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La RDC, deuxième front de la déforestation mondiale

A la différence du Brésil qui a su mener des politiques ambitieuses de lutte contre la déforestation, l’application des lois constitue le grand point faible dans cet Etat aussi vaste que l’Europe occidentale.

Par Laurence Caramel

Publié le 27 avril 2019 à 09h00, modifié le 06 mai 2019 à 10h00

Temps de Lecture 5 min.

Un groupe de bonobos dans le sanctuaire Lola Ya Bonobo, situé dans la périphérie de Kinshasa (RDC), le 2 mars.

L’élection de Félix Tshisekedi augure-t-elle de jours meilleurs pour la protection des forêts de République démocratique du Congo (RDC) ? Le nouveau président s’est jusqu’à présent montré peu prolixe sur le sujet. Sa seule intervention lors de la réunion du One Planet Summit le mois dernier, à Nairobi, a été perçue par les plus indulgents comme une occasion manquée. Les plus sévères ont jugé la prestation ratée, révélatrice d’un homme indifférent aux enjeux écologiques.

Les données mondiales publiées jeudi 24 avril par Global Forest Watch, le projet d’observation par satellites conduit par l’université du Maryland (Etats-Unis) montrent pourtant que le pays, qui abrite près de la moitié de la forêt africaine, continue à perdre ce capital de biodiversité à un rythme croissant depuis le début du siècle. En 2018, la RDC a enregistré une réduction de la superficie de ses forêts primaires de 481 000 hectares, confirmant son deuxième rang derrière le Brésil et devant l’Indonésie parmi les pays les plus affectés par le recul des écosystèmes arborés. En quinze ans, la RDC a perdu 6 % de son couvert forestier.

A la différence du Brésil qui, jusqu’à une date récente, a démontré sa volonté de mener des politiques ambitieuses de lutte contre la déforestation, l’application des lois constitue le grand point faible dans cet Etat aussi vaste que l’Europe occidentale. Si l’agriculture paysanne et l’utilisation massive du charbon de bois constituent les principales causes de la déforestation, c’est autour du secteur opaque de l’exploitation forestière que se focalisent les projecteurs des défenseurs de l’environnement.

Il n’est pas nécessaire de se rendre dans les régions les plus reculées de cet immense territoire pour traquer les entorses à la législation. M. Tshisekedi a trouvé sur le bureau de la présidence au moins deux dossiers qui illustrent les mauvaises pratiques au sommet de l’Etat ou les transgressions des engagements internationaux de la RDC. Ils auront valeur de test pour évaluer la volonté du nouveau président de protéger la deuxième forêt tropicale du globe et les espèces de faune et de flore endémiques qu’elle abrite.

36 700 km2 pour un général

Le premier concerne le commerce illicite de concessions forestières industrielles. Il a connu son dernier rebondissement le 15 avril avec les révélations de l’ONG Global Witness, impliquant parmi les bénéficiaires un des plus haut gradé de l’armée, le général Gabriel Amisi – aussi connu sous le nom de Tango Four et ayant fait l’objet de sanctions de la part de l’Union européenne et des Etats-Unis pour des violations des droits de l’homme dans la répression de manifestations.

En moins d’un an, le général, qui par l’intermédiaire de ses avocats dément les accusations pourtant étayées de Global Witness, aurait acquis via sa société familiale Maniema Union 2 –depuis revendue à l’opérateur chinois Wan Peng International – une superficie de 36 700 km2, comparable à celle des Pays-Bas et équivalente à près d’un quart des exploitations forestières industrielles en RDC. Une telle transaction n’aurait pas été possible sans l’implication de l’ancien ministre de l’environnement, Amy Ambatobe, qui a quitté son poste en février après avoir été élu député du Sud-Kivu.

