Benny Tai. Un Hongkongais démocrate face au pouvoir chinois
Benny Tai et Chan Kin-man, deux chefs de file du Mouvement des parapluies à Hong Kong en 2014, ont été condamnés mercredi 24 avril 2019 à 16 mois de prison, après avoir été reconnus coupables de conspiration en vue de commettre un trouble à l'ordre public.
« Il est possible que je doive aller en prison. Mais je n’ai pas peur », nous écrit Benny Tai. Professeur de droit à l’université de Hong Kong, il risque sept ans de détention. Fin 2018, cet homme de 54 ans a été jugé, avec huit autres prévenus, pour « conspiration pour troubles de l’ordre public », « incitation à troubler l’ordre public » et « incitation à inciter à troubler l’ordre public ».
Lorsque nous l’avions rencontré à Hong Kong il y a trois ans, Benny Tai ne se doutait pas qu’il allait, lui aussi, être puni pour sa participation, à l’automne 2014, au mouvement prodémocratie Occupy Central – appelé aussi « mouvement des parapluies ». Durant près de quatre-vingts jours, des étudiants et des citoyens avaient bloqué plusieurs places de l’une des villes les plus policées du monde. Ils protestaient contre une modification du mode d’élection du gouverneur de la ville qui visait à favoriser la désignation d’un candidat aux ordres de Pékin.
C’est Benny Tai qui est à l’origine, avec un pasteur de 75 ans, Chu Yiu-ming, et le sociologue Chan Kin-man, de ce mouvement de désobéissance civile. Il le lance dès 2013 en publiant un article dans le Hong Kong Economic Journal sur « la désobéissance civile, l’arme la plus mortelle qui soit ». Puis il organise, en compagnie d’associations, de partis politiques et de ses étudiants, des rassemblements délibératifs. Il leur propose de choisir entre une cinquantaine de propositions de réformes, de sélectionner trois d’entre elles et de les soumettre à un référendum civil. « Dans le cadre de la démocratie délibérative, nous devions avoir épuisé tous les moyens légaux avant de passer à la suite. Pékin a dit non, donc nous sommes passés à l’occupation », nous raconte Benny Tai, le visage rond et les yeux en mouvement perpétuel. L’objectif est de contraindre Pékin à tenir sa promesse d’organiser l’élection du gouverneur de la ville au suffrage universel pour 2017 : « Notre situation était très proche de celle de Martin Luther King. Le gouvernement [américain] refusait de parler avec les Noirs. Il a fallu lancer un mouvement pour le forcer à négocier. Nous ne cherchions pas à renverser le gouvernement mais à générer suffisamment de pression pour qu’il accepte de discuter. » Le mouvement d’occupation est lancé mais échappe à ses initiateurs. Après des attaques policières et de longues semaines de campement, « il est devenu impopulaire et minoritaire. Il a fallu évacuer ».
Pékin organise alors sa revanche. Les leaders étudiants sont arrêtés et jugés. Surtout, peu à peu, se met en place ce que Benny Tai appelle, dans un ouvrage paru en septembre 2018, un « état de droit autoritaire ». Sans supprimer la constitution locale, le Comité central chinois interprète à sa manière des lois hongkongaises, toujours dans le sens d’une restriction des libertés. Très habilement, par petites touches, le pouvoir construit, à Hong Kong, un système où « le maintien de l’ordre social [constitue] la fonction première de la loi », ce qui empêche de limiter le pouvoir du gouvernement « par la loi pour en prévenir l’exercice arbitraire ». La cité devient, selon Benny Tai, un laboratoire de limitation de l’état de droit par un système autoritaire. S’il fonctionne, c’est-à-dire si les Hongkongais restent passifs face à cette rouille des libertés, Pékin pourrait être tenté de l’appliquer ailleurs. Le professeur de droit sait que son procès participe de ce dispositif d’ensemble : « Le gouvernement chinois veut faire taire toute forme d’opposition à Hong Kong. Les charges retenues [contre moi et mes collègues] sont excessives. Elles étendent de manière déraisonnable l’idée de culpabilité et vont générer un effet dissuasif dans la société. Des discours légitimes deviennent punissables. » Benny Tai se prépare donc à la prison et assure : « Je ne renoncerai pas à lutter pour la démocratie à Hong Kong. » Le 9 avril, il saura s’il reste professeur de droit ou si son destin se rapprochera encore un peu plus de celui de son modèle, Martin Luther King, dont il aime citer une maxime : « C’est seulement quand il fait assez sombre que l’on peut voir les étoiles. »
Carte d’identité
Date de naissance : 1964.
Profession : professeur de droit à l’université.
Particularité : il lance un mouvement de désobéissance civile qui deviendra le « mouvement des parapluies », soit l’occupation de plusieurs places de Hong Kong à l’automne 2014 pour protester contre l’étouffement de la démocratie locale par Pékin.
Actualité : après un procès fin 2018, il attend son verdict le 9 avril. Il risque sept ans d’emprisonnement.
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