Quand De Gaulle invitait pour la première fois la presse à l’Elysée

Le 25 mars 1959, 500 reporters sont convoqués à l’Elysée pour assister à une conférence de presse du général, fraîchement élu à la tête de l’Etat. La première d’une longue série organisée dans ces murs.

 Le 25 mars 1959, c’est la première fois que les journalistes sont invités – ou plutôt convoqués — à la présidence de la République.
Le 25 mars 1959, c’est la première fois que les journalistes sont invités – ou plutôt convoqués — à la présidence de la République. Keystone France

    C'était sa première conférence de presse organisée à l'Elysée. Jeudi, Emmanuel Macron a multiplié les annonces fiscales et institutionnelles avant de répondre aux questions des journalistes, qui étaient plus de 300 dans la salle. Ce rendez-vous, qui avait initialement été programmé la semaine précédente, a été reporté du fait de l' incendie de Notre-Dame. Un exercice qualifié de gaullien, qui rappelle la première conférence de presse du général fraîchement élu à l'Elysée en 1959.

    Le rideau se referme derrière le personnage principal, qui vient d'arriver sur scène. Les 500 spectateurs, qui s'étaient levés comme un seul homme, se rassoient. Le spectacle peut commencer. Quelques semaines plus tôt, c'est « La Poudre aux yeux » qui avait été jouée ici même par la troupe de la Comédie française. Et cette fois-ci, Dom Juan ? Les fourberies de Scapin ? Non, plutôt… « De Gaulle en son Palais » ! Ce 25 mars 1959, le général, élu président trois mois plus tôt, donne sa première conférence de presse à l'Elysée.

    Il y a foule dans la salle des fêtes. C'est la première fois que les journalistes sont invités – ou plutôt convoqués — à la présidence de la République. De Gaulle use du « Mesdames et Messieurs », même si de très rares têtes féminines peinent à émerger dans cette assemblée en costume cravate. C'est parti pour 53 minutes de show. « Depuis trois quarts de siècle, l'Elysée était le temple de la République, un lieu sacré réservé à la méditation et à l'apparat. On n'y parlait qu'à voix basse, de peur sans doute de réveiller des souvenirs », rappelle un reporter de Paris Match, qui ne cache pas son enthousiasme.

    De Gaulle est assis derrière un petit pupitre, sur lequel ne reposent qu'un double micro à fil et quelques feuilles de notes, qu'il regarde à peine. Pas de prompteur en face du général, qui semble réciter par cœur, vingt minutes durant, son propos liminaire sur l'Allemagne et l'Europe.

    Michel Debré, assis à droite en contrebas, pourrait jouer le rôle du souffleur. Mais le Premier ministre ne moufte pas, les bras croisés, comme l'ensemble du gouvernement à ses côtés. « C'est l'autobus », raille-t-on à voix basse parmi les journalistes. Les caméras de la RTF (Radiodiffusion-télévision-française) surprennent juste certains ministres levant les yeux vers les tapisseries et les fresques qui ornent les murs, comme s'ils trouvaient déjà le temps long.

    Des questions loin d'être coriaces

    Lorsque De Gaulle consent à finir son monologue – « Je me livre à vous, dans la mesure où je le pourrais, aux questions que vous voudrez me poser sur des points particuliers » –, un léger brouhaha parcourt la salle. Qui sera le premier à oser prendre la parole ? Un homme se lève, filmé tant bien que mal par les caméras instables. « Mon général », débute l'audacieux, avant de lui demander son jugement sur « la situation en Algérie ». « Le destin de l'Algérie sera une œuvre de longue haleine », répond De Gaulle, usant par anaphore d'un « Je crois et je dis ».

    Les questions sont loin d'être très coriaces. « Je m'excuse de vous ramener à des problèmes intérieurs et bassement matériels », lâche ainsi un reporter, craignant peut-être de subir les foudres du ministre de l'information Roger Frey, assis au dernier rang du bloc gouvernemental.

    Enhardi, le même poursuit, bravache mais prudent : « Nombre de Français sont aujourd'hui mécontents, leur déception s'est peut-être exprimée dans certains résultats des élections municipales ». Deux semaines plus tôt, les gaullistes avaient certes maintenu leurs positions, mais on était loin du raz de marée des législatives de novembre 1958. La foule de reporters se permet un léger ricanement lorsque le général répond en préambule : « Je ne me mêle absolument pas de la conjoncture électorale ».

    Heureux d'avoir vu les journalistes

    C'est bien là leur seule petite incartade au rôle que l'Elysée a bien voulu leur allouer. « Les journalistes, saisis d'une sorte de crainte révérencielle, ne posèrent pas beaucoup de questions », constate le reporter de Paris Match le lendemain. Sur la situation économique du pays, De Gaulle « a tendance à retenir les heureuses perspectives plus que les sacrifices immédiats », tacle l'éditorialiste du Parisien libéré.

    En repartant derrière le rideau, le chef de l'Etat lâche aux journalistes se sentir « heureux » de les avoir vus. Ces derniers traîneront encore une quinzaine de minutes, comme pour faire durer le plaisir. Ils s'autorisent enfin à bavarder. Seuls quatre, dont un Anglais, avaient pris la parole.

    « La télévision est à moi »

    Deux fois par an en moyenne ! Durant ses années à la tête de l'Etat, De Gaulle a régulièrement convoqué les journalistes pour des conférences de presse filmées par la RTF puis par l'ORTF, et retransmises en direct. Le général avait d'ailleurs justifié le procédé auprès de son ministre de l'information : « La presse est contre moi, la télévision est à moi ! » Même avant d'accéder à l'Elysée, il raffolait de cet exercice, où le politologue Raymond Aron décelait (dans un éditorial énamouré du Figaro) une « œuvre d'art ».

    Le 19 mai 1958, en pleine crise algérienne et alors que certains le soupçonnaient de vouloir mettre en cause des libertés publiques, il avait prononcé devant la presse, au quai d'Orsay, cette phrase restée célèbre : « Croit-on qu'à 67 ans, je vais commencer une carrière de dictateur ? »

    Trois conférences de presse célèbres

    Humour noir. De Gaulle en a souvent usé pour réponse à une question délicate, comme ce 4 février 1965. Interrogé sur le risque de faire un mandat de trop au vu de sa santé déclinante, le chef de l'Etat rétorque : « Je ne vais pas mal, mais rassurez-vous, un jour, je ne manquerai pas de mourir ». Succès garanti, au vu des rires des journalistes, qui ne le relanceront pas sur ce sujet.

    Volapük européen. Pour défendre sa vision d'une Europe des Etats, le général de Gaulle lâche le 15 mai 1962 : « Dante, Goethe, Chateaubriand, appartiennent à toute l'Europe dans la mesure où ils étaient respectivement et éminemment Italien, Allemand et Français. Ils n'auraient pas beaucoup servi l'Europe s'ils avaient été des apatrides et s'ils avaient pensé, écrit en quelque espéranto ou volapük intégrés ! »

    Gaffe diplomatique. Les Juifs, « un peuple d'élite, sûr de lui-même et dominateur » ? Cette petite phrase de Charles de Gaulle le 27 novembre 1967 n'a pas manqué de faire polémique. L'ancien Premier ministre israélien David Ben Gourion lui écrira pour regretter « des expressions surprenantes, dures et blessantes ».