Les bouquinistes parisiens, plus de quatre siècles de tradition

Candidats officiels au classement au patrimoine mondial de l’Unesco, les bouquinistes des quais de la capitale existent depuis la fin du XVIe siècle.

 D’abord posées à même le sol, les boîtes vertes se hissent progressivement sur les parapets au 19e siècle, et leurs propriétaires obtiennent le droit de laisser la marchandise en place nuit et jour en 1891.
D’abord posées à même le sol, les boîtes vertes se hissent progressivement sur les parapets au 19e siècle, et leurs propriétaires obtiennent le droit de laisser la marchandise en place nuit et jour en 1891. LP/Élodie Soulié

    Bouquiniste, le dernier petit métier de rue de la capitale ? Ceux des quais se sont développés dès la fin du XVIe siècle, héritiers des colporteurs et des « estaleurs » (NDLR : des libraires qui n'avaient pas les moyens de tenir boutique et étalaient les livres à même le sol), installés sur les quais des Ier, IVe, Ve, VIe et VIIe arrondissements.

    « Leur essor remonte surtout à l'apparition du livre imprimé, et leurs pratiques ont évolué avec les modifications de l'environnement urbain », raconte Jérôme Callais, bouquiniste depuis 27 ans, qui s'est plongé dans l'histoire de sa passion et s'efforce d'en corriger les fantaisies, lues ici et là dans les guides, et même des livres d'histoire.

    « La construction du Pont Neuf en 1606, le premier pont large et non couvert de bâtisses, a contribué à cet essor, et le développement progressif d'un marché du livre imprimé d'occasion a profité de la multiplication des quais maçonnés à partir de la fin du XVIIIe siècle. » Périmètres élargis, nouveaux emplacements de vente, les boîtes portatives posées à même le sol du commerce initial s'alignent progressivement sur les parapets.

    Haussmann a voulu les faire déménager

    Vingt à soixante libraires côtoient alors les autres métiers de rue, et la Ville accorde aux bouquinistes l'autorisation de laisser les livres sur le lieu de vente, jour et nuit, tout au long de l'année, en 1891. Les vendeurs de « boucquains », un terme apparu au XVe siècle pour désigner « les vieux livres dont on fait peu de cas », étaient entre-temps devenus officiellement des « bouquinistes », avec un statut défini par l'administration.

    En 1866, ils échappent de peu à un déménagement forcé des rives de la Seine, demandé par le baron Haussmann, qui leur proposait de se regrouper sous des halles d'un marché aux volailles. L'intervention d'un érudit auprès de Napoléon III sauvera les bouquinistes des quais.

    Jusqu'à la Seconde Guerre mondiale, chaque bouquiniste pouvait exploiter 10 m de quais, soit l'équivalent de cinq boîtes, mais un décret du préfet de la Seine du 27 janvier 1943 rogne 2 m aux concessions, soit la longueur d'une boîte. La surface n'a plus changé depuis.

    COMMENT EST ENCADRÉE LA PROFESSION ?

    L'activité des bouquinistes - qui dépend de la sous-direction du développement économique du Bureau du commerce et tourisme de la mairie de Paris - est régie par un règlement de l'Hôtel de Ville. Celui-ci prévoit différentes dispositions qui ne sont pas forcément connues du public.

    Des attributions pour un an. Les 237 emplacements et l'autorisation de stationnement sur les quais sont attribués pour un an, renouvelés chaque année par tacite reconduction. Les emplacements vacants sont attribués par la Maire de Paris après avis consultatif d'un Comité de sélection.

    Une présence minimum obligatoire. Le titulaire doit occuper son emplacement en personne au moins trois jours par semaine, sauf… en cas d'intempéries. Il peut se faire remplacer les autres jours, par un proche ou un salarié (un « ouvre-boîte »), qui doit être agréé par la Ville.

    Des dimensions strictes. Les boîtes répondent à des normes non négociables : boîte fermée et couvercle incliné compris, le modèle agréé fait 2 m de long, 0,75 m de large, 0,6 m de hauteur côté Seine, 0,35 m côté quai. L'ensemble ne doit pas excéder 8,60 m de long. Ni les boîtes ni leurs abords ne doivent porter aucune publicité, et leur peinture « vert wagon » doit être refaite lorsque nécessaire.

    Quelle marchandise ? Vieux livres, d'occasions, vieux papiers, gravures anciennes, illustrations des quais de Paris, livres neufs d'éditeurs indépendants, sont autorisés à la vente. Accessoirement et « à l'intérieur d'une seule boîte », la vente de monnaies, médailles, timbres, cartes postales et autres souvenirs de Paris est tolérée. Mais ni friperie ni objet « ne présentant aucun intérêt artistique »… ni livres, gravures et autres images « contraires aux bonnes mœurs ou à l'ordre public » ne doivent s'y trouver.