Gaston Bachelard ou l’art de penser « contre son cerveau »

Portrait de Gaston Bachelard, photographié chez lui à Paris, le 06 novembre 1961. ©AFP
Portrait de Gaston Bachelard, photographié chez lui à Paris, le 06 novembre 1961. ©AFP
Portrait de Gaston Bachelard, photographié chez lui à Paris, le 06 novembre 1961. ©AFP
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« Penser contre le cerveau », qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire ? Selon, le philosophe des sciences Gaston Bachelard, cela signifie essentiellement qu'il faut adopter une conception ouverte - c'est-à-dire inquiète - de la raison.

Avec
  • Vincent Bontems Philosophe des sciences et des techniques, chercheur au CEA (commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives)
  • Charles Alunni Philosophe

Gaston Bachelard fut un grand philosophe des sciences en même temps qu’une figure exemplaire, au propre comme au figuré. Au sens propre, car Bachelard, c’était d’abord une tête, je dirais même une « tronche ». Il avait une barbe qu’on pourrait qualifier de « fluviale », et il apparaît sur les photos comme une figure paterne, bonhomme et généreuse. Voilà un philosophe qui connaissait non seulement tous les classiques, mais aussi l’art de découper le jambon, compétence dont vous conviendrez avec moi qu’elle ne se transmet plus guère.

Bachelard fut également une figure exemplaire au sens figuré du terme, car son parcours est symbolique d’un certain type de destin : boursier d’origine modeste, il a gravi tous les échelons ; de surnuméraire des Postes et Télégraphes à Remiremont qu’il était en 1903, il est parvenu à occuper la chaire d’histoire et de philosophie des sciences de la Sorbonne trente-sept ans plus tard, en 1940, treize ans après avoir soutenu sa thèse de philosophie à l’âge de quarante-trois ans… Bachelard a donc pris le temps de mûrir son œuvre, ce qui explique sans doute sa puissance et sa prolixité. Il y réalise en particulier une sorte de psychanalyse de la connaissance en montrant que des soubassements inconscients nous conduisent à mal interpréter certains faits. Selon lui, il existe des « obstacles épistémologiques » qui viennent prendre place entre notre désir de connaître et les objets que nous nous désirons connaitre. Ces obstacles, nous dit-il, il faut apprendre à les contourner, à les déjouer, ce qui suppose d’adopter une conception ouverte - c’est-à-dire inquiète - de la raison.

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Ce qui le conduit à écrire, dans La Formation de l’esprit scientifique :

« La pensée scientifique moderne réclame qu’on résiste à la première réflexion. C’est donc tout l’usage du cerveau qui est mis en question. Désormais le cerveau n’est plus absolument l’instrument adéquat de la pensée scientifique, autant dire que le cerveau est l’obstacle à la pensée scientifique. Il faut penser contre le cerveau ».

Mais « penser contre le cerveau », qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire ? N’est-ce pas une expression paradoxale dans la mesure où c’est toujours avec son cerveau qu’on pense ?

Nos invités

Vincent Bontems, philosophe, a dirigé l'ouvrage collectif intitulé   Bachelard et l’avenir de la culture (Presses des Mines, 2018).

Charles Alunni, philosophe, auteur de Spectres de Bachelard (Hermann, 2019)

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