonial, j’ai envoyé un mail à toutes les personnes que j’avais rencontrées lors de mes recherches pour ce projet, et je leur ai dit que j’allais lancer cette entreprise. Treize personnes ont volontairement demandé à être embauchées par l’entreprise. Et c’était bien évidemment une bonne chose, parce que je voulais des employés, mais aussi des gens qui faisaient eux-mêmes partie de la communauté. Moi-même, je n’en fais pas partie, je ne peux que faire des recherches. Mais je n’arrive toujours pas à comprendre les réalités vécues par la communauté. Et puis, grâce au bouche-à-oreille, la nouvelle a commencé à faire son chemin. Je pensais qu’il faudrait entre sept et neuf mois pour que l’entreprise s’installe. Mais finalement, il n’a fallu que cinq à six mois.

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Quels genres de demandes avez-vous reçus ?
Nous recevions beaucoup de demandes de renseignements au début. Mais la plupart venaient de gens très jeunes. Donc j’ai fixé un âge minimum de 24 ans. J’ai continué de recevoir des demandes de personnes de moins de 24 ans. Grâce à des conversations téléphoniques avec ces candidats, j’ai compris qu’ils ne cherchaient pas forcément de partenaires de vie. Ils cherchaient plutôt des coups d’un soir ou des relations à court terme.

Pourquoi pensez-vous que ce genre d’intérêts est problématique ?
Beaucoup de jeunes cherchent des sugar daddies. C’est pourquoi, avec le temps et l’expérience, nous avons instauré la règle selon laquelle nous proposeront des interactions en fonction de l’éducation, de la situation financière et de l’âge. Nous ne voulons pas qu’il y ait de grandes différences d’âges. Un autre détail obligatoire pour l’agence : le client doit être salarié, de sorte qu’aucun des partenaires ne soit dépendant de l’autre financièrement parlant.

Quels critères faut-il respecter pour s’inscrire ?
L’inscription se fait en trois étapes. Premièrement, il faut remplir une fiche confidentielle. Elle nous aide à comprendre la personnalité du client. Deuxièmement, il faut soumettre les documents pour vérification. J’ai visité de nombreux sites de rencontre pour la communauté LGBTQ, et j’ai remarqué un point commun : les faux profils. Je ne voulais pas de ça. Les frais d’inscription sont à peu près les suivants : si c’est un Indien qui cherche un partenaire en Inde, l’inscription lui revient à environ 15 000 roupies (185 euros). Pour une personne en Inde qui cherche un partenaire à l’étranger, il faudra compter 35 000 roupies (432 euros). Et si une personne arrive de l'étranger et cherche une personne à l'étranger ou en Inde, les frais sont de 530 euros.

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Je voulais faire comme tous les autres sites matrimoniaux – Shaadi.com, par exemple. Puis, j’ai pensé que cela n’avait aucun sens de mettre en ligne le profil, puisque nous avons des clauses de confidentialité à respecter.

Quelle est la prochaine étape ?
Mon équipe commence à chercher les matchs entre les fiches confidentielles. Si les deux personnes sont intéressées, nous les faisons se rencontrer à travers une visioconférence ou un appel téléphonique. Nous leur donnons quelques jours pour faire connaissance et mieux se comprendre. Ensuite, ils doivent nous dire s’ils apprécient le ou la partenaire. Dans le cas contraire, nous leur trouvons quelqu’un d’autre.

Combien de couples avez-vous formés jusqu’à maintenant ?
Nous avons 56 couples en concubinage, 36 couples mariés et 29 couples qui sont sur le point de se marier.

Comment cela fonctionne-t-il, légalement parlant, étant donné que les couples du même sexe ne peuvent pas se marier en Inde ?
Le gouvernement a donné la possibilité de choisir son partenaire de vie, d’avoir des relations physiques avec elle ou lui, mais n’a pas autorisé le mariage. Beaucoup de choses doivent encore changer, et la stigmatisation doit prendre fin.

