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Pourquoi il faut lire Alaa El Aswany

L’écrivain égyptien est poursuivi par la justice militaire de son pays pour «injures au président»

Alaa El Aswany est désormais interdit de publication en Egypte et dans la plupart des pays arabophones hormis le Liban, le Maroc et la Tunisie. — © DR
Alaa El Aswany est désormais interdit de publication en Egypte et dans la plupart des pays arabophones hormis le Liban, le Maroc et la Tunisie. — © DR

La nouvelle est tombée le 18 mars: Alaa El Aswany, l’auteur de L’immeuble Yacoubian (Actes Sud, 2006), roman qui a fait le tour du monde pour son portrait au scalpel de la société égyptienne des années 1990, militant démocrate, longtemps éditorialiste dans plusieurs grands journaux égyptiens qui terminait chacun de ses articles par «La démocratie est la solution», Alaa El Aswany donc est poursuivi aujourd’hui par la justice militaire égyptienne pour «insultes envers le président, les forces armées et les institutions judiciaires». Dans le collimateur de la dictature du général Al-Sissi, le dernier roman de l’écrivain, J’ai couru vers le Nil, paru en traduction française en septembre 2018.

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C’est la révolution de 2011, comme l’appellent les Egyptiens, ce Printemps arabe qui a gagné la jeunesse du Caire et fait tomber le président Moubarak, qui est raconté ici. Roman choral, genre de prédilection de l’écrivain, J’ai couru vers le Nil raconte le mouvement libératoire et ses grandes espérances puis la répression qui s’est abattue sur les Egyptiens.

Alaa El Aswany le fait par des portraits croisés de personnages tirés des rues du Caire et des couloirs du pouvoir. Comme dans son premier succès, puis dans Chicago et Automobile Club d’Egypte, on retrouve ici ces tartuffes à la solde du pouvoir qui plastronnent sous le masque de la bondieuserie. Mais dans J’ai couru vers le Nil, Alaa El Aswany a tenu aussi, lui qui a été un héraut très écouté par les manifestants sur la place Tahrir, à traduire ce souffle d’espoir qui a porté toutes les générations de Cairotes dans la rue en 2011. Sans concession, il raconte la violence de l’armée pour faire cesser la contestation.

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Nous l’avions rencontré au Caire, en 2008 puis en 2011. On se souvient encore de la joie dans sa voix tandis que les rues du Caire étaient en effervescence, «je me rends compte, jusque dans mon corps, de ce que le mot «peuple» veut dire et de la force que ce mot contient». C’était au début du mouvement. Tous les jeudis soir, dans le centre-ville, il donnait une conférence qui réunissait un public ardent, très jeune.

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L'influence des livres

Toléré par le régime Moubarak, longtemps protégé par son aura d’écrivain au rayonnement international, Alaa El Aswany est aujourd’hui interdit de publication mais aussi d’antenne, à la radio ou à la télévision. Son fameux séminaire du jeudi soir n’est plus autorisé non plus. Dans une interview à France Culture, tout récemment, il raconte: «J’ai pu demander à un membre des autorités ce qui justifiait ces entraves. Il m’a répondu: «On a compris que vos livres avaient une réelle influence sur la population.» J’ai reçu une vingtaine de prix littéraires. Mais je dois dire que ces mots-là constituent de loin, la plus belle de toutes les récompenses.»

Alaa El Aswany, «J’ai couru vers le Nil», Actes Sud