Guerre d'Espagne : la bataille des écrivains français

André Malraux en 1936 lors d'un meeting de solidarité avec les républicains espagnols à Garches. ©AFP
André Malraux en 1936 lors d'un meeting de solidarité avec les républicains espagnols à Garches. ©AFP
André Malraux en 1936 lors d'un meeting de solidarité avec les républicains espagnols à Garches. ©AFP
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De 1936 à 1939, le champ intellectuel français s’est transformé en champ de bataille. Malraux, Picasso ou Breton côté Républicains ; Maurras, Claudel ou Brasillach côté franquistes, quasiment tout le monde intellectuel et artistique français se jette dans la mêlée.

A chaque génération sa guerre d’Espagne. A chaque génération le carnage qui la fait naître à elle-même en la jetant dans une mobilisation sans frontières. Pour la génération dite « 68 », ce fut le conflit algérien : « L’Algérie, cela a été notre guerre d’Espagne », témoigne par exemple l’anthropologue Jeanne Favret-Saada, naguère engagée aux côtés du FLN. De même, les combats qui ont récemment ensanglanté la Syrie pourraient bien tenir lieu de « front espagnol » à toute une cohorte politique. A chaque génération sa guerre d’Espagne, autrement dit l’événement universel qui produit un effet de cisaille sur les consciences du temps, parce qu’il engage tout ce à quoi on tient et annonce l’abjection qui vient_._

Une petite maison d’édition, Le Félin, publie sur le sujet un livre palpitant, qui s’intitule _Les Intellectuels français et la guerre d’Espagne. S_on auteur, Pierre-Frédéric Charpentier, montre comment, de 1936 à 1939, le champ intellectuel français s’est transformé en champ de bataille. Malraux, Picasso ou Breton côté Républicains ; Maurras, Claudel ou Brasillach côté franquistes, quasiment tout le monde intellectuel et artistique français se jette dans la mêlée, une mêlée d’autant plus violente que, pour les deux camps, ce qui se joue en Espagne, c’est l’avenir de l’entière humanité. Une course de vitesse est engagée : entre la civilisation chrétienne et l’anarchie soviétique, affirme la droite ; entre le socialisme et la barbarie, martèle la gauche. 

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Des clivages internes à chaque camp

Evidemment, l’intérêt de la période réside aussi dans les clivages internes à chaque camp. On connaît les débats qui ont déchiré la droite profranquiste. Peut-on vraiment se réclamer du Christ quand on bénit les massacres commis par les troupes du Caudillo ? A cette question, plusieurs écrivains catholiques, notamment Jacques Maritain, Georges Bernanos et François Mauriac, ont répondu non. Symétriquement, comment prétendre voler au secours des martyrs de Guernica quand on cautionne l’enfer des « procès de Moscou » ? A gauche, la contradiction a fini par éclater.

Toutefois la symétrie s’arrête là. Car une des choses qui frappent à la lecture de ce livre, c’est que la gauche, même déchirée entre « interventionnistes » et « pacifistes », ou entre « trotskistes » et « staliniens », a par ailleurs maintenu une unité peu glorieuse : dans l’ensemble, elle s’est bien gardée de dénoncer les massacres commis par les forces républicaines. Si l’on met à part le cas isolé de la philosophe Simone Weil, on chercherait en vain les Bernanos, les Maritain ou les Mauriac du camp « républicain », qui auraient brisé les silences complices de leurs propres camarades. Ces silences n’empêchèrent pas la gauche de remporter plus tard la bataille des manuels scolaires : aucun auteur de la galaxie profranquiste n’a atteint la notoriété d’un Malraux avec L’Espoir ou d’un Picasso avec Guernica. Il reste que cette bonne conscience en fer forgé pèsera lourd sur la mémoire des gauches jusqu’à aujourd’hui, et donc sur leur capacité à nommer le réel de l’histoire.

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