PRELIB : les réseaux de la littérature en langue bretonne

Si la mise en série de parcours biographiques, pratique connue dans le jargon historien sous le nom de prosopographie, est une méthode assez couramment employée, celle-ci connaît depuis quelques années un véritable renouveau du fait des possibilités offertes par l’outil informatique. L’augmentation faramineuse de la puissance de calcul des machines, même les moins perfectionnées, permet en effet d’envisager le traitement de base de données toujours plus importantes, et complexe. C’est ce que démontre parfaitement le Projet de recherche en littérature de langue bretonne (PRELIB), plateforme qui souligne les nouvelles possibilités offertes en termes de visualisation de données. Une réalité qui ouvre de riches perspectives de recherches mais qui ne doit pas faire oublier qu’écrire l’histoire reste, avant toute chose, le fait de l’esprit.

Joseph Le Bayon, connu également sous le nom de Job Er Glean, auteur en langue bretonne. Carte postale. Collection particulière.

Développé par le Centre de recherche bretonne et celtique sous la houlette de Nelly Blanchard et Mannaig Thomas, ce projet pluridisciplinaire allie histoire, littérature et informatique de manière à déterminer ce qui pousse, ou non, à écrire en langue bretonne. Il s’agit donc d’examiner les relations entre les individus afin d’isoler un certain nombre de déterminants tels que les amitiés, l’adhésion à une association ou à un parti politique, la scolarité… Autrement dit, il s’agit de resituer une pratique culturelle, l’écriture en langue bretonne, dans un contexte social.

Pour ce faire, le PRELIB est doté d’une plateforme web dédiée qui dit bien toute la dimension « science ouverte » de la démarche initiée par Nelly Blanchard et Mannaig Thomas. Chaque notice d’auteur ou d’œuvre est en effet consultable en libre accès et donne accès à un certain nombre de données de base : état civil, éventuel pseudonyme, date et lieu de naissance et de décès, œuvres produites en langue bretonne, activités salariées et bénévoles, autant d’éléments qui constituent la matière prosopographique élémentaire de ce projet de recherche. Car, fondamentalement, ce qu’offre le PRELIB, et c’est en cela qu’il se distingue comme un véritable outil relevant de ce qu’il convient désormais d’appeler les humanités numériques, ce sont de nombreuses possibilités de visualisation de ces informations.

L’exemple de Loeiz Herrieu, le célèbre auteur du Tournant de la mort récemment réédité par Daniel Carré, montre toutes les possibilités offertes par ce site. Ainsi, les différentes fonctions occupées par cet auteur – secrétaire général de l’Union régionaliste bretonne co-fondée par le marquis Régis de l’Estourbeillon, directeur de la revue Dihunamb… – sont consignées dans de classiques tableaux et peuvent également être lues à travers une frise chronologique particulièrement didactique. Il en est de même pour les différentes œuvres et, plus original mais non moins riche de sens, pour les auteurs lui ayant dédicacé un texte, démarche qui témoigne d’une évidente proximité. Mais là n’est pas le plus intéressant. En effet, le site permet de visualiser au moyen de cartographies dynamiques les relations de Loeiz Herrieu et, ce faisant, matérialise les jeux de réseaux dans lesquels il s’insère, qu’il s’agisse d’individus ou d’institutions. Ce faisant, c’est bien la puissance des outils numérique au service des humanités numérique qui, ici, se dévoile.

Joseph Le Bayon, connu également sous le nom de Job Er Glean, auteur en langue bretonne. Carte postale. Collection particulière.

Pour autant, il n’en demeure pas moins que la prosopographie est avant tout affaire de saisie de données et on nous permettra, à ce propos, de formuler une – légère – critique à l’endroit de PRELIB, à savoir son absence de considération pour le fait militaire. Si la caserne paraît a priori bien éloignée de la littérature, et peut-être surtout lorsque celle-ci s’exerce en langue bretonne, il nous semble dommage de ne pas consigner les informations relatives au service militaire et à la mobilisation pendant la Première Guerre mondiale, pour rester dans le cadre de Loeiz Herrieu. En effet, non seulement le présupposé de départ qui justifie un tel choix nous semble épistémologiquement discutable mais il élude la centralité du fait militaire dans la France de la première partie de la Troisième République. Qu’on le veuille ou non, le régiment est un lieu de brassage social, de rencontres entre individus, bref de réseaux. Là est d’ailleurs un reproche que l’on peut également formuler à l’endroit de nombreuses notices du Maitron. En effet, de la même manière que l’activité syndicale – on pense notamment à l’œuvre dite du Sous du soldat – ou politique, la littérature en langue bretonne ne s’arrête pas au seuil de la caserne.

Erwan LE GALL