Mais légalement, est-ce vraiment un mariage ?
Non. Le mariage n’est pas légal. Nous permettons à deux individus qui veulent s’épouser de se rencontrer. Dans 80 % des cas, les couples nous demandent de contacter des pandits pour eux, c’est-à-dire quelqu’un qui peut les marier. Dans leurs cultures et religions, c’est un mariage. La plupart de nos clients ont opté pour de petites cérémonies privées. Mais légalement, non, ce n’est pas considéré comme un mariage, parce qu’ils n’obtiennent pas de certificat de mariage comme leurs homologues hétérosexuels.

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Avez-vous eu plus de réponses après la révision de l’article 377 ?
En fait, j’ai reçu plein de demandes de parents des membres de la communauté, qui cherchaient une épouse ou un époux pour leurs enfants. Mais le plus triste, c’est que beaucoup de gens sont toujours dans le placard et n’ont pas été eux-mêmes touchés par la révision de l’Article, parce que la société n’est toujours pas prête à les accepter.

Quels genres de demandes formulent les parents ? Sont-ils plus optimistes ?
Ces parents veulent en général garder les informations concernant leurs enfants confidentielles. Ils ne veulent pas mentionner leur nom ou montrer leurs photos sur le site ou ailleurs.

Parler aux parents est-il différent de parler à leurs enfants ?
Les demandes sont très différentes. Un exemple : un homme m’a appelée pour me dire qu’il cherchait un partenaire. Il vit aux États-Unis, mais vient de Bombay. Il s’y est installé juste après ses études, il y a six ans. Il souhaite trouver un partenaire acceptant un « mariage ouvert ».

Quand je consulte les parents, la partie sexuelle ne les inquiète pas. Ils sont plus pratiques. Ils sont inquiets à propos des relations à long terme. Pour eux, c’est une question d’engagement. Ils me disent souvent : « On s’en fiche de l’identité du partenaire de notre fils. On veut juste qu’ils soient ensemble pour le reste de leur vie. » Ils veulent quelqu’un qui va s’occuper de leur enfant à long terme.

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Pouvez-vous nous parler des demandes et des préoccupations les plus complexes que vous ayez eues à gérer ?
C’est une zone assez sombre pour nous. Nous avons reçu beaucoup de demandes concernant un MoC (mariage de convenance/mariage de contrat), mais je n’ai jamais été en faveur de cela.

J’ai passé en revue les règles de l’établissement d’un contrat de mariage. Très peu de clients ont établi un MoC avec leur compagnon de vie. Je les ai contactés dans le cadre de mes recherches, pour voir comment les choses allaient après le mariage. L’idée, c’est de vivre avec quelqu’un du sexe opposé, qui ne vous attire même pas. Imaginez-vous vivre avec un soi-disant ami. Vous devez faire semblant de l’aimer, d’aimer ses parents… Les gens se mettent souvent à attendre beaucoup de choses de votre part. Après quelques années, les parents s’attendent à avoir des petits enfants.

Est-ce que vous faites des MoC, maintenant ?
Oui, à cause du nombre grandissant de demandes. Nous avons dû accepter et organiser des MoC.

Le nombre de MoC a-t-il diminué après la révision de l’Article 377 ?
Pas vraiment. Nous avons lancé le service en novembre 2017. À ce jour, nous avons plus de 300 clients inscrits pour un MoC, dont 200 sont des femmes. Les mariages de convenance sont plutôt mal vus en ce qui concerne les couples homosexuels, et la communauté ne se préoccupe pas des sujets comme la religion, la caste ou d’autres paramètres. Mais avec le MoC, les clients demandent la même religion et la même caste.

Quelles sont les autres affaires dont vous vous occupez, à part le mariage ?
Il y a une faille dans le système gouvernemental qui permet à deux personnes non mariées de la communauté d’avoir un contrat de concubinage.

Mais cela existe déjà pour les couples hétérosexuels.
Oui, mais pas pour les gens du même sexe. Nous avons cherché toutes les failles et trouvé un système qui leur permet de vivre ensemble.

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