Publicité

La Liste de Schindler: histoire d'un film aux multiples facettes

Pour incarner Oskar Schindler, Steven Spielberg parie sur un acteur à l'époque méconnu: Liam Neeson. À ses côtés, Ben Kingsley dans le rôle du comptable Itzhak Stern Rue des Archives/Rue des Archives/RDA

À l'occasion des vingt-cinq ans du film de Steven Spielberg, le site généalogique Geneanet a publié la liste d'Oskar Schindler répertoriant les noms des juifs qu'il a sauvés pendant la Seconde Guerre mondiale. Le drame du cinéaste est de retour au cinéma en version restaurée. Retour sur une œuvre exceptionnelle mais controversée.

En 1994, Steven Spielberg croule sous les récompenses pour La Liste de Schindler. Il est le grand vainqueur du British Acamedy Film Awards, des Oscars et des Golden Globes, et repart avec pas moins de dix-sept prix ceux pour chaque cérémonie, du meilleur film et du meilleur réalisateur. Vingt-cinq ans plus tard, le drame sur l'Holocauste revient dans les salles de cinéma. À cette occasion, le site de généalogie Geneanet offre la possibilité de parcourir l'une des quatre listes d'Oskar Schindler, répertoriant une partie des noms des juifs sauvées par l'industriel allemand. Datant du 18 avril 1945, le document de 14 pages a été vendu sur Ebay en 2013. Les autres exemplaires se trouvent au mémorial de l'Holocauste à Washington et au mémorial de Yad Vashem à Jérusalem.

Liam Neeson offre une de ses plus belles prestations cinématographiques dans son rôle d'Oskar Schindler. Rue des Archives/Rue des Archives/RDA

Le film du cinéaste américain raconte l'histoire d'Oskar Schindler, un industriel allemand et membre du Parti nazi, qui a sauvé entre 1.200 et 1.300 juifs des camps de la mort, les employant dans ses usines. D'un premier abord, ce personnage paraît profiter de la guerre pour faire travailler une main-d'œuvre bon marché. Le film révèle le contraire. Alors que «ses juifs» comme il les appelle, sont transférés dans des camps d'Auschwitz-Birkenau, il dilapide sa fortune en pots-de-vin pour «acheter» ses ouvriers. Avec l'aide d'un comptable, il dresse une liste comportant les noms de ceux qu'il s'efforce de sauver.

L'histoire d'Oskar Schindler a été révélée au grand public à travers l'ouvrage de l'australien Thomas Keneally. Dans une boutique d'articles de voyages aux États-Unis, l'auteur a rencontré Leopold Poldek Pfefferberg (connu sous le nom de Leopold Page), un survivant polonais de la Shoah. Devenu marchand, l'expatrié lui raconte comme il a échappé aux chambres à gaz avec l'aide d'Oskar Schindler. Grâce à de nombreux documents d'archives que lui fournit le rescapé, l'auteur publie en 1982 La Liste de Schindler et obtient le Booker Prize.

Réputé dès les années 1980 pour ses blockbusters (Les Dents de la mer, Les Aventuriers de l'arche perdue, E.T...), Steven Spielberg avait l'intention de tourner un film sur la Shoah quand il découvre le livre de Thomas Keneally. Le cinéaste américain désire d'abord confier la réalisation du film à Roman Polanski, ne se sentant «pas prêt émotionnellement» à le faire lui-même. Le réalisateur franco-polonais refuse ; sa mère a été tuée à Auschwitz et il est lui-même un rescapé du ghetto de Cracovie en Pologne. Martin Scorsese décline le projet à son tour, affirmant que seul un cinéaste juif peut réaliser ce film.

Près de dix ans plus tard, Steven Spielberg prend le projet à bras-le-corps. Alors que Jurassik Park est en phase de finalisation à Los Angeles, le réalisateur installe ses décors dans une carrière où est reconstitué un camp de travail forcé à Croavie (Pologne) pour commencer le tournage. «S'il est impossible de raconter l'Holocauste, c'eût été un péché de ne pas essayer», déclare le cinéaste à la sortie du film en décembre 1993. Le budget du tournage s'élève à 23 millions de dollars. 30.000 figurants sont mobilisés. 18.000 costumes sont préparés. Pour incarner Oskar Schindler, Steven Spielberg parie sur un acteur à l'époque méconnu: Liam Neeson. À ses côtés, Ralph Fiennes, remarquable dans la peau du tortionnaire nazi Amon Göth, et Ben Kingsley dans le rôle du comptable Itzhak Stern. Une partie des soldats SS sont joués par des descendants de nazis.

