Pénurie d’infirmiers spécialisés : les chirurgiens redoutent une «crise sanitaire»

Un décret de 2015, applicable le 1er juillet prochain, impose des infirmiers plus spécialisés dans les blocs opératoires. Mais ils ne sont que 5000 alors qu’il en faudrait 18500… De nombreux blocs risquent de fermer ou d’annuler des interventions.

 Les infirmiers spécialisés de bloc opératoire, les « Ibode », seront, à partir du 1er juillet, les seuls habilités à pratiquer trois actes essentiels d’assistance au chirurgien. Sans eux pas question d’opérer (Photo d’illustration).
Les infirmiers spécialisés de bloc opératoire, les « Ibode », seront, à partir du 1er juillet, les seuls habilités à pratiquer trois actes essentiels d’assistance au chirurgien. Sans eux pas question d’opérer (Photo d’illustration). LP/Olivier Lejeune

    « En l'état actuel et si rien n'est fait d'ici là, à partir du 1 er juillet prochain, les quatre blocs opératoires de mon établissement devront fermer pour ne pas se mettre dans l'illégalité ». Bernard Llagonne est chirurgien orthopédique à Épernay (Marne) et les quatre blocs où sont réalisées 6 000 interventions par an ne disposent pas d'i nfirmiers spécialisés de bloc opératoire, les fameux « Ibode », qui seront, à partir du 1 er juillet, les seuls habilités à pratiquer trois actes essentiels d'assistance au chirurgien : écarter, aspirer (le sang, les sérosités…) et électrocoaguler (pour cautériser).

    Trois actes jusque-là réalisés par tous types d'infirmières un tant soit peu spécialisées en chirurgie. Ce changement provient d'un décret de 2015 visant à professionnaliser davantage la fonction d'infirmière de bloc. Un texte « inapplicable en l'état », juge Philippe Cuq, président de l'Union des chirurgiens de France (UCDF) qui prédit « une crise sanitaire » dans deux mois.

    Une réforme déjà reportée deux fois. Le paragraphe critique de ce décret a déjà été reporté deux fois, dont une sur injonction du Conseil d'Etat qui a jugé le plan transitoire insuffisant pour permettre aux services de s'adapter.

    Risque d'annulation d'opérations. Un problème qui touche autant les établissements privés que publics.« On n'est bien moins impactés que le secteur privé car nous comptons beaucoup plus d'Ibode, explique Zaynab Riet, la déléguée générale de la Fédération hospitalière de France (FHF), qui défend les mille hôpitaux publics. Néanmoins, nous allons devoir réduire le nombre des opérations pour être en conformité avec le décret ». Il va donc être plus difficile d'obtenir un rendez-vous pour une opération de la hanche, du cœur, digestive… Mais « aucun service ne va fermer », rassure Zaynab Riet.

    Des fermetures de services en perspective? Pour le secteur libéral, où le chirurgien est directement responsable en cas de problème, il en va autrement. Car avec seulement 5 % d'Ibode dans les blocs, impossible d'être en règle dans deux mois. « Le marché des infirmières est en pénurie », explique Philippe Cuq. Le président de l'UCDF, qui représente 10 000 chirurgiens, est clair : « J'invite les chirurgiens qui ne pourraient pas travailler en toute légalité et sécurité à suspendre leur activité au 1er juillet. Car même si le ministère fermait les yeux, ils se mettraient juridiquement en danger ». Des baisses ou arrêts d'activité sont donc à prévoir dans les cliniques où sont réalisées 50 % des interventions chirurgicales. « Il est urgent de surseoir à la mise en œuvre de cette réglementation », insiste Lamine Gharbi, président de la Fédération de l'hospitalisation privée, FHP.

    Alerte des fédérations d'employeurs. En février dernier, les quatre grandes fédérations d'employeurs, dont la FHF et la FHP, ont écrit à la ministre de la Santé pour l'alerter. Car malgré les 4 ans écoulés depuis la publication du décret, et les 13 500 infirmières diplômées d'état (IDE) et seulement 5 000 Ibode travaillant au bloc, la France n'est pas prête à disposer des 18 500 infirmières pouvant réaliser les actes réservés. « Écoles saturées, jurys qui ne se sont pas réunis, critères différents d'une région à l'autre… : rien n'a bien fonctionné », résume Philippe Cuq.

    Réunion de la dernière chance. Le 27 mars, une réunion a – enfin — eu lieu au ministère de la Santé, qui a proposé d'accélérer la reconnaissance des acquis des IDE, en poste au bloc depuis parfois 20 ans. Mais les fédérations d'employeurs veulent des garanties : « des contreparties financières pour couvrir le coût de la formation des personnels et que les jurys se réunissent vite et souvent », rapporte Zaynab Riet. Une nouvelle réunion est prévue la semaine prochaine au ministère.