« Suicidez-vous ! » : l'injonction monstrueuse aux policiers

L'apostrophe lancée aux forces de l'ordre est d'un fanatisme incroyablement pervers. Le triomphe de l'idéologie sur toute humanité.

Par

Temps de lecture : 5 min

Camus écrivait que le suicide était le seul problème sérieux de la philosophie. Ce problème, qui hante les philosophes depuis des millénaires et qui donne lieu à bien des dissertations de lycée et de classes préparatoires, a excédé bien largement ce domaine. Il a débordé sur la littérature – les romantiques, les derniers spécialistes sérieux du suicide, écrivait Roland Barthes, quand se suicider faisait presque chic chez les artistes –, sur la sociologie – n'oublions pas qu'Émile Durkheim, son fondateur, mit en place sa méthode avec un ouvrage sur le suicide à la fin du XIXe siècle –, sur les statistiques et aujourd'hui, vous l'aurez deviné, sur la politique ou du moins le spectacle que certains en donnent chaque samedi. Ce n'est plus de la philosophie, mais c'est encore très sérieux.

Le point du soir

Tous les soirs à partir de 18h

Recevez l’information analysée et décryptée par la rédaction du Point.

Votre adresse email n'est pas valide

Veuillez renseigner votre adresse email

Merci !
Votre inscription a bien été prise en compte avec l'adresse email :

Pour découvrir toutes nos autres newsletters, rendez-vous ici : MonCompte

En vous inscrivant, vous acceptez les conditions générales d’utilisations et notre politique de confidentialité.

Suicidez-vous ! ont donc lancé certains Gilets jaunes aux forces de l'ordre, qui, de fait, depuis le début de l'année, se suppriment à raison de deux morts par semaine (28 depuis janvier). Sont-ils devenus fous, inconscients, immoraux ou pire encore ? S'agirait-il d'un hommage tardif au chanteur Jean-Louis Murat, qui, dans la France nouvellement socialiste, de 1981 débarqua avec ce titre « Suicidez-vous, le peuple est mort », qu'Europe 1, à l'époque, refusa de diffuser ? Ou les Gilets jaunes se prendraient-ils pour ces consuls romains ou Hitler qui suggéraient à certains de leurs proches de mettre fin à leurs jours, dans la dignité, avant qu'ils ne prennent les devants ? Suicide d'honneur, disait-on. Ici, avec ces Gilets jaunes, on en est loin.

On en revient aux jolis temps où l'idéologie l'emportait sur toute humanité

Qu'y a-t-il de plus odieux, de plus inhumain, de plus idéologiquement totalitaire que de lancer à un « ennemi » de classe qu'on sait affaibli : Vas-y, retourne contre toi l'arme que tu braques sur nous ! Si vous voyez un type au bord de la route qui veut en finir, que feriez-vous ? Beau sujet moral auquel ces Gilets jaunes ont donné une réponse dépourvue d'ambiguïté. Ils ne l'en dissuadent pas, ils l'encouragent, ils lui tiennent l'arme, ils lui passent les balles. La politique de la balle tendue. On en revient aux jolis temps où l'idéologie l'emportait sur toute humanité, écrasait l'autre, niait l'homme dans son essence. Parce que l'homme est policier, il ne mérite pas de vivre. Mais le policier qui se tue, il se tue parce qu'il est policier et qu'exercer son métier est devenu intolérable. Cependant, il ne se tue pas en tant que policier, il se tue en tant qu'homme, voilà ce que ces doux Gilets jaunes devraient comprendre. Mais au fait : qu'en penseraient-ils si on les incitait eux aussi à se suicider, parce que la vie est dure et qu'ils ont du mal à boucler les fins de mois ?

Lire aussi Malaise dans la police : émotion, colère et désarroi à Montpellier

Ce n'est plus mort aux vaches, mais, vous les vaches, tuez-vous, dans un grand suicide collectif ! Allez, encore un petit effort, la fin n'est pas loin, débarrassez-nous de votre présence, qui n'est autre, rappelons-le, que la présence de l'État, garant de l'ordre public. Quand ces Gilets jaunes lancent Suicidez-vous ! à ces forces de l'ordre déstabilisées, c'est à l'État en réalité qu'ils s'adressent : Vous, l'État, suicidez-vous ! L'a-t-on bien compris d'ailleurs au sommet de l'État ?

La morale consistant chez Kant à énoncer des cas de figure, imaginons maintenant un Gilet jaune pris en otage par un terroriste. Dira-t-il encore à celui qui vient le sauver : Fous-moi la paix, laisse-moi crever, suicide-toi ! Allez, messieurs les Gilets jaunes, un peu d'exercice de morale entre deux samedis d'exercice de vandalisme.

Monsieur Mélenchon, toujours friand de grandes envolées lyriques, a-t-il entendu ce que signifiait cette apostrophe ? Nous, on ne l'a pas entendu dire qu'on était allé trop loin, qu'on avait franchi une ligne rouge. Ah, ça, pour pleurer sur les ruines fumantes de Notre-Dame, pour la ritournelle sur les mânes de Victor Hugo, on peut compter sur ses effets de manches. Les pierres, oui, les hommes, non. Cœur de pierre, Mélenchon. Même son idole Robespierre avait calmé les ardeurs des hommes de la Terreur. Plus fort que son idole, Mélenchon ! Voilà où on en est.