Ralph Fiennes a pris dix kilos pour ressembler le plus possible à son personnage. Aussi impitoyable que sadique, l'officier SS Amon Göth était surnommé le «boucher d'Hitler» et a commandé le camp de concentration de Plaszow, près de Cracovie. Rue des Archives/Imago/Rue des Archives

Le succès est énorme. La Liste de Schindler est projeté dans le monde entier pendant trente-cinq semaines et rapporte 321 millions de dollars. «L'argent du sang», selon Spielberg, qui refusera de toucher son salaire. Les critiques sont quasi unanimes et félicitent le réalisateur qui est parvenu à perpétuer la mémoire de la Shoah à travers un film qui rencontre un public immense. Aux États-Unis, le président Bill Clinton souhaite que le film soit diffusé dans les écoles. En France, 2,6 millions de spectateurs ont répondu à l'appel dans les salles. Le 23 février 1997, pour sa première diffusion à la télévision américain, l'audience s'élève à 65 millions de téléspectateurs.

« L'Holocauste n'a pas besoin d'être dramatisé, il est un drame en soi et cela nous suffit. Tout traitement artistique de l'Holocauste est ainsi condamné à l'échec »

Tom Segev, historien israélien

Mais le film n'est pas au goût de tout le monde. En 1994, Claude Lanzmann, réalisateur de La Shoah, accuse Steven Spielberg de «trivialiser» et de réduire l'extermination massive des juifs, en la représentant dans une fiction et en se concentrant sur «seulement» un millier de déportés. «Spielberg ne peut pas raconter l'histoire de Schindler sans dire aussi ce qu'a été l'Holocauste ; et comment peut-il dire ce qu'a été l'Holocauste en racontant l'histoire d'un Allemand qui a sauvé 1300 juifs, puisque la majorité écrasante des juifs n'a pas été sauvée?», s'indigne-t-il dans Le Monde.

Il dénonce aussi le manque de nuances dans certaines séquences qu'il considère comme «ambiguës» et «dangereuses», comme la scène finale au mémorial de Yad Vashem en Israël, où les juifs sauvés par Oskar Schindler, déposent une pierre sur sa dalle de «Juste parmi les nations». «Ces six millions ne sont pas morts pour qu'Israël existe, conclut Lanzmann. La dernière image de Shoah, ce n'est pas ça. C'est un train qui roule, interminablement. Pour dire que l'Holocauste n'a pas de fin.»

Dans Libération, Gérard Lefort critique la scène de la douche où des femmes entrent nues dans une salle qui ressemble à une chambre à gaz. «Caméra à l'épaule, on les suit, au corps à corps, on y entre avec elles. Et c'est une épouvante car, spectateur malgré tout, on a sur ces femmes une longueur historique d'avance, un avantage effroyable: on sait très bien ce qu'elles ignorent, on sait que par les pommeaux de ces douches, c'était le gaz Zyklon B qui coulait. Et puis non: c'est bel et bien de l'eau qui jaillit et asperge les corps nus des femmes…Comment ne pas lui en vouloir d'avoir ainsi joué avec l'injouable, d'avoir osé le suspense sur un sujet pareil?», s'interroge-t-il. Dans Le Figaro, l'historien israélien Tom Segev soutient que «l'Holocauste n'a pas besoin d'être dramatisé, il est un drame en soi et cela nous suffit». Tout traitement artistique de l'Holocauste est ainsi condamné à l'échec. En dehors du documentaire, je ne vois pas ce qui peut être utile et juste», estime-t-il. La reprogrammation en salle, vingt-cinq ans après sa sortie, de La Liste de Schindler, permettra à tous ceux qui n'ont pas encore vu cette œuvre exceptionnelle de se faire leur propre idée. Et de ne pas oublier.

La Liste de Schindler: histoire d'un film aux multiples facettes

S'ABONNER
Partager

Partager via :

Plus d'options

S'abonner
10 commentaires
  • O garimpeiro

    le

    Tous ces journalistes-intellos qui critiquent la "Liste de Schindler" sont tous simplement des aigris et des jaloux car ils n'ont pas osé, ou voulu ou ne se sont pas sentis capables d'aborder un tel sujet et de réaliser un tel chef-d'oeuvre. Bien évidemment, ainsi que l'indique Stephen Spielberg, «S'il est impossible de raconter l'Holocauste, c'eût été un péché de ne pas essayer», et ce n'est pas des productions comme le film-fleuve de Claude Lanzmann, souvent lassant, oui, lassant, qui ont pu transmettre les émotions de ceux qui ont découvert les camps de concentration, ses charniers, mais aussi ses squelettes ambulants qu'étaient les survivants.
    Le seul autre film qui me semble pouvoir transmettre l'ambiance et l'émotion de cette époque est "Au nom de tous les miens" Réalisé par Robert Enrico, d'après un roman de Martin Gray. Curieusement, à ma connaissance aucune réédition de ce film n'a été réalisée ...
    Pour finir, discuter ne sert à rien. seuls les faits comptent : "la liste de Schindler" a été classée parmi les 10 meilleurs films de tous les temps !

À lire aussi