Or, en vertu du moratoire adopté au sortir de la guerre en 2002 pour protéger les forêts de RDC du pillage, toute attribution de nouvelle concession ou réattribution de titres est interdite. Ce moratoire a été renforcé par un décret présidentiel en 2005. Les exploitants industriels ont dû en outre s’engager à adopter des plans de gestion puis à élaborer des plans d’aménagement plus exigeants car garants d’une gestion durable de la forêt basée sur une rotation des coupes de vingt-cinq ans. Le processus toujours en cours aurait dû s’achever en décembre dernier. M. Ambatobe n’a cependant jamais dissimulé qu’il considérait que le moratoire avait assez duré. En février 2018, il a procédé à une première attribution de trois concessions.

Les bailleurs de l’Initiative pour la forêt de l’Afrique centrale (CAFI), qui depuis 2016 ont versé 80 millions de dollars (72 millions d’euros) pour appuyer le gouvernement congolais dans des programmes de lutte contre la déforestation, ont réagi en gelant l’octroi de tout nouveau financement au ministère de l’environnement. Aujourd’hui, Berta Pesti, la responsable du secrétariat de CAFI, dit « attendre la reprise d’un dialogue pour discuter de l’engagement du gouvernement à atteindre les jalons d’une bonne gouvernance forestière ». La réalité, exprimée plus crûment, est que les bailleurs étrangers sur lesquels repose le financement de la protection de l’environnement en RDC se trouvent au pied du mur face à une dérive sur laquelle ils n’ont aucune prise.

Coupe rase

M. Ambatobe ne s’est en effet pas contenté de réattribuer des concessions mises en réserve en attendant la levée du moratoire. Pour satisfaire aux appétits de Maniema Union 2, il a aussi repris des titres à des forestiers en exercice. L’un d’entre eux, sous couvert d’anonymat car il craint pour sa sécurité, évoque les motifs fallacieux comme le non-paiement de taxes, mis en avant pour récuser sa licence d’exploitation.

« Puis des militaires ont débarqué avec des Chinois et ont pris possession de ma concession. Ils procèdent depuis à des coupes rases, affirme-t-il, photos à l’appui. Ils prennent tout, même des essences qui n’avaient jamais été exploitées et sans respecter aucun diamètre de coupe. C’est un massacre. »

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L’affaire ne scandalise pas seulement les ONG. Au sein du ministère de l’environnement, des fonctionnaires expriment aussi leur « dégoût pour ces pratiques qui sapent des années de travail pour construire un cadre de gestion durable des forêts ». Ce jeu de bonneteau sur les titres forestiers aurait donné lieu à des transactions comprises entre 400 000 à 600 000 dollars chacune. Sans que leur trace apparaisse dans la comptabilité publique.

Le second dossier concerne l’ouverture des deux parcs nationaux de la Salonga (centre du pays) et des Virunga (nord-est) à l’exploitation pétrolière. Ces deux aires protégées sont officiellement sanctuarisées par la loi congolaise. Et leur classement sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco est également censé garantir la préservation de l’abondante faune qu’elles abritent. Parmi elles figure 40 % de la population mondiale des bonobos et les derniers spécimens des gorilles de montagne.

Or, Joseph Kabila a ouvert la voie à une déclassification d’une partie de ces parcs et le 13 décembre, l’ancien chef de l’Etat a accordé une concession d’exploitation à la société sud-africaine Dig Oil Ltd dont les limites empiètent sur le parc des Salonga. Un épisode comparable s’était déjà produit début 2018 avec la société, CoMico, immatriculée à Guernesey.

Ce n’est pas la première fois que ces aires protégées sont menacées. La présence supposée de pétrole dans les Virunga a déjà donné lieu au début de la décennie à un retentissant bras de fer entre les compagnies pétrolières et les défenseurs de l’environnement. Face aux risques pour sa réputation, la major française Total avait officiellement renoncé à ses projets d’exploration dans un courrier adressé à l’Unesco. Une autre bataille se prépare-t-elle aujourd’hui ?

La réponse est entre les mains de Félix Tshisekedi. Dans son entourage, on se veut toutefois prudent. « Il faudra d’abord diligenter des enquêtes. Personne n’a une vision claire de la situation », avance prudemment un proche conseiller.

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