Avec ce Suicidez-vous !, un tiers se mêle de ce qui est notre grande affaire existentielle

Suicidez-vous ! Cette injonction, je l'entends en boucle depuis qu'elle a été proférée samedi. Est-ce lui donner trop d'importance à ce qui n'est pas, espérons-le, la vox populi ? Mais c'est grave, très grave. Il ne faut pas laisser passer ces incitations particulières au meurtre et l'on rappellera que les incitations au suicide sont poursuivies par la loi depuis 1994, punies de trois ans de prison et de 45 000 euros d'amende. Il semblerait que François Mitterrand ait fait passer cette loi après le suicide de Bérégovoy en 1993 – on se souvient de son attaque contre la presse et sa phrase sur l'honneur de Bérégovoy livré aux chiens –, mais son application a surtout visé ensuite ceux qui tentent d'influencer les mineurs à se supprimer – par Internet désormais – ou les médecins qui aideraient des malades en fin de vie. Mais le législateur, qui prévoit tout pourtant, n'avait pas envisagé le cas de figure scandaleux des Gilets jaunes.

Dans la monstruosité de cet ordre, il y a ce retournement même de ce qu'est le suicide, terme apparu au début du XVIIIe siècle chez Voltaire : un homicide – une chute, caedere, on s'abat soi-même – perpétué contre soi – sui. Le suicide est une affaire entre soi et soi, ou, diraient les psychanalystes, l'affaire d'une schize entre soi sujet et soi objet. Comme pour suggérer cette omniprésence de soi, la langue française va jusqu'à commettre une faute en le redoublant avec le pronominal : se suicider. Une redondance. Là, avec ce Suicidez-vous !, un tiers se mêle de ce qui est notre grande affaire existentielle, notre lien avec la vie et avec la mort, il s'immisce, il se prend pour Dieu, il réintroduit de l'actif, pour décider de la vie ou de la mort d'autrui. Ou d'o-truie, faudrait-il écrire, tant cette intrusion trahit la vision que ces Gilets jaunes ont de l'homme.

Ironie plus cruelle encore : l'apostrophe au suicide vise ceux qui justement sont censés défendre la population contre les auteurs d'attentat-suicide.

Jean-Louis Murat avait longtemps été ostracisé parce que sa chanson avait effectivement incité une jeune femme à attenter à ses jours. Qu'en sera-t-il lors du prochain suicide de policier ? Va-t-on lancer un grand hourra de joie chez les Gilets jaunes, fêter cela avec un feu d'artifice ou en blaguant les mains étendues au-dessus d'un brasero ? On attend avec impatience la décision de la justice qui a été saisie. Et espérons que d'un mal sorte un bien : du moins cette profération révoltante aura-t-elle attiré l'attention de l'opinion publique sur ces policiers qui se suicident.

Lire aussi Chronique d'un flic #8 - Lettre à mes collègues au bord du gouffre

À ne pas manquer

Ce service est réservé aux abonnés. S’identifier
Vous ne pouvez plus réagir aux articles suite à la soumission de contributions ne répondant pas à la charte de modération du Point.

0 / 2000

Voir les conditions d'utilisation

Commentaires (13)

  • L'inocent

    L'encouragement au suicide, d'autre, Hitler, par exemple l'on prôné. J'ai 78 ans, je ne pensai pas, voir un jour la France tombée aussi bas. Que reste-il à attendre de plus nauséabond que "suicidez-vous". Les peines que prévoient les lois, ne sont pas mises à exécution, ou très mollement. Je crois que le Président dans son allocution n'a pas trouvé les mots et surtout le timbre de voix qui finalement font mal aux tripes. Un De Gaulle aurait eu des propos plus sévères. Ce qui manque au Président c'est qu'in ne comprends pas l'énorme danger qui plane sur la France. Et pourtant les réseaux sociaux sont bien présents. Bien entendu on le sait, ce quarteron de gilets jaunes n'attend, et, c'est certain, que le mort, mais surtout qu'il soit de leur bord, pour en faire un martyre... Nous savons ce qu'il se passera par la suite.

  • MEF1

    Souvenez-vous des gardes républicains obligés de se mettre au garde à vous devant Joe Star invité par Julie Gayet à l’Elysee, imaginez ce qu’il se passe dans la tête des CRS obligés de subir les « suicidez vous » des extrémistes de gauche
    Ça va peter je vous le prédis.
    Le socialisme nous a tuer.

  • Aphroditechild

    Cela ne sert à rien de ressasser ces mots qui font tant de mal à des familles ayant perdu par ce biais là un des leurs que ce soit des policiers, des jeunes enfants harcelés, des pères ou des mères, etc. --. Pourquoi constamment en parler, maintenant il faut passer à un niveau supérieur : la Justice, par des sanctions lourdes de conséquences à toute personne qui profère ces mots outranciers, dépassant la limite du méprisable, conduisant à une cruauté humaine insupportable mais si condamnable.