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Violence sexuelle

Ambassadeur de France à l'ONU : «Ce qui est en jeu, c'est 25 ans de combat pour les droits des femmes»

Les Etats-Unis de Trump ont affaibli une résolution sur les violences sexuelles adoptée mardi soir à l'ONU. Après avoir exprimé sa «consternation», la France appelle à la vigilance et promet de poursuivre le combat.
par Frédéric Autran
publié le 25 avril 2019 à 9h11

Elle était censée mieux protéger les femmes victimes de violences sexuelles lors des conflits. Mardi soir, une résolution a été adoptée par le Conseil de sécurité de l'ONU. Mais le texte a été amputé d'une partie de sa substance, sous la pression notamment des Etats-Unis de Trump, qui ont fait retirer la référence à la «santé sexuelle et reproductive». Par la voix de son ambassadeur, la France avait exprimé sa «consternation». François Delattre revient pour Libération sur ce vote, ses enjeux et l'importance du combat.

La résolution votée mardi, porteuse initialement d’une volonté de justice et de protection accrue pour les victimes de violence sexuelle, a été amputée de plusieurs éléments clés. Faut-il parler d’échec ?

Non, car cette résolution portée par l’Allemagne permet plusieurs avancées importantes, auxquelles nous avons contribué à travers les négociations. Trois exemples. D’abord, la résolution renforce le mandat de la représentante spéciale du secrétaire général de l’ONU sur les violences sexuelles dans les conflits, Mme Pramila Patten. Cela signifie que le Conseil de sécurité aura plus de moyens d’action et de contrôle dans ce domaine. C’est important pour la suite. Ensuite, ce texte demande au secrétaire général de l’ONU de produire un rapport sur les enfants nés de viols d’ici à 2021. C’était un objectif de premier plan pour la France, sur une problématique aussi importante que douloureuse. Enfin, et plus largement, la résolution consacre une approche centrée sur les victimes des violences sexuelles et l’aide à leur apporter. C’est un point nouveau et essentiel.

La France a, du reste, été le premier pays à soutenir dans ce cadre le Fonds de soutien aux victimes que le docteur Mukwege et Nadia Murad ont mis en place. L’un et l’autre appuient cette résolution. Mon équipe et moi avons eu le privilège de recevoir mercredi, au lendemain du vote, le docteur Mukwege à la Mission française pour réfléchir concrètement avec lui à la meilleure manière d’avancer dans la mise en œuvre de la résolution. La dynamique est donc positive. Et en miroir de cette indicible souffrance des victimes, l’engagement de personnes d’une telle qualité humaine redonne foi en la vie.

«Consternation», «inacceptable», «intolérable» : vous avez eu des mots durs, et inhabituels, mardi devant le Conseil, à l’encontre des Etats-Unis. Pourquoi était-il nécessaire de marquer la colère de la France ?

Quand certains cherchent, au nom d’une idéologie, à remettre en cause des droits des femmes parmi les plus fondamentaux, la France doit parler fort. Ce combat pour les droits des femmes, c’est notre combat. Le président de la République, Jean-Yves Le Drian et Marlène Schiappa ne défendent pas pour rien une diplomatie féministe. Mon propos a du reste contribué à libérer la parole de plusieurs autres pays, qui auraient sans doute été hésitants à s’engager en l’absence d’une position française claire. Nous parlons ici de femmes et de filles victimes d’exactions atroces et de mutilations barbares. Qui peut s’opposer à ce qu’elles aient accès à la santé sexuelle et reproductive ? C’est pourtant ce que certains ont fait, en menaçant explicitement de faire usage de leur droit de veto. C’est consternant, c’est inadmissible, et il faut le dire. Rien ne serait pire que de laisser passer sans réagir. Demandez au docteur Mukwege et à Nadia Murad ce qu’ils en pensent.

En quoi le retrait de la référence à la santé sexuelle et reproductive dans un texte onusien marque-t-il une régression préoccupante ?

Au-delà même de la résolution dont nous parlons, ce qui est en jeu c’est vingt-cinq ans de combat en faveur des droits des femmes, en l’occurrence pour la santé et les droits sexuels et reproductifs. Nous devons nous battre pour que ces droits, même s’ils ne figurent pas dans la résolution portée par l’Allemagne du fait de la menace de veto américain, ne se trouvent pas remis en cause sur d’autres fronts. C’est pourquoi j’ai rappelé publiquement que les autres résolutions du Conseil contenant ces droits continuent à s’appliquer. Il ne doit y avoir aucune ambiguïté. La France est, et restera, d’une extrême vigilance sur ce point.

Adopter ce texte édulcoré, n’est-ce pas ternir l’image de l’ONU ? Face à l’intransigeance de Washington, pourquoi ne pas avoir annulé le vote ou forcé les Etats-Unis à utiliser leur veto ?

L’Allemagne, porteuse du projet de résolution, a décidé de mettre le texte au vote au regard des avancées importantes qu’il contient. C‘est son choix.

Dans les négociations, dont on dit qu’elles ont été ardues, comment Washington a-t-elle justifié sa position ? Une fois de plus, Donald Trump semble agir, sur un sujet multilatéral, en fonction de considérations de politique intérieure…

Je ne vous contredirai pas. Les Etats-Unis s’opposent désormais de manière catégorique et systématique à toute référence à la santé et aux droits sexuels et reproductifs, au motif qu’il s’agirait d’une promotion internationale de l’avortement – ce qui est une vision pour le moins simpliste. Nous devons donc affirmer nos positions avec d’autant plus de force et bâtir des coalitions pour les promouvoir. L’expérience montre que c’est possible, que ce soit lors de la commission de la condition de la femme ou dans le cadre de l’assemblée générale de l’ONU, au prix de gros efforts. Ainsi la France a-t-elle été à l’origine à l’automne dernier, avec les Pays-Bas, de la première résolution jamais adoptée par les Nations Unies pour éliminer le harcèlement sexuel, résolution qui intègre bien la santé et les droits sexuels et reproductifs malgré les fortes pressions contraires américaines. Cet exemple montre qu’il faut rester positif, et surtout combatif.

Dans le Guardian lundi, un diplomate européen parlait d’une «alliance contre nature entre les Etats-Unis, les Russes, le Vatican, les Saudiens et les Bahreïnis». Partagez-vous cette analyse ? L’Amérique de Trump a-t-elle changé de camp, en particulier sur le sujet du droit des femmes ou de la communauté LGBT ?

Ce changement est incontestable concernant la santé et les droits sexuels et reproductifs. Il est plus nuancé sur d’autres questions. S’agissant des droits LGBTQI, il serait excessif de dire que l’Amérique a changé de camp. Mais elle n’est plus le moteur qu’elle était avec la France et quelques autres. Le rapport de forces international s’en ressent. J’aimerais une Amérique plus engagée à nos côtés sur cette question, qui est au cœur de nos priorités.

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