Le 27 avril 1969 : quand la Bretagne a dit « oui » au président de Gaulle

« De Gaulle s’en va » titre sobrement La Liberté du Morbihan du 29 avril 1969. Réagissant à la récente démission du président de la République le 28 avril, le quotidien breton estime que c’est une « page de l’Histoire [qui] vient d’être tournée ». En effet, deux jours auparavant, le 27 avril, Charles de Gaulle essuie un sérieux désaveu de la part de la population. Les électeurs refusent à 52,87% le projet de loi relatif à la création de régions et à la rénovation du Sénat, lors d’un référendum ayant pris des allures de plébiscite.

A l'Elysée, le 22 janvier 1969, Charles de Gaulle s'entretient avec M. Cardinal, vice-président des ministres du Quebec et ministre de l'éducation. Collection partiuclière.

Comme en Alsace, le « oui » l’emporte largement en Bretagne avec 56,82% des suffrages exprimés soit 61,29% dans le Morbihan, 58,89% en Ille-et-Vilaine, 57,05% dans le Finistère, où il prononce un discours mémorable, et 52,64% en Loire-Inférieure1. Seul le département des Côtes-du-Nord vote timidement « non », à 50,72%. Au quatrième rang des départements français, le Morbihan se distingue donc par un soutien qui prend des allures de raz-de-marée : 227 des 263 communes du département accordent leur confiance au chef de l’Etat. Pourtant, comme le remarque La Liberté du Morbihan du 30 avril, ce véritable plébiscite ne doit pas masquer l’érosion progressive de la popularité de l’illustre chef de la France libre :

« Néanmoins, ce vote gaulliste, encore très largement positif, est plus faible que les scrutins antérieurs de résonnances similaires : au référendum du 28 octobre 1962 sur l’élection du président de la République au suffrage universel, le Morbihan avait voté oui à 79,20% ; l’élection présidentielle du 19 décembre 1965 lui avait donné 66%, en remontée sensible sur le premier tour du 7 décembre avec 53,16%. »

D’une certaine manière, le désaveu de 1969 s’inscrit dans la continuité des évènements intervenus un an plus tôt. Ainsi, en mai 1968, même les campagnes morbihannaises s’agitaient pour contester le prix de lait et du porc. L’inscription portée par un cochon malade trouvé à Locminé, dans la nuit du 23 au 24, résume bien la colère des agriculteurs à l’égard du Gouvernement : « Comme la Bretagne, je suis malade, Comme elle, c’est à cause des partis, comme moi, mon patron mourra ».

Bien entendu, en France, les réactions se multiplient dès l’annonce des résultats du referendum d’avril 1969. Elles sont parfaitement résumées dans La Liberté du Morbihan du 29 avril :

« Dans le camp des oui, tristesse et consternation règnent évidemment. Mais on a aussi l’espoir que tout n’est pas consommé. Dans celui du non, on se félicite bien entendu des résultats d’un référendum que beaucoup dénonçaient comme un plébiscite. »

Toutefois, le journal breton tient à modérer le désaveu du désormais ancien Président en précisant qu’en « France comme à l’étranger, rares sont ceux qui applaudissent à l’éloignement de l’homme du 18 juin ». Au contraire, un journaliste du même quotidien ajoute, le lendemain, qu’à l’étranger, « la surprise et l’étonnement atteignent même une dimension mondiale peu commune ». Au-delà du retrait d’une figure charismatique de la scène internationale, c’est peut-être davantage la soudaine démission du chef de l’une des plus grandes puissances qui inquiète. Du point de vue géopolitique, le départ de Charles de Gaulle pose en effet de nombreuses interrogations : le franc va-t-il se maintenir ? Comment va évoluer le dégel des relations avec Moscou ou encore avec Pékin ? Mais la principale inquiétude vient des « capitales arabes où l’on faisait confiance au général de Gaulle […] pour mettre fin au conflit israélo-arabe ».

2 janvier 1969 : le Président de la République Charles de Gaulle reçoit les vœux du corps diplomatique et notamment de l’ambassadeur du Liban, à droite sur la photo. Collection particulière.

Bien plus que la démission d’un président de la République, la démission de Charles de Gaulle sonne la fin d’une ère pour une grande partie de la population. Mais elle marque également le début d’une autre pour de nombreux Bretons.

Yves-Marie EVANNO

 

1 Signalons que, symboliquement, Charles de Gaulle trouve un ultime soutien dans le Finistère, sur l’île de Sein où « tous les hommes valides de l’île avaient en 1940, répondus à l’appel du général de Gaulle ». Il remporte alors 465 « oui » contre seulement 24 « non ».